L'ENTRETIEN DU MOIS : L'Entretien du Mois � C�est la R�volution alg�rienne qui a port� les diplomates alg�riens, ce ne sont pas les diplomates alg�riens qui ont port� la R�volution alg�rienne � (Entretien avec Lakhdar BRAHIMI, men� par Mohamed Chafik MESBA
BIO EXPRESS DE Lakhdar IBRAHIMI
Lakhdar Brahimi est n� le 1er janvier 1934 � El Azizia dans le pays
profond en Alg�rie. Son p�re, Salah �tait propri�taire terrien et petit
fonctionnaire (l�appellation exacte est �khodja�) dans l�administration
de la petite commune. Le p�re qui souffrait, de n�avoir pu acc�der �
l�instruction, nourrissait, cependant, l�ambition de voir son fils
Lakhdar obtenir le certificat d��tudes primaires, parchemin pris� �
l��poque .Le souhait sera exauc�, mais apr�s la mort du p�re. Orphelin
d�s son jeune �ge, Lakhdar BRAHIMI se rendra pour une ann�e � Ain Bessem,
afin d�y pr�parer l�examen d�entr�e � la fameuse Medersa d�Alger o�
�tait dispens� un enseignement bilingue. Lakhdar BRAHIMI cl�ture ses
�tudes � la Medersa, en 1953, en raflant le premier prix au Concours
G�n�ral d�Arabe ouvert aux lyc�ens de France et d�Afrique du Nord. Il
entame, aussit�t apr�s, ses �tudes � la Facult� de Droit et l��cole des
Sciences Politiques d�Alger, avant de rejoindre, en Septembre 1955, la
capitale fran�aise. Apr�s avoir �t� �lu Vice-pr�sident de l�AEMAN
(Association des �tudiants Musulmans d�Afrique du Nord) � Alger en 1954,
il prend une part active � la cr�ation de l�UGEMA dont il est Vice-
pr�sident. Il se trouve pris, comme la quasi-totalit� des �tudiants,
dans le tourbillon de l�agitation qui gagnait les rangs de la communaut�
universitaire. Il s�engage dans l�action politique et se d�tache de ses
�tudes. Avril 1956, l�UGEMA, en concertation avec le FLN, le d�p�che en
compagnie de Mohamed Seddik BENYAHIA � la Conf�rence des �tudiants
d�Afrique et d�Asie qui devait se tenir � Bandoeng, ville o�, l�ann�e
pr�c�dente, avait eu lieu la Conf�rence historique des pays non-align�s.
La r�union termin�e, Mohamed BENYAHIA et Lakhdar BRAHIMI se mettent � la
disposition de la d�l�gation du FLN � l��tranger. Lakhdar BRAHIMI reste,
cependant, � Djakarta o�, pendant cinq ans, il repr�sentera le FLN,
�tendant son activit� vers les autres pays de la r�gion, notamment la
Malaisie, la Tha�lande, la Birmanie et Singapour. Il apprend
l�indon�sien et �tablit des rapports de sympathie avec le Pr�sident
SOEKARNO qui le re�oit volontiers. Ce n�est qu�en 1961, qu�il est
rappel� au Caire, si�ge du Minist�re des Affaires Etrang�res du GPRA.
