Le Soir des Livres : MARIE-JOELLE RUPP : �La vie de Serge Michel �tait cloisonn�e�
Qui est Serge Michel ?
Pour l��crivain, sc�nariste, Jean-Claude Carri�re, Serge Michel est
un �fant�me du si�cle�, �un coureur de grands chemins�. Pour la cin�aste
Sarah Maldoror, c�est un aventurier des r�volutions. Et s�il est blanc,
pour son ami Patrice Emery Lumumba, il a n�anmoins du c�ur, et il l�a
noir, bien entendu. Pour certains, il se nomma Olaf ou Saint-Andr�.
A
Rome, Monsieur Christian et pour les Suisses Docteur Xavier pendant la
guerre de Lib�ration. Mais il est connu, y compris pour ses fils qui
portent ce nom, sous le pseudonyme de Serge Michel par tous ceux qui ont
particip� aux mouvements de lutte pour la lib�ration des peuples
colonis�s en Afrique. Serge Michel est le pseudonyme de Lucien Douchet,
internationaliste, militant de la d�colonisation en Alg�rie et autres
pays d�Afrique. N� fran�ais en 1922 � Saint-Denis, dans la r�gion nord
de Paris, il meurt alg�rien en juin 1997. Pour son enterrement au
cimeti�re El Alia, � Alger, l�Alg�rie lui organise des obs�ques
nationales. L�aventure politique � au sens noble du terme � commence
pour lui au d�but des ann�es 1950 quand, las d�une vie sans perspective,
il quitte la France pour r�inventer sa vie au Sud. A Alger, il se lie
d�amiti� avec ce qu�il appelait �le pied gauche de La Casbah�, le petit
groupe form� par Kateb Yacine, Issiakhem, Hadj Omar, Sauveur Galliero,
Senac� C�est Ali Boumendjel qui l�introduit aupr�s de Ferhat Abbas. Il
adh�re alors � la mouvance nationaliste mod�r�e et travaille comme
caricaturiste et secr�taire de r�daction, � La R�publique alg�rienne,
l�organe de presse de l�UDMA. Apr�s l�insurrection, il entre dans la
clandestinit� et s�active � la propagande pour le compte du FLN. C�est
ainsi qu�il portera en Suisse un certain nombre de documents comme
R�sistance alg�rienne en vue de leur impression et de leur diffusion �
travers l�Europe. En 1957, il gagne Tunis et int�gre l��quipe d� El
Moudjahid sous la direction d�Abbane Ramdane. Il sera la voix fran�aise
de l��mission radio diffus�e depuis Tunis �La Voix de l�Alg�rie�, et
travaillera aussi comme sc�nariste sur les films de propagande tourn�s
pour la commission cin�ma du GPRA. En 1960, le GPRA l�envoie aupr�s de
Lumumba, le chef du gouvernement de la toute jeune R�publique du Congo,
venu � Tunis chercher aide et assistance juridique, technique et
militaire aupr�s des Alg�riens. Il sera son attach� de presse et
deviendra son ami. Condamn� � mort par Mobutu, il s�enfuit et, de retour
� Tunis, participe aux c�t�s de Mahieddine Moussaoui � la cr�ation de la
premi�re agence de presse alg�rienne, APS. A l�ind�pendance, Salah
Louanchi lui confie le recrutement des journalistes de ce qui deviendra
El Cha�b puis la responsabilit� du journal. Il organise dans le m�me
�lan un stage de journalisme visant � former la premi�re g�n�ration de
journalistes alg�riens. Ce sera ensuite l�aventure d� Alger ce soir,
premier quotidien du soir cr�� avec Mohamed Boudia en 1964, r�alisation
pour laquelle il recevra le grand prix international des journalistes.
Serge Michel, ce sera encore le cin�ma alg�rien, le Festival panafricain
de la culture en 1969. Certains le verront partout, d�autres nulle part.
