Panorama : IL Y A 50 ANS, LE 11 FEVRIER 1957, ETAIT GUILLOTINE A SERKADJI LE CHAHID FERNAND IVETON Alg�rien et patriote avant tout
Le devoir de m�moire rev�t une importance particuli�re pour
l��criture de l�histoire de la guerre de Lib�ration nationale.
Cependant, si celle-ci demeure toujours d�une actualit� br�lante, elle
proc�de malheureusement de moult surench�res politiciennes s�il en est,
elle est souvent interpell�e pour justifier et l�gitimer certaines
�tapes v�cues pr�sentement par le pays. Il est � craindre que la volont�
proclam�e d��crire �une histoire officielle� de la guerre de Lib�ration,
histoire d�j� balis�e et jalonn�e, ne proc�de de cette vision
manich�enne. Il est de notre devoir de rendre un vibrant hommage �
certains h�ros �oubli�s�, parmi eux, le chahid Fernand Iveton,
guillotin� le 11 f�vrier 1957 � la prison de Serkadji. La p�riode de
1954 � 1962 fut dure, terrible, atroce. Elle fut cruelle et douloureuse.
Paradoxalement, elle fut militante et fraternelle. Tant d��tres
souffrirent, cependant, c�est dans ces moments que certains Alg�riens de
souche et Alg�riens d�origine europ�enne, apprirent � mieux se
conna�tre, et qui plus est en ces jours de v�rit� nue. Quarantequatre
ans apr�s la fin de la guerre d�Alg�rie, l�on h�site encore parfois dans
le choix du vocabulaire, afin de ne pas raviver des blessures non
cicatris�es. Qui mieux que le sacrifice d�Iveton pourrait symboliser les
passerelles emprunt�s d�humanisme et de justice, jet�es entre les hommes
et diff�rents horizons sociaux, raciaux et religieux. Qu��voque ce nom
pour les jeunes Alg�riens ? La r�ponse est douloureuse et pour cause,
l�histoire de ce militant alg�rien de la premi�re heure est pratiquement
m�connue des nouvelles g�n�rations de notre pays. La raison est �
chercher du c�t� de la culture de l�oubli, cela en l�absence de toute
r�f�rence au nom de Fernand Iveton sur les �difices publics. Apr�s
l�ind�pendance, le p�re de Fernand supplie en vain, les autorit�s
alg�riennes de donner � son fils, ne serait-ce qu�un petit bout de rue.
D�sesp�r� d�avoir �chou�, il appela Villa Fernand le pavillon qu�il
poss�dait en France. H�las, quelques ann�es plus tard, on s�est rappel�
� l�occasion, du sacrifice de ce chahid, non pas pour lui rendre hommage
et justice en m�me temps mais pour redorer le blason des autorit�s de
l��poque, mis � mal par un article de la presse fran�aise, dans lequel
il �tait question de l�ingratitude des autorit�s alg�riennes � l��gard
des martyrs alg�riens d�origine europ�enne, ce faisant, il cite le cas
de Fernand Iveton qu�aucune rue ni institution publique ne porte le nom.
Le soir m�me de la publication de cet article les mettant en cause, les
autorit�s de l��poque, parti unique oblige, ont instruit la kasma FLN
d�El Madania (ex-Clos-Salembier), quartier natal de Fernand Iveton, de
proc�der � la baptisation express d�une petite ruelle de 30 m�tres.
Heureusement que cette mascarade post-mortem � l�endroit de ce chahid,
qu�on ne peut que qualifier d�ubuesque et tragique � la fois, n�alt�re
en rien le parcours de cet authentique patriote qui a �t� synonyme de
courage, de probit� et de sacrifice et ce, jusqu�au pied de la
guillotine o� il a cri� �Tahia El Djaza�r� en arabe, avant d��tre
ex�cut�. En compagnie de deux autres chahids auxquels nous rendons un
vibrant hommage, il s�agit en l�occurrence de Mohamed Ounnouri et Ahmed
Lakhmache. Avant son ex�cution, il a �t� d�abord conduit au greffe de la
prison, l� il d�clare : �La vie d�un homme, la mienne, compte peu, ce
qui compte, c�est l�Alg�rie, son avenir et l�Alg�rie sera libre demain�.