Apr�s l�ind�pendance, il effectue un bref interm�de dans
l�administration centrale au Minist�re des Affaires �trang�res avant
d��tre d�p�ch� par le Pr�sident Ahmed BEN BELLA, en Mars 1963, comme
premier Ambassadeur de l�Alg�rie ind�pendante au Caire. Il s�introduit
dans les cercles cairotes les plus influents, se lie d�amiti� avec
Hassanein HEYKAL et parvient m�me � nouer des rapports privil�gi�s avec
le Pr�sident NASSER. Cette position lui permet, sans doute, de
contribuer � instaurer des rapports directs entre les Pr�sidents
alg�rien et �gyptien. Le Pr�sident BOUMEDIENE se prend, en effet,
d�attention affectueuse pour Lakhdar BRAHIMI qu�il re�oit r�guli�rement
en t�te � t�te. Cette attention lui vaut de rester en poste dans la
capitale �gyptienne jusqu�en 1970. De retour � Alger, il reste au
Minist�re des Affaires �trang�res une ann�e, puis de nouveau est affect�
comme Ambassadeur � Londres, en Grande Bretagne. De 1988 � 1991, il
accomplit de mani�re laborieuse et pers�v�rante, une mission de
m�diateur au Liban en vue de la conclusion des accords de Taef, mandat�
par la Ligue Arabe dont il est devenu Secr�taire G�n�ral- Adjoint. En
1991, il revient en Alg�rie pour occuper les fonctions de Ministre des
Affaires �trang�res mais il d�missionne d�s 1993. Le Secr�taire G�n�ral,
son ami, Boutros GHALI, fait aussit�t appel � lui et le d�signe Envoy�
sp�cial de l�ONU au Za�re o� il effectue plusieurs visites en vue
d�aider � remettre en marche un pays paralys�. Apr�s cet �pisode, il
assume, la m�me ann�e, la fonction de repr�sentant sp�cial de l�ONU pour
l�Afrique du Sud � la t�te de la Mission d�observation charg�e de
superviser les �lections qui mettent fin au r�gime de l�apartheid. La
m�me ann�e, il devient Envoy� sp�cial du Secr�taire G�n�ral de l�ONU au
Y�men pour aider � mettre fin � la guerre civile. En 1996, Lakhdar
BRAHIMI est le repr�sentant sp�cial de l�ONU en Ha�ti o� l�ONU aide le
pays � se relever des suites de la dictature des Duvalier et celle des
militaires qui avaient renvers� le Pr�sident Aristide. De 1997 � 1999,
Lakhdar BRAHIMI est Envoy� sp�cial de l�ONU pour l�Afghanistan mais il
se d�met de cette charge en septembre 1999, pour protester contre le
manque d�int�r�t du Conseil de s�curit� pour la crise en Afghanistan.
Toujours au sein de l�ONU, il exerce, de 1999 � 2001, les fonctions de
Secr�taire G�n�ral Adjoint, charg� des missions sp�ciales de soutien au
maintien de la paix. Sa notori�t� internationale le conduit � pr�sider
en 2000, une commission de personnalit�s charg�e d�une r�flexion sur les
op�rations de maintien de la paix qui produit un rapport � le Rapport
BRAHIMI �. Apr�s la chute du r�gime des Talibans, il est de nouveau,
repr�sentant sp�cial du Secr�taire G�n�ral de l�ONU pour l�Afghanistan
o� il est responsable de l�action des Nations Unies pour la
reconstruction de l��tat afghan. En f�vrier 2004 il accepte �
contrec�ur, une mission temporaire pour le compte des Nations Unies en
Irak dont il se d�charge en Mai de la m�me ann�e. De 2004 � 2005, il est
le Conseiller sp�cial du Secr�taire G�n�ral de l�ONU, puis d�missionne
de l�administration onusienne, le 31 d�cembre 2005. Apr�s sa retraite,
Lakhdar BRAHIMI est coopt�, en Septembre 2006, comme membre de l��cole
des Sciences Sociales � l�Institut des �tudes avanc�es (Institute for
Advanced Study) de Princeton, prestigieux �tablissement universitaire
am�ricain. Lakhdar BRAHIMI est Docteur Honoris Causa de l�Universit�
am�ricaine de Beyrouth, de l�Universit� britannique d�Oxford, de
l�Universit� fran�aise de Nice (Facult� de Droit) et de l�Universit�
italienne de Bologne (Facult� de Droit). P�re de trois enfants, Lakhdar
BRAHIMI est mari� � la fille d�un ex-officier yougoslave, ami de Ben
Bella, avait particip� au transport d�armes vers les maquis alg�riens et
qui a trouv� la mort � bord de l�un de ces bateaux en 1956.
