Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS Remember Jos�phine Baker Par Arezki Metref [email protected]
Qui est-ce qui a dit : �Donnez-moi un point d�appui et je soul�verai
le monde ?� Un point d�appui ? Un point de vue ! Selon que l�on soit l�
ou ailleurs, on ne voit pas les choses de la m�me mani�re, c�est
l��vidence. Il arrive que je ne sache pas d�o� je vais devoir t�envoyer
la missive (quel joli et �nigmatique mot !) hebdomadaire. Il arrive
aussi qu�au lieu des antipodes, je te l�exp�die, comme maintenant, du
centre du monde, lequel centre du monde n�est pas le m�me pour tout le
monde. Tu ne vois pas o� c�est, le centre du monde ? Pour Dali, c��tait
la gare de Perpignan, pour toi, �a devrait �tre celle de l�Agha et pour
moi, c�est tout simplement l�endroit o� j�ai pouss�. Eh, oui ! Si ce
n�est pas du narcissisme, c�est automatiquement de l�autod�rision. Du
centre du monde, donc ! Mieux : je t��cris ces quelques lignes de la
chambre m�me o�, enfant men� en bateau, je r�vais de voyages merveilleux
et lointains. Je me voyais en marin sillonnant les mers et quand j�ai
su, par des indiscr�tions de sir�nes, que les travers�es, je ne les
ferai que dans les bouquins, j�ai d�l�gu� mon mal de mer � ces deux
potes : Sindbad et Ulysse. Ils ont fait pour moi, et pour toi, les
voyages que tu sais. Marin d�eau douce, marin en chambre ! Les murs de
cette derni�re sont maintenant couleur cr�me et les rideaux en velours
grenat. Sur un des murs, j�ai accroch� la reproduction pour un
calendrier anglais d�un tableau repr�sentant Taassast. Le tableau est de
Azwaw Mammeri. C�est le professeur Driss Mammeri, son fils, qui me l�a
offert il y quelques semaines. J��tais all� le trouver pour qu�il
participe au documentaire sur At Yani que nous nous �chinons, Yazi Arab
et moi-m�me, � tirer du n�ant. Driss Mammeri nous a re�us avec beaucoup
d��l�gance dans sa salle de s�jour tapiss�e des tableaux de son p�re.
Parmi les paysages et les portraits marocains et kabyles, un tableau
repr�sentait l�artiste noire am�ricaine Josephine Baker. Il m�avait
assur� qu�il n�avait rien de particulier � raconter en dehors de son
exp�rience de m�decin de sant� publique � At Yani dans les ann�es 1950.
J�insiste sur ce tableau de Jos�phine Baker. Il finit par accepter de
raconter l�histoire devant la cam�ra. Alors qu�il �tait directeur des
arts indig�nes au Maroc, Azwaw Mammeri, instituteur devenu un des
peintres phares des ann�es 1920 � 1940, re�oit chez lui Jos�phine Baker.
Elle s�journe pendant un mois dans sa famille. Driss, qui �tait alors
enfant, voyait cette dr�le de femme, toujours de bonne humeur, chantant
et dansant � longueur de journ�e, emplissant la maison de sa voix de
saprone. Elle demande � Azwaw de faire son portrait. Il la peint dans
une robe portugaise, celle-l� m�me qu�elle porta pendant son s�jour chez
les Mammeri. Apr�s le d�c�s de ce peintre pionnier dont l�histoire
m�rite d��tre racont�e � ce qui se fera plus tard et quelque part �, ses
enfants ont h�rit� de ses tableaux. Il leur a fait promettre que les
�uvres restent dans la famille. C�est pourquoi les murs de la maison du
docteur Driss Mammeri sont un peu comme ceux d�un mus�e. Pendant le
tournage du documentaire, j�ai �t� intrigu� d�abord par la pr�sence du
portrait de Jos�phine Baker et, dans un deuxi�me temps, par la
banalisation du r�cit que voulait en faire Driss Mammeri. J�ai d� lui
dire : Tout le monde ne peut pas affirmer : enfant, j�ai vu Jos�phine
Baker danser sur la terrasse de notre maison. L�autre jour, Yazid Arab
m�a t�l�phon� pour m�annoncer le d�c�s de Driss Mammeri. Salut � toi,
grand fr�re des racines ! Revenons au centre du monde. La t�l�, il n�y
en avait pas. On �coutait Greame Allright chanter L��tranger version
fran�aise � l�heure de la sieste dans une �mission de la Cha�ne III.
Aujourd�hui, le poste radio sert de d�cor r�tro et, � c�t�, un
t�l�viseur est bloqu� sur des clones des stars de la Star�Ac chantant un
chant nasal en se tr�moussant sur un bruit d�orchestre. Je laisse tomber
la t�l� pour me rappeler un peu les sensations du pass�. J�allume la
radio, un poste high-tech, du coup, et je tombe non pas sur L��tranger
de Cohen repris par un �mule mais sur le professeur Ziari r�ussissant,
devant une journaliste pleine de pugnacit� pour donner son accord � son
invit�, la d�licate chirurgie de transformer des vessies en lanternes.
Sous la conduite du pr�sident Bouteflika, les Alg�riens ont d�sign�, �
travers un vote d�mocratique, leurs repr�sentants et patati et patata.
Pour un peu, on croirait ! C�est dit avec tellement de conviction qu�on
finit par douter de ses propres doutes. C�est gratin� mais �a ne vaut
pas la r�action in�dite de notre fringant Premier ministre du second
r�gne mouillant le RND dans le trucage des �lections attribu�es au seul
FLN. Non, mais ! Qu�est-ce que �a � voir avec Jos�phine Baker ? Rien. Je
retourne � mon centre du monde. Tout y est possible.
A. M.
P. S. d�ici : Condol�ances les plus attrist�es � la famille de
Driss Mammeri, un grand monsieur !
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