Mais il est l� agissant discr�tement � la construction de la jeune
R�publique alg�rienne. Lorsqu�� la fin des ann�es 1960, il quittera
l�Alg�rie estimant ne plus avoir les coud�es franches pour r�aliser ses
r�ves, il sera appel� au Congo Brazzaville pour une nouvelle aventure de
presse avant la Guin�e Bissau et les �les du Cap- Vert. A la mort du
pr�sident Boumediene, il rentre en Alg�rie et s�installe � Alger puis
dans le M�zab qu�il quittera en 1994 sous la pression de la mont�e du
fondamentalisme. Si l�on se perd parfois dans cette vie foisonnante, lui
suit toujours cette petite lumi�re qui le guidera ans sa qu�te et sa
conqu�te de libert�.
Le Soir d�Alg�rie : Pour reconstituer cette biographie que vous nous
livrez, vous avez d� d�fricher un demi-si�cle de lutte anticoloniale en
Afrique. Comment vous est apparue cette p�riode d�exaltation � partir du
d�senchantement d�aujourd�hui ?
Marie-Joelle Rupp : Un travail consid�rable pour moi qui partais,
pour ainsi dire, de z�ro. J�ai d�abord abord� l�Histoire qui est aussi
mon histoire, notre histoire, sous l�angle �motionnel, et m�me intime si
j�ose dire. Au d�but de ma recherche, la d�colonisation �tait li�e pour
moi � deux figures au destin tragique : le charismatique Patrice Emery
Lumumba, celui que l�on surnomma le Che africain, et l�avocat Ali
Boumendjel. Serge Michel ne cessait d��voquer leur m�moire et leur
martyre illustrait pour moi l�histoire de la d�colonisation dans le sang
et la douleur. Je me suis livr�e � un travail d�investigation � partir
de quelques indices qu�il m�avait laiss�s : ses deux ouvrages Uhuru
Lumumbaet Nour le voil�, ses interviews, ses articles de presse, sa
correspondance priv�e, le souvenir de nos entretiens. J�ai travaill�
ensuite sur les t�moignages que j�ai confront�s et recoup�s. Une
soixantaine de t�moins et acteurs de ce que l�on a appel� les Trente
glorieuses de la lib�ration des peuples colonis�s, en Italie, en Suisse,
en Belgique, en Alg�rie, en France bien s�r. Travailler sur un
personnage comme Serge Michel est tr�s difficile car sa vie �tait tr�s
cloisonn�e et chacun n�en connaissait qu�un aspect que les autres
ignoraient. Les ouvrages de r�f�rence, ceux de Mohamed Harbi, Gilbert
Meynier, Benjamin Stora, Henri Alleg entre autres, m�ont permis de
pr�ciser le contexte historique et de donner une r�elle assise � mon
travail. Cette recherche �tait exaltante car tous les acteurs de cette
�pop�e en gardaient une m�moire tr�s vive et tr�s color�e. J�ai
litt�ralement v�cu les moments forts de l�Histoire : Tunis au temps du
GPRA, L�opoldville et l�aventure congolaise, les 4 et 5 juillet 1962 �
Alger, l�Alg�rie Mecque des r�volutionnaires du monde entier, le Panaf
et la venue des Blacks Panthers et du Che. Quant au d�senchantement bien
s�r, il �tait l� et les mots r�v�laient parfois l�amertume tout autant
que les silences ou les non-dits. Mais chacun s�accordait � penser que
ce qu�il avait fait alors, il fallait le faire car la s�gr�gation
inh�rente � la colonisation �tait une insulte � l�humanit�. Apr�s,
c��tait une autre affaire.
Il y a une dimension personnelle dans ce travail. Racontez-nous la
rencontre avec le p�re.
