R�gions Centre : ZOUBGA
Quand la communaut� supplante l'Etat
UN REPORTAGE DE S. AIT-MEBAREK


Ni uniforme ni peur du gendarme. Ici, la c�rcition librement consentie et accept�e et sans l�intervention d�aucune force ext�rieure est la r�gle qui impose le respect de la norme par tout le monde. Voici r�sum�e la substance du propos d�un membre du comit� du village Zoubga qui exhibe un registre au titre �vocateur : �Lois et r�glements du village�. Un v�ritable glossaire de prescriptions et d�obligations r�glementaires �labor�es et adopt�es par consensus par l�ensemble de la collectivit� villageoise et auxquelles chacun est tenu de se conformer sous peine d��tre mis � l�amende ou tout simplement� au ban de la communaut�.

Le voyage effectu� � Zoubga par les repr�sentants du Forum femmes M�diterran�ennes de Marseille, du collectif Femmes du Printemps noir et d�Amusnaw, un collectif d�associations travaillant pour la mise en �uvre du projet portant sur le tourisme solidaire en Kabylie, a d�bouch� sur une rencontre heureuse avec un village qui constitue un exemple de conduite citoyenne et participative des affaires de la collectivit�, un rare mod�le d�autogestion s�inspirant du pass� et dans la tradition ancestrale, mais sans cesse actualis� et adapt� aux exigences du moment. Situ� � quelque 50 kilom�tres � l�est de Tizi-Ouzou, � l�or�e de la commune d�Illilt�ne, Zoubga est un village de pr�s d�un millier d�habitants �rig� sur un plateau �troit, faisant face � deux endroits embl�matiques : le lieu de naissance de la c�l�bre Fathma n�Soumeur et le mythique rocher d�Azrou n�Thour qui fait office de saint patron local c�l�br� cycliquement au mois d�ao�t, par ce village que rien, a priori, ne distingue des autres villages qui se jettent �� et l�, au gr� des rares et �troits espaces de terre arable et constructible conc�d�s avec parcimonie par un environnement rocheux et montagneux.
L�AUTOGESTION, UNE R�PONSE SOCIALE AUX AL�AS DU MILIEU ET DE LA NATURE
Ce pays est ingrat � qui n�y est pas n�, et c�est pour cela que d�aucuns parmi ses habitants continuent � partir ailleurs, comme par le pass�, en qu�te de terres plus cl�mentes et nourrici�res. Chez les Ath Zoubga, � l�instar de l�ensemble des habitants des contr�es montagneuses de Kabylie victimes du sort commun, les relations entre les hommes ont de tout temps compens� ce que la nature n�a pas donn�. A la rigueur et aux contraintes de la nature et de l�environnement montagneux caract�ris� par la rar�faction des ressources naturelles, les hommes ont toujours oppos� une r�ponse sociale, en d�veloppant des m�canismes d�organisation et d�adaptation. La mobilisation des efforts de la communaut� et l�attachement aux valeurs de solidarit� et d�entraide qui fondent l�existence du groupe, pour paraphraser P. Bourdieu, sont quelquefois brandis comme palliatif aux d�faillances de l�Etat devant certains cas de force majeure li�s aux perturbations climatiques, difficult�s �conomiques� Il�t de verdure au milieu de la rocaille, Zoubga se distingue aussi des villages voisins �qui n�ont pas suivi notre exemple�, nous explique Lamara de l�association sociale du village, par la ma�trise et la permanence du sch�ma organisation mis en place mais aussi par la continuit� et le d�vouement pour l�action b�n�vole qui caract�risent les membres du comit� de village. �Nous sommes au moins 2 sur les 28 membres qui constituent le groupe � �tre l� depuis 1986. Les villageois sont coop�ratifs et se soumettent aux normes et r�gles d�finies et approuv�es de fa�on consensuelle et, souvent, � l�issue d�un d�bat contradictoire�, ajoute Lamara, un rotativiste � la retraite qui a vu na�tre et se fabriquer, au jour le jour, beaucoup de quotidiens nationaux. Lamara, Mouloud et Amar qui nous ont accueilli sur la magnifique place