Paris 23 juin 2007
En 1987, alors que je pr�parais un m�moire de recherche relatif au
conflit du Sahara Occidental, j�avais eu � rencontrer Nicole GRIMAUD,
r�put�e experte des questions de politique �trang�re au Maghreb. Quelle
ne fut ma surprise lorsqu�elle m�apostropha de mani�re intempestive : �
Monsieur MESBAH, vos responsables sont-ils conscients qu�une
interruption de substance va affecter le processus de renouvellement du
corps diplomatique de votre pays apr�s la disparition pr�visible � terme
de cette g�n�ration de �diplomates- militants�, dont les exploits ont
�maill� la sc�ne internationale?. Accordant du cr�dit � cette
pr�diction, je me suis rem�mor�, alors, l�image de ces �
diplomates-militants �, celle de Lakhdar BRAHIMI s�imposant plus
particuli�rement, � mon esprit. Comment, en effet, remplacer les figures
embl�matiques de la diplomatie alg�rienne par de jeunes pr�tendants,
bien loin du niveau de qualification, de la hargne au labeur et,
surtout, de la force de conviction des a�n�s? T�che difficile mais non
impossible, il eut fallu, sans doute, pour r�ussir le passage de
flambeau, que ces cadets piaffant d�impatience, cultivent le culte des
a�n�s, en commen�ant par consigner, pour l�histoire, les prouesses
diplomatiques et, parfois, les �checs objectifs, que ces �diplomates-militants�
ont inscrit au registre de la guerre diplomatique men�e par le FLN en
faveur de l�ind�pendance de l�Alg�rie. Dieu et les historiens savent
combien cette guerre n�a pas �t� accessoire dans le r�sultat final. Il
eut tant �t� souhaitable, � cet �gard, que ce fut un jeune diplomate, en
effet, qui se substitua � moi, dans cet entretien avec Lakhdar BRAHIMI,
puisque l�objectif est, exclusivement, de laisser trace, pour la m�moire
nationale, d�une exp�rience unique sous forme de pi�ce � verser �
l�histoire de la diplomatie alg�rienne. Il faut rendre hommage, � cet
�gard, � Lakhdar BRAHIMI d�avoir accept� d�accorder cet entretien, non
pas � quelque prestigieux organe occidental, voire am�ricain, mais �
deux quotidiens alg�riens, lus, d�abord, par les Alg�riens. Revenons au
corps de l�entretien accord� par Lakhdar BRAHIMI pr�cis�ment. Je suis
frapp� par l�application m�ticuleuse qu�il a mis pour pr�parer cet
entretien, s�interrogeant, avec modestie, sur certaines omissions
�particuli�rement lorsqu�il se rendit compte avoir omis de citer ses
compagnons aujourd�hui disparus, M�hamed YAZID et Abdelkader TCHANDERLI
- voire sur des lourdeurs jug�es p�nalisantes pour le lecteur, me
confiant, en ce cas, la libert� de supprimer ce qui �tait superflu. Il
�tait amusant, aussi, de relever l�empreinte de l�influence anglosaxonne
dans la r�flexion de Lakhdar BRAHIMI, lequel, se livrant � un travail de
conceptualisation des ph�nom�nes internationaux, laissait �chapper,
parfois, des formules typiquement anglaises et, forc�ment,
intraduisibles en l��tat. Lorsque Lakhdar BRAHIMI retrace son itin�raire
individuel, notamment son enfance dans un environnement rural marqu�,
ses ann�es � la Medersa d�Alger, les conditions de son adh�sion � l�UGEMA
puis le saut dans l�action diplomatique �militante � au sein du FLN, un
signe de gratitude de la part du narrateur est perceptible pour
l�opportunit� qui lui est offerte de s�exprimer .A l��vidence, Lakhdar
BRAHIMI voulait se retourner sur son pass�, jusqu�� l��ge de son
enfance, pour en laisser trace.
