
Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE Le "has been" et les comparses Par Boubakeur Hamidechi hamidechiboubakeur@yahoo.fr
Rédha Malek est certainement un homme d’expérience mais demeure-t-il
pour autant un personnage d’influence à la perspicacité politique
intacte ? Il est difficile de formuler à son sujet un avis tranché sans
être soupçonné d’instruire, quelque part, un mauvais procès à son
encontre. Pourtant, tout indique ces jours-ci qu’il s’est remis à
cultiver une émouvante nostalgie pour le clinquant de la scène
politique, alors que l’on croyait qu’il avait définitivement posé ses
valises de respectable routier du mouvement national pour ne se
consacrer qu’à quelques tâches de mémorialiste. Le revoilà donc
ressuscité comme cette rossinante qu’est l’ANR. Un cheval de bataille
qui le mena de déconvenues en berezina mais dont il enfourche le sigle
selon les saisons afin de garder le contact avec le monde glauque des
politicards. L’homme des grandes rectitudes morales qui abhorrait jadis
les «habits d’arlequin» (1) idéologiques, — ces melting-pots dans le
compagnonnage qui finissent par brouiller les lignes de partage entre
les camps politiques. Cet homme-là se serait-il par hasard converti, à
l’aube du grand âge, aux délices de la connivence ? Car, enfin comment
comprendre autrement son intempestif désir à vouloir jouer un rôle qui
ne lui ressemble guère : surtout pour une cause douteuse et une
justification spécieuse ? Grâce au prochain scrutin, il aurait, nous
dit-il, trouvé une bonne opportunité pour «réunir trois partis sur une
liste unique» ! Juste pour participer à une énième élection et valider
un faux pluralisme dont lui-même reconnaît qu’il n’existe guère. Rien
n’est plus indigent qu’un tel prétexte destiné à étayer une initiative,
contestable pour bien des raisons et de surcroît vouée à l’échec
populaire dans le meilleur des cas ou, au pire, récupérée et
instrumentée par le pouvoir à travers une dotation en strapontins.
Expliquons-nous : lucidement, quel est le rayonnement de ce conglomérat
composé de l’ANR, l’UDR et un MDS dissident ? L’on sait que l’ANR entre
autres a eu toutes les peines du monde à rassembler une «congrégation»
(ce qui est différent d’un congrès) après un grand sommeil qui dura 12
années. Tout juste un conclave de circonstance destiné à se mettre en
conformité «participative». Quant aux autres partenaires, ils n’ont
d’autres visibilités que celles que leur octroie la bienveillante
administration et les entrefilets de presse. Rédha Malek, grand
ordinateur de cette synthèse d’un pôle démocrate, est-il assez naïf pour
croire à la fiabilité de ce moulin à vent transpartisan dont la seule
chance de siéger serait de montrer patte blanche ? Autrement dit,
s’engager à moudre le même grain que le régime. Plus circonspect sur
l’avenir mais néanmoins disposé à franchir le Rubicon, l’autre pôle,
tout aussi républicain, que s’assigne le RCD développe une dialectique
suffisamment fine pour se rendre crédible. De plus, il a l’avantage sur
la nébuleuse «Malek» de pouvoir matériellement étalonner un segment
électoral présent régionalement. C’est donc au nom de «l’éthique de
responsabilité» que ce parti veut rompre avec les platoniques «ministère
de la parole et le magistère de la morale» (2). De ce côté-ci, le risque
est certes double mais il a le mérite de sortir du non-dit. Le RCD
accepterait à la fois d’être désavoué objectivement par les électeurs
si, par une quelconque magie, les urnes du 17 mai devenaient
transparentes ; et jouerait son va-tout auprès du pouvoir au risque
d’être recalé pour indocilité chronique. Or, du côté de Rédha Malek,
nous sommes, quoi qu’on dise, dans la simple «offre de service», car le
pacte électoral en cours d’élaboration ressemble à une sombre
combinaison d’intérêts personnels dans laquelle ne se serait fourvoyé
que le «fédérateur», qui, lui, a tout à perdre et notamment sa
légendaire probité. En effet, comment a-t-il pu, aussi imprudemment,