Si je ne vous ai pas dit encore que Serge Michel �tait mon p�re, c�est
qu�il m�a fallu avant de me livrer � cette recherche me d�livrer de tout
l�aspect �motionnel. J�ai construit ma relation au p�re dans l�absence
et dans l�attente. Serge Michel a quitt� la France peu apr�s ma
naissance, �sur la pointe des pieds, comme un voleur d�butant�,
confie-t-il dans Nour le voil�. Pendant plus de quarante ans, il n�a pas
donn� signe de vie � sa famille. En f�vrier 1997, la Cha�ne III
rediffuse le film documentaire du cin�aste ha�tien Raoul Peck, La Mort
du proph�te, consacr� � Lumumba. Je d�couvre �berlu�e que mon p�re Serge
Michel est toujours vivant. Je le retrouve quelques semaines plus tard
dans la maison de mes grands-parents � Pierrefitte, dans la r�gion
parisienne. Nous nous sommes connus quatre mois jusqu�� sa mort le 24
juin. Quatre mois surr�alistes dans l�attente des questions qui ne se
poseront pas, des r�ponses qui ne viendront pas. Quatre mois de
tendresse, de douleur, de r�cits exalt�s et au-del� du d�senchantement,
de d�sespoirs et d�esp�rance entrem�l�s toujours et encore. Lui disparu,
il me fallait partir � sa recherche. R�pondre aux questions que je
n�avais pas os� lui poser. Qui �tait cet homme ? Quelle �tait sa qu�te ?
Pourquoi �tait-il parti ? Quelle cause valait-elle que l�on quitte sa
famille, sa patrie ? Quel �tait ce pays qu�il s��tait choisi ? C�est ce
que j�ai essay� de comprendre sur les traces de Serge Michel.
Serge Michel, c�est aussi le cin�ma. Qu�y a-t-il fait et comment
s�est-il retrouv� dans ce secteur ?
Ce fut d�abord le cin�ma militant pendant la guerre de Lib�ration.
Il fait alors partie de la commission cin�ma du GPRA. Il est dialoguiste
et commentateur des films de propagande destin�s � porter � la
connaissance de l�opinion publique internationale la lutte du peuple
alg�rien. A partir de 1965, il travaille pour Casbah Films, la soci�t�
de production de Yacef Sa�di et introduit les cin�astes alg�riens en
Italie. Il met ce dernier en relation avec Gillo Pontecorvo pour la
r�alisation et la production du film La Bataille d�Alger. Puis il est
assistant de Visconti sur le tournage de l�Etranger d�apr�s l��uvre de
Camus avant de collaborer � la r�alisation de diverses productions
alg�ro-italiennes au sein de l�ONCIC. Tr�s li� � Roberto Rossellini, il
travaillera � Rome dans les studios de son fils � la fin des ann�es
1960. Sa derni�re contribution au 7�me art a lieu � la fin des ann�es
1980. Il met en relation Jean-Claude Carri�re � qui m�a fait l�honneur
de pr�facer mon ouvrage � et le commandant Azzedine pour le tournage du
film C��tait la guerre.
Quand vous dites � son propos �un libertaire dans la d�colonisation �,
je serais tent� de vous demander, � la fois, ce qu�est un libertaire et
ce qu�est la d�colonisation.