Son r�cit est pr�cis, clair et �maill�
de faits faciles � recouper. Son souci d��voquer ses compagnons comme
pour dire qu�il leur doit la notori�t� internationale dont il peut se
pr�valoir est omnipr�sent tout le long du r�cit. S�agissant des
d�veloppements relatifs aux relations internationales proprement dits,
Lakhdar BRAHIMI ne se d�partit pas de la retenue l�gendaire qui
d�termine le comportement des diplomates .Il met volontiers, cependant,
� le pied dans la fourmili�re �, en adoptant, parfois, des positions qui
le situent aux antipodes des id�es re�ues, notamment, � propos de la
politique ext�rieure am�ricaine. Loin de moi l�impertinence de juger de
la r�flexion th�orique et de l�exp�rience pratique de Lakhdar BRAHIMI
.Je livre, cependant, mon sentiment d��tonnement, � propos du ton
d�humilit�, si peu habituel chez nos responsables, avec lequel Lakhdar
BRAHIMI, selon le cas, att�nue son r�le o� reconna�t ses torts. Press�
d�expliquer les raisons des succ�s diplomatiques recueillis au cours de
la guerre de lib�ration nationale par cette g�n�ration de �
diplomates-militants �, il se suffira de cette seule sentence : � C�est
la R�volution alg�rienne qui a port� les diplomates alg�riens, ce ne
sont pas les diplomates alg�riens qui ont port� la R�volution alg�rienne
�. �voquant, d�autre part, son r�le de m�diateur dans le conflit qui
s�vit toujours en Irak, il assume, sans ambigu�t�s, ses torts : � En
toute humilit�, je reconnais avoir commis, l�, une faute �. Laissons le
lecteur d�couvrir par lui-m�me ce ton d�humilit� avec lequel r�pond
Lakhdar BRAHIMI, sans rien c�der, cependant, quant � la densit� des
id�es et � la richesse des pistes sugg�r�es. Cet entretien apporte un
�clairage, incontestablement nouveau, sur le syst�me naissant de
relations internationales. Lors des contacts pr�liminaires, � cet
entretien, j�avais propos� � Lakhdar BRAHIMI de s�expliquer sur les
critiques que certains milieux avaient laiss� se d�velopper � son
encontre en Alg�rie alors qu�il exer�ait les fonctions de Ministre des
Affaires �trang�res. Voici, �difiante, sa r�action : � Si MESBAH, vous
me proposez de participer � une t�che de facture acad�mique afin de
laisser trace de mon exp�rience diplomatique et voil� que vous vous
affairez � m�entra�ner vers un caniveau !? �. Il m�est revenu �
l�esprit, alors, cette sc�ne tout � fait singuli�re o�, courant 1993, le
jour m�me de sa d�mission de ses fonctions de Ministre des Affaires
�trang�res, Lakhdar BRAHIMI pr�sidant une s�ance de travail sur la
limitation des armements chimiques, � laquelle j�assistais au titre de
l�Institut National des �tudes de Strat�gie Globale, affichait un
s�rieux exemplaire, une s�r�nit� ostensible et, peut-�tre m�me, un
flegme discret. Ayant eu connaissance, auparavant, de la d�mission
accept�e du Ministre des Affaires �trang�res, je fus intrigu� par cette
attitude de s�r�nit� car, combien d�autres responsables, en situation
similaire, auraient manifest�, � travers leur mine, exasp�ration,
courroux et ranc�ur. Je compris, ult�rieurement, que Lakhdar BRAHIMI, ne
faisait pas de l�exercice des responsabilit�s officielles une fin en
soi. Il accordait autant d�importance � l�autre vie, faite de plaisirs
intellectuels et de joies familiales. Plaisirs intellectuels ? Le voil�,
justement, invit� d�honneur, vaquant � des occupations de l�esprit, au
sein de la prestigieuse Universit� am�ricaine de Princeton. Joies
familiales ? Le voil�, pr�cis�ment, qui pr�pare un voyage presque
rituel, en Indon�sie, pour visiter en famille, les familles de ses
anciens compagnons indon�siens du temps o� il repr�sentait le FLN �
Djakarta. Voil�, sous forme de symbole, l�inspiration d�un projet ou, du
moins, l�empreinte d�une vie�
Mohamed Chafik MESBAH
[email protected]
I. L�itin�raire personnel :
Mohamed Chafik MESBAH : C�est un plaisir et un honneur que de
vous rencontrer, M. Lakhdar BRAHIMI, puisque votre notori�t�
internationale, en ces moments o� l�Alg�rie peine � retrouver son
rayonnement d�antan, a d�j� inscrit votre nom au fronton de l�histoire
contemporaine, gr�ce au r�le appr�ciable que vous avez jou� dans un
nombre important de crises actuelles ou pass�es. Commen�ons par une
question qui peut para�tre d�sinvolte mais dont vous comprendrez sans
doute, le symbole, l�action diplomatique vous manque-t-elle ?
