Chronique du jour : A FONDS PERDUS
Le "moindre mal"
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


Jamais expression n�aura autant devanc� l�id�e, l�intention ou le projet que celle d��Opep du gaz�. Sauf � accorder de l�importance � l��cume des choses, rien n�indique que les int�r�ts des uns et des autres convergent r�ellement, qu�il s�agisse du court ou du long terme. Il y a � cela deux raisons : primo, les particularit�s du march� gazier ; secundo, les int�r�ts divergents des producteurs. L'expression "Opep du gaz" est apparue dans un article du Financial Times en novembre 2006, en r�f�rence � un rapport d'experts de l'Otan qui incluait dans cette organisation potentielle la Russie, l'Iran, la Libye, le Qatar, l'Alg�rie et les pays d'Asie centrale.
Mais elle fut prononc�e la premi�re fois en 2001 par des repr�sentants iraniens. Tout commence avec l�axe complexe Moscou- T�h�ran qui consacre l�alliance contre-nature d�une puissance en qu�te de survie et d�une autocratie cl�ricale en attente d�implosion. C'est au secr�taire du Conseil de s�curit� russe, Igor Ivanov, en visite � T�h�ran, que l'ayatollah Ali Khamenei, le Guide supr�me de la r�volution islamique, a fait la proposition explosive de cr�ation d'un cartel du gaz regroupant les plus importantes r�serves mondiales connues, le dimanche 28 janvier : "l'Iran et la Russie pourraient cr�er une structure pour organiser la coop�ration gazi�re � l'instar de l'Opep, dans la mesure o� la moiti� des r�serves mondiales de gaz se trouvent en Russie et en Iran." L�Iran a naturellement tout � gagner d�un rapprochement avec son voisin et la presse russe ne cache pas ses r�serves � cet �gard : "Au fond, on a propos� � Moscou de d�cider si la Russie �tait pr�te � une union militaro�nerg�tique avec un Iran tomb� en disgr�ce", note le journal Vremia Novostie�. "L'accord pour la formation d'un cartel du gaz avec l'Iran signifierait le passage sans �quivoque de la Russie du statut de partenaire de l'Occident � celui d'opposant, et pas seulement d'un point de vue �nerg�tique", pr�vient le m�me journal. L'offre de T�h�ran repr�sente ainsi un v�ritable dilemme pour Moscou, qui, pour l'heure, se garde bien de r�pondre � l'offre iranienne, tout en essayant de rassurer ses clients occidentaux alors que de grandes incertitudes p�sent sur sa capacit� � respecter des engagements sous la pression d�une demande domestique qui cro�t d�environ 2,2 % par an. La Russie a beau disposer des plus grandes r�serves de gaz de la plan�te et jouer les superpuissances �nerg�tiques, elle va au-devant d�une p�nurie de gaz sur le plan int�rieur. Soumis aux imp�ratifs de la politique �trang�re du Kremlin, Gazprom est en effet incapable d�alimenter une �conomie nationale qui cro�t � un rythme sup�rieur � 6 % par an. La p�nurie interne a �galement des r�percussions sur le plan international. Elle signifie que Gazprom ne pourra pas augmenter l�approvisionnement de l�Europe, du moins � court terme � ce qui pr�occupe de plus en plus les pays concern�s. Gazprom explique la p�nurie par le niveau artificiellement bas des prix nationaux, nettement inf�rieurs � ceux pratiqu�s en Europe. Sur son march� int�rieur, o� elle vend les deux tiers de son gaz, la soci�t� gazi�re arrive � peine � l��quilibre ; elle fait l�essentiel de ses b�n�fices en exportant le reste. Elle n�a donc gu�re int�r�t � mettre en valeur des gisements destin�s � la consommation nationale. Le discr�dit qui p�se sur l�Iran et les difficult�s de Gazprom � honorer ses engagements plaident naturellement pour un rapprochement avec l�Alg�rie. "Il serait bien plus avantageux pour la Russie de conclure un accord avec l'Alg�rie sur les principes de livraison de gaz � l'UE, �tant donn� que Gazprom fournit son gaz aux pays d'Europe orientale, centrale et nordique, alors que l'Alg�rie fournit la partie sud et sud-ouest de l'Europe", estime le journal Kommersant. Il faut dire que le pouvoir alg�rien ne sait plus sur quel pied danser face aux sollicitations russes et aux pressions internes du lobby iranien