Serge Michel, un libertaire dans la d�colonisation, c�est le sous-titre
choisi par mon �diteur. Un choix �clair�, j�en conviens. J�avais, pour
ma part, h�sit� entre Gaouri moudjahid dans un premier temps �
L��tranger, disait-il, dans ses moments d�amertume ou de lucidit�, c�est
moi et non pas celui de Camus � et Un aventurier des r�volutions, avant
de renoncer, aventurier pouvant �tre entendu dans un sens p�joratif et
r�volution pr�ter � contestation.Certains m�ont dit � propos de Serge
Michel qu�il �tait d�mocrate � ce qui n�est pas rien en Alg�rie �
trotskyste, d�autres communiste. Lui ne se d�finissait que s�il y �tait
tenu par des questions pressantes, toute appartenance �tant par
d�finition limitative. Alors, il se disait libertaire et m�me anarchiste
libertaire. Et c�est le terme, je crois, qui lui convient le mieux car
c��tait cet attachement visc�ral � la libert� de penser, de s�exprimer,
de d�sirer qui �tait le moteur de son engagement. D�ailleurs, le choix
de son pseudonyme confirme ce positionnement : Serge comme Victor,
r�volutionnaire russe, anarchiste avant de s�engager aux c�t�s des
Bolcheviks, et Michel comme Louise, la vierge rouge de la Commune de
Paris, haute figure de l�anarchisme. En tant que libertaire, pour qui la
libert� individuelle n�a de sens que si elle s�accomplit dans la libert�
de tous, la d�colonisation �tait un lieu privil�gi� d�action et la
r�volution un mouvement perp�tuel non r�ductible � un �v�nement, mais
toujours � recommencer. D�s lors, les contradictions ne pouvaient �tre
que flagrantes entre ses aspirations libertaires et la discipline
inh�rente � la lutte r�volutionnaire et � la mise en place d�un ordre
post-colonial.
Destin �trange et fascinant que celui de Serge Michel qui se r�sumerait
par cette image entre deux extr�mes : �tre enterr� soit dans le carr�
des indigents en France soit dans celui des martyrs en Alg�rie.
En France, il �tait d�muni de tout. Sa qu�te continuelle de l�utopie
�tait incompatible avec le profit. Il n�a jamais trahi son id�al. Il
racontera comment des grands noms de la finance am�ricaine lui
proposeront en vain des parts dans les mines de diamant pour intervenir
en leur faveur aupr�s du chef du gouvernement congolais. Pour la France,
c��tait un tra�tre. �Ces tra�tres qui ont sauv� l�honneur de la France�
titrait Dominique Vidal dans un article paru dans le Monde diplomatique
en septembre 2000. Il avait reni� ses origines et pris part au combat
aux c�t�s du FLN. En Alg�rie, il �tait un h�ros. Non pas un martyr. Il
est enterr� au carr� des chr�tiens � encore un paradoxe �. Je crois que
l�Alg�rie m�ritait bien de recevoir celui qui lui avait consacr� sa vie.
J�ajouterai n�anmoins que la pompe des obs�ques nationales de Serge
Michel en 1997 ne cesse aujourd�hui encore de m�interroger, m�me si
l��v�nement donne � ce personnage la dimension qu�� mon sens il m�rite
dans l�histoire de la nation alg�rienne.
Propos recueillis par Bachir Aggour Serge Michel
Serge Michel, un id�aliste dans l�action
Les plus anciens parmi les journalistes de la presse nationale se
souviennent sans doute de ce �gaouri� au visage anguleux, � la longue
silhouette efflanqu�e et � la tchatche m�diterran�enne. Missionn� par le
FLN par l�entremise de Salah Louanchi, il cr�e, d�s l�ind�pendance, le
quotidien Al ch�ab. En 1963, il met sur pied le premier stage de
journalistes professionnels avant de fonder, avec Mohamed Boudia, en
quatre jours, le quotidien du soir, Alger, ce soir. On le voyait hantant
les corridors des r�dactions, les arri�re-salles des annexes et le
brouhaha des imprimeries au point d�en devenir un �l�ment du d�cor.