Lakhdar BRAHIMI : L�action diplomatique ne me manque pas vraiment.
Tout d�abord parce que l�exp�rience que je tente depuis bient�t une
ann�e est fascinante. Pour la premi�re fois depuis que j�ai abandonn�
mes �tudes en 1956, je me trouve dans un milieu universitaire. Les
s�minaires auxquels je participe depuis Septembre de l�an dernier
portent justement sur �Le Tiers Monde aujourd�hui�. Il est int�ressant
et instructif de d�battre de ce sujet, dont j�ai une connaissance
pratique, avec des professeurs qui en ont une connaissance acad�mique.
Surtout que ces professeurs viennent de pays et d�horizons diff�rents.
Il y a naturellement une majorit� d�am�ricains, mais il y a aussi des
chercheurs d�autres nationalit�s : un jama�cain, une pakistanaise, un
fran�ais et deux chinois. Celui-ci travaille depuis 30 ans sur l�Afrique
dont il parle plusieurs langues, celle-ci parle arabe et connait � fond
la Syrie et le Y�men. Cet autre fait un travail impressionnant sur
Bandoeng, le non-alignement et la question de la souverainet�. Cette
autre �crit un livre sur l�Islam en Bulgarie et une autre enfin publie
un ouvrage sur � la question du foulard � en France. Ceci dit, on ne
tourne pas le dos d�finitivement � une carri�re qui s�est prolong�e sans
discontinuer toute une vie durant. Je reste donc en contact assez �troit
avec les Nations Unies, avec mes anciens coll�gues de l�ONU ainsi que
des journalistes, des enseignants et des diplomates qui s�adressent �
moi de temps � autre pour discuter des probl�mes que je connais un peu.
On me demande aussi de participer � des s�minaires ou de donner des
conf�rences se rapportant aux m�mes sujets.
MCM : Vous appartenez � cette g�n�ration d��tudiants qui se sont
retrouv�s happ�s par le cours de la guerre de lib�ration nationale, une
v�ritable r�vo- lution politique, �conomique et sociale en fait, sans
prendre le temps, parfois, de � r�fl�chir leur engagement � .Mais, avant
d�en arriver � cet �pisode, �voquons votre enfance que d�aucuns parmi
vos proches qualifient de difficile mais de studieuse �
LB : Vous avez raison de dire que l�engagement dans la lutte pour la
lib�ration s�est fait pour nous � sans r�flexion � : il n�y avait pas
lieu de r�fl�chir. Le pays �tait pr�t pour cette grande aventure et il
me semble que chacun, la o� il se trouvait, a rejoint les rangs de
mani�re spontan�e. Je suppose que nous y reviendrons au cours de
l�entretien. Quant � l�enfance, elle fut celle d�un enfant n� � la
campagne, loin de la route goudronn�e, donc de la voiture, de
l��lectricit� et des Fran�ais. Nous vivions dans la ferme ancestrale, en
�conomie ferm�e. Nous mangions ce que la terre produisait et que nos
m�res ou nos s�urs pr�paraient � la maison. Nous n��tions pas riches au
sens de la richesse que l�on voit aujourd�hui. Mais pour l��poque et
dans le milieu environnant, nous �tions certainement dans l�aisance.