Le chahid Didouche Mourad qui �tait son voisin de quartier (La Redoute,
Clos-Salembier) disait de lui : �S�il y avait beaucoup de gens comme
lui, cela aurait chang� bien des choses�. Son avocat, Charles Lainn�, a
�t� frapp� par l�attitude d�Iveton lors de son ex�cution, il disait :
�Il avait l�attitude d�un homme droit en faisant preuve d�une constance
et d�un courage admirable.� Il avait ressenti la condamnation � mort,
l�ex�cution d�Iveton comme une grosse injustice et un d�shonneur pour la
France. Fernand Meissonnier, son bourreau disait de lui : �Celui-l� fut
un condamn� � mort mod�le, droit, impeccable, courageux jusqu�au
couperet.� L�enfant de Clos-Salembier a �t� tr�s sensible � la mis�re
qui frappe la population musulmane de son quartier. Il a d�abord
commenc� � militer dans la cellule de la jeunesse communiste de La
Redoute-Salembier en compagnie de ses voisins de quartier les plus
connus, Henri Maillot, Myram Ben (Marylise Benha�r) et Ahmed Akkache qui
seront plus tard des acteurs tr�s actifs de la guerre de Lib�ration
nationale. Ensuite, apr�s le d�clenchement de la R�volution, sa d�marche
�tait celle d�un homme qui n��tait ni un id�ologue ni un aventurier, pas
de rupture dramatique mais un glissement progressif vers les combattants
du FLN, r�unions clandestines, asile offert � des militants recherch�s,
au fil des mois, une interrogation lancinante : �Que fait le parti ?�
Iveton est de ceux qui souhaitent un total engagement. Il s�enr�le dans
les Combattants de la lib�ration (C.D.L.), structure clandestine arm�e
cr��e par le Parti communiste alg�rien en juin 1955. Mais son groupe ne
lui propose que des actions d�risoires qu�il ex�cute avec son camarade
de parti Felix Colozi (cet homme qui a surv�cu aux g��les colonialistes
n�a jamais quitt� l�Alg�rie, et il y vit toujours d�ailleurs). Tandis
que son ami d�enfance et voisin, Henri Maillot, officier d�serteur,
tombe au combat, Iveton s�impatiente. L�absorption des CDL par le FLN va
lui ouvrir les voies de l�action. Il accepte de poser � l�usine � gaz du
Ruisseau o� il travaille, une seule bombe au lieu des deux que lui
ram�ne Jacqueline Guerroudj et ce, faute de place dans son sac de
travail. Iveton r�prouve la violence aveugle. Sa bombe ne devra tuer
personne, qui plus est ses camarades de travail. Il s�entoure pour cela
de toutes les pr�cautions possibles. Pierre Vidal-Naquet a raison
d��crire �Iveton ne voulait pas d�une explosion-meurtre. Il voulait une
explosion-t�moignage�. Lors de son arrestation et en d�pit des tortures
atroces qu�il avait subies, pour permettre � la deuxi�me bombe que
transportait Jacqueline d�exploser, et aussi permettre � ses camarades
de s��chapper, il a pu orienter les enqu�teurs sur une fausse piste, en
parlant de la fameuse femme blonde, conduisant une 2CV alors que
Jacqueline avait les cheveux noirs et �tait au volant d�une voiture Dyna
(Panhard). Cette r�sistance a permis de retarder l�arrestation de
Jacqueline et des autres. A travers cette description, on a longtemps
cru qu�il s�agissait de Raymonde Peschard, la fille de St-Eug�ne, morte
au maquis quelques mois apr�s en wilaya III (une autre chahida � qui
nous devrons rendre hommage). A ce chahid qui a su vivre et mourir pour
son id�al avec tant de simplicit� et de grandeur, nous lui devons bien
un hommage � la hauteur de son sacrifice, qui le sortira de la nuit de
l�oubli o� il a �t� longtemps confin� par l�histoire officielle. Une
initiative qu�il y a lieu de sacraliser et d��tendre � d�autres victimes
de la culture de l�oubli, car ils ont tant souffert pour faire sortir le
peuple alg�rien des t�n�bres dans lesquels il a �t� tr�s longtemps
confin� par le syst�me colonial. En rendant hommage � ces h�ros, nous
contribuons � renforcer davantage les valeurs de fraternit�,
d�humanisme, de tol�rance et de libert� dans l�Alg�rie d�aujourd�hui.
D�aucun sachent qu�on en a grandement besoin pour se comprendre et se
respecter.
Merzak Chertouk
Ing�nieur, cadre sup�rieur
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