centrale du village nous conduisent dans le local de l�association sociale. Sur le mur, faisant face � la porte d�entr�e, est accroch�, ostensiblement, un cadre. T�moignage d�une c�r�monie mondaine, la photo montre deux hommes se donnant l�accolade. �C�est le pr�sident Bouteflika et Na�t Abdelaziz, un industriel natif de notre village et responsable d�une organisation patronale�, annonce Mouloud. Dans une armoire, ce sont les troph�es qui t�moignent de la gloire pass�e de la section locale de karat� qui s�est illustr�e dans diverses comp�titions nationales mais aussi de l�investissement du comit� des sages dans l�animation sportive et culturelle au profit des jeunes. Mais l�adduction d�eau potable et la mise en place d�un syst�me de ramassage des ordures m�nag�res restent les r�alisations que nos interlocuteurs �voquent avec une fiert� non dissimul�e. L�effort m�rite d��tre signal� lorsqu�on sait que l�eau, r�sultant du captage de 14 sources situ�es en pleine montagne, a �t� achemin�e sur une distance de six kilom�tres, � travers une pente sinueuse et rocailleuse. �Le financement de l�op�ration est assur� en grande partie par les villageois. La wilaya a contribu� avec une enveloppe de 14 millions de centimes d�pens�s dans le captage des 14 sources�, expliquera Lamara, qui a longuement vant� le syst�me mis en place pour la gestion des ordures m�nag�res. La propret� irr�prochable dans laquelle se trouve la place centrale du village est un t�moignage visible sur l�efficacit� de ce syst�me instaur� depuis 1986. La collecte �tait assur�e au d�part � l�aide d�un engin des travaux publics, un Dumper, acquis par le village qui se dotera par la suite d�un tracteur. �Actuellement, le ramassage est assur� par un engin sp�cialis� de fabrication italienne et que nous avons acquis � l�occasion d�un salon sp�cialis� tenu � la Foire internationale d�Alger pour la somme de 92 millions de centimes. Le village contribue en partie au payement des salaires du chauffeur et de son assistant mais la commune apporte sa contribution par leur prise en charge dans le cadre du filet social. Sous peine d�amende, il est strictement interdit de jeter les r�sidus m�nagers dans son propre jardin ou propri�t�, ou de les abandonner dans la rue. L�engin assure des rotations r�guli�res pour le ramassage des rejets m�nagers qui sont achemin�s et d�pos�s dans une d�charge unique et contr�l�e�, nous signale Lamara. C�est dire que le village est omnipr�sent et exerce, � toute instant, son �il de ma�tre sur tous les faits et gestes qui rythment la vie de la collectivit�. Pour r�guler la consommation et la distribution de l�eau, le village est l�. Pour la collecte et le ramassage des ordures m�nag�res et, � l�occasion, punir les contrevenants, le village est encore l�. L�arbitrage du village est toujours sollicit� pour le r�glement des contentieux fonciers ou tout autre conflit entre citoyens. Les �v�nements mondains autant que les c�r�monies li�es � la mort n��chappent pas au contr�le et � l�autorit� du village. Point d�uniforme, ni de peur du gendarme pour rappeler � chacun le n�cessaire respect de la norme et de la r�gle � respecter. �Chaque famille dispose d�un registre �num�rant les lois et r�glements du village que chacun se doit de respecter car �labor�s et adopt�s en assembl�e g�n�rale du village qui se tient, sauf exception, une fois par mois�, nous signale Lamara qui exhibe un exemplaire dudit registre, un v�ritable recueil de prescriptions et d�obligations qui se d�cline en un pr�ambule suivi de huit chapitres, �tablissant les missions et t�ches de l�association sociale (comit� de village) qui doit veiller au respect et � l�observance des dispositions r�glementaires assorties d�une batterie d�amendes pour rappeler � l�ordre les �ventuels contrevenants.