Personne dans ma famille proche n�a �t� atteint, mortellement, par
l��pid�mie de typhus qui a ravag� une bonne partie de l�Alg�rie et dont
Lakhdar Ha- mina a reproduit des images poignantes dans � les ann�es de
braise �. Personne n�a eu faim, non plus autour de moi alors qu�il y a
eu une quasi-famine dans la r�gion pendant ces ann�es de la deuxi�me
guerre mondiale. Nous n�avions pas froid non plus. Mais notre table
�tait frugale, nos v�tements � tra- ditionnels, bien sur � modestes et
notre vie simple. Dans son dernier ouvrage, � Des Mots et des Lieux,
souvenirs d�une Alg�rie oubli�e �, Mostefa LACHE- RAF, en parlant de sa
propre enfance, a d�crit un monde qui �tait le mien, il l�a d�crit mieux
que je ne saurai le faire. A cette diff�rence pr�s que dans son village,
Sidi Aissa, l��cole publique (fran�aise) et l��cole coranique �taient
toute deux sur place. Pour moi, l��cole publique se trouvait � quelques
kilom�tres de la maison au bord de la route goudronn�e, justement - et
nous nous y rendions � dos d��ne et quelquefois � pied. Quant �
l�instruction coranique, elle �tait dispens�e chez nous, � la ferme, par
un � Cheikh � qui vivait � demeure et qui nous enseignait le coran le
matin, � l�aube, et en fin de journ�e, avant et apr�s l��cole publique.
Je ne me souviens pas avoir vu un m�decin durant les douze premi�res
ann�es de ma vie. Sauf le Dr. KEST qui suivait la tuberculose de mon
p�re et qui venait d�Alger au printemps pour chasser aux alentours. Je
ne me souviens pas avoir vu avoir vu d�autres Fran�ais jusqu>� l��ge de
10 ans. Sauf une fois, lorsque mon p�re m�amena avec lui � Alger -
probablement en 1944- pour se faire examiner, juste- ment, par le Dr.
KEST. Se rendre � Alger � l��poque, en autocar, bien sur, �tait toute
une exp�dition que l�on pr�parait soigneusement pendant plusieurs jours
et dont on parlera longtemps autour de soi. Qu�il n�y ait pas eu de
m�decin dans notre vie, � l��poque, n�est sans doute pas �tranger au
fait que ma m�re a perdu quatre de ses neuf enfants en bas �ge et que ma
s�ur a�n�e soit morte � vingt ans.
MCM : A propos de cette enfance, juste- ment, quels sont les
souvenirs qui vous re- viennent, le plus fortement, � l�esprit ?
LB : Vous avez raison de dire le plus fortement. Les souvenirs
d�enfance renvoient, en effet, � la vie tr�s dure des femmes dans les
milieux campa- gnards de l��poque. Il faut absolument en parler. Elles
�taient les premi�res lev�es, les derni�res � manger et les derni�res �
se coucher. Une femme, pauvre ou riche, n�arr�te jamais de travailler :
ranger les matelas et les couvertures au matin puis, la journ�e durant,
balayer, essuyer, p�trir le pain et le faire cuire au four ou sur le �
tajine �, rouler le cous- cous, faire la cuisine, faire manger tout le
monde, faire la vaisselle et laver le linge.
En saison, les femmes
faisaient s�cher les tomates ou la viande, faisaient provision de tout
ce qui peut se pr�server, occasionnellement elles n�h�sitaient pas �
faire des confitures. En saison, elles avaient la charge de laver la
laine, la filer, la teindre, de monter le m�tier � tisser pour faire
tapis et couvertures pour toute la famille. Avec tout cela il leur
fallait, en plus, trouver le temps de choyer les enfants et de leur
raconter des histoires durant les longues soir�es d�hiver. Je sais que
beaucoup a �t� �crit sur le su- jet. Mais il me semble que l�hommage
qu�elles m�ritent n�a pas �t� rendu � nos m�res et � nos s�urs. A la
mort de mon p�re, nous avons d�m�nag� � Bir-Rabalou (�pel� Biraghbalou
maintenant) dans une autre ferme de la famille, o� vivait, entre autres,
mon oncle Kaddour. C��tait l�hiver 1945.Je conserve le souvenir
persistant de notre instituteur, Cheikh Ali ARBAOUI, un ami de mon p�re
qui me disait, le printemps de cette ann�e l�, que l�on venait de
d�couvrir � un m�dicament qui est arriv� quelques mois trop tard pour
ton pauvre p�re �.Je com- prendrai plus tard qu�il s�agissait de la
p�nicilline.
MCM : La mort pr�matur�e de votre p�re semble vous avoir beaucoup
affect� pour le reste de votre vie�.