brader les vieilles et solides convictions qui ont irrigué son
itinéraire ? A moins que … !! Mais ne conjecturons pas sur le sujet et
contentons-nous des interrogations et de vieux rappels. Car c’est quand
même lui qui interpellait violemment ce même pouvoir sur les dérives
antidémocratiques il y a quatre années. «L’opportunisme encouragé par le
pouvoir et la politique des quotas qui étouffe l’émergence de la
démocratie, déclarait-il en mai 2003 à Soukel- Tenine, sont la carte de
visite du régime». L’on aura par conséquent compris pourquoi cette voix
naguère discordante par rapport au chorus des louangeurs étonne
aujourd’hui par son changement de registre. Cet homme politique de
premier plan qui avait souvent accepté la marginalité et l’ostracisme
comme autant de preuves et de gages de son indépendance intellectuelle
brouille certaines certitudes établies à travers son activisme
d’arrière-saison. Lui l’irréductible républicain qui stigmatisait les
pratiques obliques qui ont dévoyé les libertés politiques le voilà, en
2007, en train de bricoler avec quelques comparses des martingales
électorales comme si … ! Oui, comme si, entre-temps, quelque chose
d’essentiel avait changé dans le ciel politique de ce pays. A partir de
quelle expertise politique une opposition, réputée comme telle,
doit-elle se rabibocher avec un pouvoir même quand celui-ci n’a pas tenu
une seule de ses promesses ? La question mérite d’être aujourd’hui posée
à ce célèbre monsieur «tant pis» qui ferraillait lucidement contre tous
les cyniques capitulards quand ils évoquaient chaque fois et invoquaient
en toutes circonstances la «nécessité et le réalisme». Ainsi, quand tout
le monde s’accorde pour dire que le divorce entre la société et la
nomenklatura dirigeante est consommé, comment peut-on encore trouver la
moindre raison de souscrire à sa démarche ? N’en déplaise à certains
démocrates, le boycott n’aurait jamais dû être une simple «posture
politico-électorale» (2), c’est-à-dire une dégaine pour surenchérir,
mais un principe basique qui réfute en permanence la facticité des urnes
tant que la fameuse «double rupture avec l’Etat rentier et l’islamisme
», que conceptualisa en 1993 feu Hachemi chérif, n’a pas été accomplie.
Il est vrai que les Sadi, Malek et Benyounès n’ont jamais été du même
bord que le défunt mais ils ont, dans leur pratique politique et leur
combat, eu à vérifier la perpétuation de cette «génétique» système avec
laquelle le fondateur du MDS voulait rompre. Cela est d’autant plus vrai
qu’ils eurent, avec des infortunes diverses, le déplaisir de constater
que le système n’existe que par la négation de ses contradicteurs et n’a
de morale de l’Etat que celle qui asservit l’élite politique du pays.
Rédha Malek n’avait-il pas connu cette humiliation qu’on lui a fait
subir par deux fois en le privant de présidentielle en 95 et 99 et en
disqualifiant son ANR aux législatives de 1997 ? Mais lui, grand
philosophe devant la désillusion, se contentait chaque fois de répéter :
«Les combats perdus sont ceux que l’on n’engage pas.» Depuis, d’aucuns
pensaient qu’il s’est fait une raison et que pour lui l’ANR ne restera
que comme une anecdotique coquetterie dans une fabuleuse existence de
militant et de patriote. Or, le voilà qui retourne cette semaine avec
cette certitude insensée qu’il peut encore incarner l’alternance quand
tous les horizons sont bouchés ! Il est vrai que lorsque des comparses
intéressés sollicitent un «has been» à la retraite cela lui donne des
idées. Hélas pas souvent bonnes !
B. H.
(1) Mohamed Harbi, qui le considère comme l’idéologue de l’Ugema, lui
attribue ce qualificatif par lequel R. Malek réfuta tous les amalgames
au sujet de la dénomination de l’organisation estudiantine (lire : Une
vie debout,de M. Harbi, page 157)
(2) Lire la contribution de Tarek Mira, secrétaire national du RCD,
parue dans Le Soir du samedi 24 mars.
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