Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
Rite du 3 mai et frilosit� des autres jours
Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr


A travers des articles factuels et des �ditoriaux, d�appels �manant des professionnels ou des chroniques, la presse, �telle qu�en elle-m�me�, s�est autoc�l�br�e comme il se doit. Depuis que le rite du 3 mai fut institu�, elle n�a jamais failli � ce rendez-vous qui consiste � parler de �soi� quand le reste du temps, elle se consacre exclusivement au d�cryptage du pays. A l��vidence, nul ne s�aventure � lui faire grief de nombrilisme auto-satisfait. Bien au contraire, puisque les multiples textes publi�s dans ses colonnes attestent d�un v�ritable malaise.
H�las, m�me lorsqu�ils se rejoignent sur le diagnostic, les auteurs ne prescrivent que de vagues th�rapies face � l��rosion de la libert� d�expression. Le constat, chaque ann�e reconduit, n�a pourtant pas fait avancer d�un iota ce dossier �minemment politique alors que cette somme d�expertises s�est uniquement attach�e � �noncer des pistes de r�flexions �troitement techniques. Il en est de m�me des hommes politiques qui ont trouv�, en ce 3 mai, une opportunit� pour voler au secours de cette corporation en compatissant sur l�infamie des lois qui la r�gentent. L�on a, bien entendu, � l�occasion, ce chorus qui fustige l�article 144 bis du code p�nal gr�ce auquel les tribunaux embastillent l��criture impertinente. Sauf que l�on ne doit pas se priver de rappeler aux uns et aux autres que leurs frilosit�s du pass� �taient � l�origine de cette sc�l�ratesse. Bref, il y a des relents d�hypocrisie � s�insurger tardivement tout autant qu�il y a incontestablement un recul de la combativit� chez nos confr�res depuis la scandaleuse incarc�ration de Mohamed Benchicou. Apr�s 17 ann�es d�existence, seule la presse �crite est concern�e par ces r�currentes discussions tournant autour de l��thique et de la relation qu�elle doit entretenir avec les instances politiques. Comme si ces derni�res sont, par on ne sait quelle r�f�rence r�publicaine, exempt�es de morale. Fille l�gitime du s�isme d�Octobre 1988, elle s�est naturellement d�ploy�e contre les r�gimes et leurs relais ; et de fait s�est constitu�e en contrepouvoir actif au moment o� les partis politiques furent soit lamin�s soit instrument�s jusqu�� en �tre r�duits � des r�les de faire-valoir et d�alibi d�mocratique. Plac�s tr�s t�t dans l�inconfortable position de procureurs des gouvernants, les journaux ne pouvaient � eux seuls peser sur les m�urs politiques. De par la fragilit�s de ces entreprises �ditoriales, le rapport de force allait fatalement les amener � louvoyer jusqu�� c�der de leur ind�pendance d��criture face aux diktats �conomiques afin de survivre. Ce n�est, par cons�quent, pas la diversit� des lignes �ditoriales qui serait � l�origine de la d�sorganisation notoire de cette profession mais bien le souci d��chapper aux harc�lements subtils et incessants qu�elle subissait. D�s l�instant o� les partis politiques s�effac�rent les uns apr�s les autres et qu�il ne resta en vue qu�un carr� d�appareils acquis aux exactions liberticides, les journaux furent contraints d�assumer une confrontation in�gale ou tout au moins, bien au-dessus de leurs moyens de riposte. D�une alternance factice � une autre, la relation presse �crite - pouvoir allait se compliquer. Et il n�est pas s�r que par le pass� � c'est-�-dire avant 1999 � certains chefs de gouvernement ne furent pas, � un moment ou � un autre, enclins � censurer les journaux ou � sanctionner des plumes avec le m�me talent dans la brutalit� que ceux d�aujourd�hui. Sauf que, peut-�tre, il leur manquait l�arsenal du �144 bis�, et qu�en m�me temps, ils eurent quelques scrupuleux calculs � ne pas participer � la cur�e quand le terrorisme pourchassait une corporation. Autant affirmer sans d�tour que cette presse n�a jamais cess� d��tre dans l��il du cyclone d�un syst�me qui en a fait cyniquement son �ennemi intime� en diversifiant uniquement ses m�thodes r�pressives. C�est d�ailleurs faire injure � nos journalistes et � nos �diteurs que d�affirmer, � la suite de certains analystes pr�cautionneux, que la libert� d�expression a besoin de bien plus de temps que ces dix-sept ann�es qui nous s�parent de 1990. Ceux qui dans le m�me ordre d�id�es pr�conisent encore de la patience � la corporation devraient dans le m�me �lan de sagesse interpeller les pouvoirs politiques pour leur demander : �Jusqu�� quand allez-vous continuer � avoir la main lourde sur la presse ?� Apr�s trois lustres, cette profession est en droit aujourd�hui d�accuser la maison du pouvoir de casser d�lib�r�ment un acquis constitutionnel. Les libert�s �tant indissociables, elles sont par cons�quent le levain des bonnes r�publiques. Qu�elles se d�clinent dans la libert� de r�union ou dans la diffusion d�opinion, elles doivent m�riter le m�me traitement, c'est-�-dire les m�mes �gards. Or, nous n�en sommes pas l� encore, avec le droit d��crire sans censure. C�est au nom de ce respect d�un droit et de ce pr�alable d�mocratique que l�appel lanc� par le syndicat des journalistes (SNJ) s�adresse d�abord � la classe politique. La tentation totalitaire qui demeure la marque de fabrique du syst�me ne peut �tre contrari�e qu�en s�y opposant fermement et en urgence. Les journalistes semblent prendre la bonne mesure des enjeux futurs en exigeant justement des partis politiques qu�ils reviennent aux avant-postes de la r�sistance. Eux qui, par calculs d�appareils, op�r�rent des reculs (nous n�oserons pas �crire �d�sert�rent�) sont appel�s � mettre leur militantisme, nagu�re en berne, au service des libert�s menac�es. Dans sa tragique solitude, la presse ind�pendante ne peut plus continuer � assumer ces assauts qui l�affaiblissent jour apr�s jour. C�est de ce bouclier des courants authentiquement r�publicains qu�elle a le plus besoin pour ne pas succomber � la pire normalisation. A sa mani�re, Benchicou a r�cemment rappel� la m�me inqui�tude. En effet, il rejoint sur l�essentiel le SNJ quand il �crit que : �(�) la libert� de la presse en Alg�rie n�est � l�abri d�aucun autodaf� et il n�est pas inutile de r�p�ter en ce 3 mai 2007 que le pouvoir alg�rien reste r�solument l�ennemi du pluralisme.� (1) Dans ce pays rong� par le doute, n�est-il pas imp�ratif d�aller au-devant de la presse afin qu�elle retrouve sa combativit� dans l��criture sans laquelle rien ne sera possible pour l�avenir ? Reconqu�rir une pugnacit� �rod�e est un combat qui se m�ne � deux : parti - presse. C�est, semble-t-il, la seule le�on d�un morose 3 mai 2007. Quant au reste, � savoir les projets de statut ou la r�activation des instances de r�gulation, il ne se fera que lorsqu�on se r�appropriera notre libert� de tout �crire sans craindre les �crous des prisons ni le chantage de la haute administration.
B. H.
(1) Cit� � partir du communiqu� de Mohamed Benchicou publi� dans Le Soir d�Alg�rie du mercredi 2 mai.

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