confort� par l�espace occup� par l�islamisme politique. Le ministre de l�Energie et des Mines, qui s�opposait � la cr�ation d�une Opep du gaz, allant m�me jusqu�� estimer que cela ne serait pas possible techniquement, vient de conc�der �une r�flexion dans ce sens�, laissant � la prochaine rencontre de Doha des pays producteurs et exportateurs du gaz (pr�vue pour le 9 avril prochain) le soin d�appr�cier si cette perspective procure de l�int�r�t pour les parties. Chakib Khelil avait initialement �cart� cette �ventualit�, en soulignant que les prix du gaz �tant index�s sur ceux du p�trole et que l'Opep, qui contr�le ces derniers, contr�le aussi les premiers. Cette volte-face fait suite � la d�claration du pr�sident de la R�publique soutenant qu�il �ne faut pas rejeter l�id�e a priori� et qu�elle �m�rite d��tre examin�e et discut�e entre tous les int�ress�s�. Comme tous les autres producteurs de gaz, l�Alg�rie d�veloppe une strat�gie consistant � suivre le produit jusqu'au consommateur final en ouvrant des filiales en Europe afin de tirer profit de l'ouverture des march�s europ�ens de l'�nergie en intervenant dans la distribution, tout en s�interdisant de devenir un acteur mena�ant de ce segment. Les contrats � long terme restent en vigueur, parall�lement aux nouveaux contrats sign�s directement avec des consommateurs, � leur t�te les industriels. Cet objectif ressort clairement de l�annonce faite par le ministre de l'Energie et des Mines, mercredi 7 f�vrier, � Madrid, de la cr�ation prochaine de filiales en France (�dans quelques mois�) et en Espagne. Convaincue qu�elle �peut �tre le commercialisateur le plus comp�titif�, Sonatrach cherche ainsi � capter �une part de la rente g�n�r�e dans le segment distribution �, selon M. Khelil. L�autre grand exportateur de gaz, le Qatar, troisi�me rang mondial, apr�s la Russie et l'Iran, pour ses r�serves de gaz naturel, �valu�es � plus de 25 000 milliards de m3, ne semble pas r�ellement emball�. Le 5 f�vrier dernier, le ministre qatari de l'Energie, Abdallah Ben Hamad Al- Attiyah, interrog� sur des propos de M. Poutine jugeant �int�ressante� l'id�e d'une �Opep du gaz�, avait d�clar� qu'�il n'y a pas lieu � la cr�ation d'une telle organisation car le gaz est diff�rent du p�trole�. L�UE joue donc sur du velours. Elle sait que les forces et les int�r�ts en pr�sence, les contraintes du march� et les m�canismes juridiques et contractuels qui r�gissent le gaz ne favorisent pas des alliances type Opep. Elle y fait face doublement : en resserrant sa demande int�rieure et en projetant une strat�gie �nerg�tique qui la pr�serve de toute d�pendance. C�t� consommation, les grandes man�uvres se poursuivent dans l'�nergie suivant une logique monopolistique qu�aucun observateur avis� n�est venu contester tant la logique est �vidente ici : au-del� des fictions juridiques des dispositifs anti-trusts, le cartel est � l�imp�rialisme ce que le biberon de lait est au nourrisson. La vague des fusions-acquisitions dans l��nergie est loin d��tre termin�e, avec, � moyen terme, pas plus de trois champions sur le march� europ�en. Le nouveau groupe E.ON-Endesa (117 milliards d�euros de capitalisation boursi�re) est en passe de rel�guer EDF (99 milliards) au 2�me plan, suivie tr�s loin derri�re par l�Enel italienne (50,7 milliards). Quelles solutions s'offrent � l'UE pour assurer son ind�pendance vis-�-vis de la Russie en ce qui concerne les approvisionnements �nerg�tiques ? L'�nergie nucl�aire n'est en aucun cas une solution � long terme. L�espoir repose d�sormais sur la Norv�ge dont le gisement de la mer de Barents pourrait lui fournir de grandes quantit�s de gaz � l'Europe et diminuer sa d�pendance vis-�-vis de la Russie. En attendant d�investir massivement dans les �nergies renouvelables et de convenir d'une strat�gie commune, l�Alg�rie repr�sente ind�niablement �le moindre mal� pour elle. Or, l�Alg�rie sait-elle qu�ici, comme dans d�autres domaines, elle n�a pas d�amis mais que des int�r�ts ?
A. B.

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