TAJMAT, ESPACE DE COH�SION SOCIALE
Lieu ouvert, de passage et de rencontre des individus, comme dans la tradition antique de l�Agora, Tajm�t, la place centrale du village, est le lieu o� se nouent et se d�nouent les relations entre les membres de la communaut�. C�est o� ces derniers mettent en jeu la dynamique de leur syst�me d�organisation et d�voilent quelques aspects qui font la singularit� de leur village. Madeleine, la repr�sentante du Forum femmes m�diterran�ennes de Marseille, fut ravie de se trouver au milieu de la place de ce village qui lui rappelle des bribes de paysages des villages de la Provence fran�aise et de Corse d�o� ses parents sont originaires. D�s les premi�res foul�es sur cette place toute pav�e et couverte de plaques de schiste, on d�couvre une partie du village qui forme une fa�ade en arc, donnant une forme circulaire � cette place au milieu de laquelle s��l�ve un fresnier. La source �rig�e � son pied re�oit un filet d�eau puis�e, � travers une conduite souterraine, d�un petit bassin o� coule l�eau de l�ancienne fontaine du village, situ�e � une enjamb�e de l�, est un t�moignage de l�attention que les villageois vouent � cet arbre que Lamara pr�sente comme �tant centenaire. Le vieux fresnier apporte une touche de fra�cheur et d�esth�tique � l�endroit qui regorge de signes anodins mais non d�nu�s de signification. Sur le mur de la mosqu�e �rig�e au d�but du si�cle dernier, en 1924, une bo�te en fer forg� attire l�attention de Ferroudja, du CFPM. �C�est une bo�te aux lettres�, explique Amar. �De jour comme de nuit, elle reste ouverte et � la disposition de chaque citoyen d�sireux de consulter son contenu pour savoir s�il est destinataire d�une lettre ou d�une convocation de la commune ou d�une autre institution de l�Etat.� A l�autre extr�mit� de la place, un tableau d�affichage o� sont annonc�s, occasionnellement, les rendez-vous mondains (les f�tes familiales ou du village) ou les �v�nements mortuaires ainsi que les dates et heures des r�unions de l�assembl�e du village. On a m�me aper�u une affiche annon�ant la mise en vente d�un produit. A c�t� de la mosqu�e, c�est la Maison de jeunes qui est en cours de construction gr�ce � un financement de l�ambassade du Canada. La wilaya apportera sa contribution financi�re pour la finalisation du projet. Constitu�e de trois �tages et d�un sous-sol qui accueille d�j� un centre de soins m�dicalis�, les �tages sup�rieurs feront office, nous dit-on, de salle polyvalente qui servira de foyer d�animation pour les jeunes du village. Elle sera lou�e aux villageois pour servir, occasionnellement, de salle des f�tes.
ANECHAV, MEMOIRE ET SYMBOLE TOT�MIQUE DES ATH ZOUBGA
A Zoubga, tout le monde a en m�moire la saga, mi-l�gendaire, mi-r�elle, de celui que tout le monde appelle ici Anechav et que l�on raconte avec une sorte de d�tachement mais avec, dans la voix et le regard, un perceptible brin de nostalgie et d��motion. Anechav, c�est cette statue en pl�tre figurant un artisan affair� devant son m�tier, un tour manuel pour la fabrication d�ustensiles en bois. Dans la statue d�di�e � ce personnage � la stature imposante et pittoresque, c�est un morceau de m�moire de ce village et un peu d�histoire familiale de chacun qui sont fig�s dans le pl�tre. A Zoubga, la fabrication d�ustensiles de cuisine en bois est un m�tier ancestrale qui a contribu� � la prosp�rit� de beaucoup de villageois, jusqu�aux ann�es 1970.
S. A. M.

Zoubga au rendez-vous du tourisme solidaire
Les repr�sentants du collectif d�associations initiatrices du projet portant sur la mise en �uvre du projet du tourisme solidaire en Kabylie ont effectu� une visite la semaine derni�re � Zoubga o� ils ont rencontr� les membres du comit� de village pour leur expliquer la port�e et les objectifs de leur projet d�velopp� par ces associations qui se sont montr�es, particuli�rement, s�duites par les commodit�s offertes par ce village qui se distingue, outre son cadre de vie agr�able et situ� en plein montagne, par son sch�ma d�organisation sociale. La formule du tourisme solidaire est une nouvelle approche qui repose sur les principes du d�veloppement �quitable et solidaire. Il constitue, selon les porteurs de ce projet, une alternative au tourisme de masse et se caract�rise par son impact sur le d�veloppement local des r�gions cibl�es, en permettant la valorisation des potentialit�s locales en mati�re �conomique, culturelle et environnementale et o� la valorisation et la promotion des activit�s des femmes constituent un objectif privil�gi�. Les associations Amusnaw, le Collectif femmes du Printemps noir et le Forum femmes m�diterran�ennes de Marseille qui pilotent ce projet ont d�j� port� leur choix sur certains sites pour la localisation de g�tes ruraux qui accueilleront les futurs touristes dont la premi�re vague est attendue, nous dit-on, au d�but du printemps prochain. Des op�rateurs �trangers dans le domaine touristique ont manifest� beaucoup d�int�r�t pour ce produit touristique, d�autant plus que la destination Kabylie qui constituera une nouveaut� sur leur catalogue ne manquera pas d��tre attractive pour leurs clients.
S. A. M.

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