Comment la presse alg�rienne aurait-elle pu rena�tre � l�ind�pendance
sans Serge Michel ? La question ne semblait m�me pas devoir se poser. On
pourrait croire qu�il a toujours �t� l� et, de fait, il a toujours �t�
un peu l�. Peu parmi les jeunes coll�gues qu�il formait savaient
cependant d�o� venait ce journaliste touche-�-tout qui avait plaqu� sa
France natale pour se lancer, � corps perdu, dans la bataille pour
l�ind�pendance de l�Alg�rie puis pour sa construction. Pour reconstituer
la biographie de cet homme de gauche fran�ais des ann�es 1940 devenu,
par go�t de l�aventure et par r�probation des injustices coloniales, un
combattant ind�pendantiste alg�rien, il a fallu � Marie-Jo�lle Rupp, sa
fille retrouv�e au terme d�une vie, une motivation �intime �, la
classique recherche du p�re, qui allait se transformer, chemin faisant,
en curiosit� puis en connivence militante. En 1997, elle d�couvre que ce
p�re, entrevu une seule fois quand elle avait quatre ans, �tait encore
vivant. Elle l�apprendra en regardant un documentaire � la t�l�vision.
Elle le cherche et le d�couvre dans un garni avant qu�il soit transf�r�
dans un h�pital, d�o� il ne sortira que pour soumettre ses proches au
dilemme suivant : �tre enterr� � la sauvette au carr� des indigents en
France ou � El Alia et en grande pompe � Alger ? Ce sera Alger et un
deuxi�me et dernier d�part vers sa patrie d�adoption, avec qui il aura
eu autant de d�m�l�s qu�avec sa patrie de naissance. On peut imaginer
l�intensit� des retrouvailles entre le vieux briscard rescap� d�au moins
trois guerres et d�un certain nombre de coups d�Etat, sans compter les
d�convenues personnelles y attenant, et sa fille qui aura pass� sa vie �
attendre et � chercher, tenaill�e par la peur de ce qu�elle risquait de
d�couvrir. Ils se questionnent mutuellement pendant quatre mois et,
petit � petit, Marie-Jo�lle Rupp s�aper�oit de deux choses. La premi�re
est qu�ils n�auront jamais, son p�re et elle, le temps de tout se dire,
la mort travaillant quotidiennement contre eux. La seconde est une
r�v�lation : le travail d��criture personnelle � vis�e th�rapeutique ne
suffira pas. Elle cherchait un p�re et elle d�couvre un continent,
l�Afrique, � un moment capital de son destin. Serge Michel, ce p�re qui
a plant� son pardessus sur le port de Marseille esp�rant le troquer
contre une peau neuve, a laiss� derri�re lui Saint-Denis, sa ville
natale, son nom, Lucien Douchet, ses parents, sa compagne et sa fille,
pour t�ter l�aventure de l�autre c�te de la mer. Il arrive � Alger au
d�but des ann�es 1950. Apr�s avoir �mat� les �meutes de 1945, la
colonisation est alors partie pour un bon bout de temps de
�tranquillit�. Du coup, les in�galit�s n�ont jamais �t� aussi franches
mais le mouvement national alg�rien, revenu des illusions des r�formes
politiques, s�aiguise en acceptant d�sormais l�id�e de l�action arm�e
comme voie menant � l�ind�pendance. Serge Michel arrive dans un
chaudron. D�s l�abord, il fr�quente les milieux nationalistes, le jour
les Udmistes de Ferhat Abbas, chez qui son ami Ali Boumedjel l�a
introduit, et le soir la bande � Kateb Yacine, qui �cumait La Casbah
inventant l��picurisme militant. Il travaille comme caricaturiste,
maquettiste, secr�taire de r�daction et continue, comme du temps de son
adolescence oisive o�, �pris de dada�sme, il fr�quentait Michaux, �
taquiner la plume, le fusain et, pour calmer l�une et l�autre, la muse.
Cette approche initiatique devait servir � comprendre tout � la fois les
d�chirements qui agitaient le mouvement national et les divergences
id�ologiques qui le constituaient. Lorsque Serge Michel se retrouve �
Tunis pour travailler aupr�s de Abbane Ramdane et Frantz Fanon, il est
en plein dans ces turbulences constitutives de la R�volution alg�rienne.
Mais, un moment, il y �chappe : Lumumba demande au GPRA de lui �pr�ter�
ce qu�on appellerait aujourd�hui un conseiller en communication pour
am�liorer son image, mal re�ue par les m�dias occidentaux. Ce sera Serge
Michel. Le leader africain et le �blanc� deviennent de vrais amis. Serge
Michel, qui ne quitte plus d�une semelle son � prot�g� � , manque de peu
succomber au coup d�Etat. Retour en Alg�rie : l�aube de l�ind�pendance
fait d�Alger La Mecque des r�volutionnaires. Serge Michel est
journaliste, et il fr�quente les Blacks Panthers , les leaders du
Frelimo, ceux du PAIGC et des autres mouvements de lib�ration africains
r�fugi�s � Alger. Amilcar Cabral, Agostino Neto viennent prendre le th�
avec lui. Che Guevara, de visite � Alger, est interview� par Serge
Michel pour Alger, ce soir. Cela donne une nuit de palabres. Puis vient
le coup d�Etat de Boumediene. Serge Michel participe � la production de
La bataille d�Alger, le film de Gillo Pontecorvo qu�il avait mis en
contact avec Yacef Sa�di. Quelques ann�es plus tard, il sera contraint
de quitter l�Alg�rie pour se r�fugier en Italie. C�est un autre exil,
plus dur que l�exil initial car il est plus facile de quitter une patrie
donn�e que d��tre brutalement d�poss�d� de celle qu�on a contribu� �
construire. A Rome, il se remet au cin�ma, dont il a eu une premi�re
exp�rience pendant la guerre de Lib�ration en contribuant � la naissance
du �cin�ma alg�rien� avec la r�alisation des films de propagande du FLN
puis du GPRA. La fin des ann�es 60 m�nera notre aventurier � sillonner
l�Afrique avec des haltes au Congo, en Guin�e Bissau et au Cap-Vert o�
il cr�e des journaux et des �coles de journalisme, forme des personnels
sp�cialis�s, conseille en communication. Chass� d�Alg�rie avec ce
premier go�t d�amertume sur les l�vres, il poursuit sur les terres
vierges de l�Afrique fra�chement d�colonis�e cette utopie qu�il a
commenc� � pister d�s l�adolescence. La fin de cette histoire ? Ayant
tout perdu, familles et nombre de ses amis, ses biens si tant est qu�il
n�en ait jamais eu, Serge Michel est de nouveau en Alg�rie au moment o�
le pays entre dans la zone de turbulences. M�me � Gharda�a, o� il a
trouv� refuge, l�int�grisme le poursuit. Il est forc� de jeter sa gourme
et de revenir, pour ainsi dire, sur les lieux de sa naissance, qu�il
avait fuis. C�est � ce moment que Marie-Jo�lle Rupp accouche de son
p�re, le personnage de son livre, apr�s l�avoir pist� � son tour �
travers tous les itin�raires o� l�a conduit un irr�m�diable id�alisme.
La somme de travail contenu dans cet ouvrage est proprement
impressionnante. L�auteure a d� compulser une centaine d�ouvrages, de
documents divers, de films. Elle a interview� � peu pr�s autant de
t�moins. Elle nous retrace, � travers cette biographie, un demi-si�cle
de combats anti-colonialistes exaltants et quelques ann�es de
d�senchantement r�volutionnaire. Au terme de ce voyage qui est un d�but
plus qu�une fin demeure cette question : quelle place l�utopie peut-elle
encore occuper dans un monde qui semble �tre revenu de tout ? La vie de
Serge Michel, port�e par un enchantement nuageux, y r�pond par cette
autre question : et si l�utopie n��tait que l�autre nom du bonheur, qui
n�est lui-m�me qu�une disposition int�rieure ?
B. A.
(*) Marie-Jo�lle Rupp, Serge Michel, un
libertaire dans la d�colonisation, pr�face
de Jean-Claude Carri�re, Ibis-
Press, Paris, 2007.
On peut consulter aussi le site : www.serge-michel.com
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