LB : Mon p�re avait tout juste quarante ans quand la maladie
l�emporta. On dirait aujourd�hui qu�il est parti beaucoup trop jeune.
Pas � l��poque, pas dans notre r�gion en tous les cas, o� la moyenne
d��ge �tait inf�rieure � quarante ans. Je me souviens tr�s bien de mon
p�re ; au plan physique s�entend. On disait � on dit encore � autour de
moi que c��tait � un homme g�n�reux �. Il �tait respect� dans la famille
; craint aussi parce que, disait-on, il �tait s�v�re et peut-�tre aussi
col�reux. Il �tait certainement s�v�re avec nous autres enfants, pas
seulement les siens, mais ceux de toute la famille. On racontait avec le
sourire que son fr�re a�n�, Ah- med, pas du tout s�v�re quant � lui,
mena�ait ses propres enfants en leur disant : � je vais dire � votre
oncle Salah� �. Il n�y avait pas de familiarit� entre mon p�re et nous.
Je ne me souviens pas d�un bai- ser, d�une caresse, d�un mot gentil de
sa part. La plus grande manifestation d�affection dont j�ai sou- venir,
c�est une fin de journ�e d�hiver o� il attendait mon retour de l��cole,
dehors, sous une pluie bat- tante. Il y a deux oueds entre notre ferme
et l��cole. Les traverser sous la pluie n��tait pas chose facile, m�me �
dos d��ne. M�me du haut de mes huit ans, j�ai vu combien il �tait
soulag� de me voir arriver� C�est � deux mois de sa mort, peut-�tre un
peu plus, que mon p�re s�est rapproch� de moi. C��tait la fin de l�ann�e
1944 et en un hiver particuli�rement ri- goureux, des mots capt�s lors
de conversations entre grandes personnes m�avaient appris que mon p�re
n�allait pas bien du tout... Je pense que je sa- vais qu�il n�en avait
plus pour longtemps. C�est l� qu�il a commenc� � m�appeler pour rester
avec lui, le soir, apr�s un d�ner que nous ne prenions natu- rellement
pas avec lui. Il �tait assis devant sa che- min�e et je m�asseyais un
peu en retrait, presque derri�re lui, en l��coutant parler. Il ne me
serait pas venu � l�id�e de lui poser des questions. J��coutais donc ces
longs monologues, soir apr�s soir. Il me parla de sa propre enfance, du
fait que son demifr�re Kaddour et lui-m�me �taient les plus jeunes des
sept fils de � Hadj Brahim�. Il me pr�cisera que son demi-fr�re et
lui-m�me �taient tr�s jeunes lorsque leur p�re mourut alors que les
autres fr�res � �taient d�j� des hommes, mari�s ou en �ge de l��tre �. A
l��vidence il voulait me dire ainsi qu�il fut orphelin � un �ge encore
plus tendre que le mien. Il me dit aussi comment mon oncle Kaddour et
lui avaient �t� plac�s dans la Zaou�a de � Cheikh Ham- mami � encore
plus loin � l�int�rieur du pays, vers Palestro, Lakhdaria aujourd�hui,
o� leur vie n�avait pas �t� facile du tout. Mais il me parla surtout de
la n�cessit� de faire des �tudes. � N�arr�te pas ; va aussi loin que tu
peux ; je sais que tu pourrais h�siter pour ne pas laisser ta m�re et
tes s�urs. Mais tu verras, ta m�re t�encouragera elle-m�me �.Je me
souviens aussi du soir � un jeudi il me semble � o� mon p�re ne m�appela
pas aupr�s de lui. Le lendemain, il nous quitta. Ces conversations � ou
plut�t ces monologues � de mon p�re aux tous derniers jours de sa vie,
sont rest�s grav�s dans ma m�moire. Je le revois encore devant le feu de
bois dans la chemin�e et sa voix r�sonne souvent dans ma t�te. Je n�en
ai pas parl� depuis fort longtemps.
MCM : Il semble, � ce propos, que votre p�re se d�solait que vous
n�obteniez pas de son vivant le fameux certificat d��tudes. N�est-ce pas
cette dette morale vis � vis du p�re qui vous pousse, aujourd�hui
encore, � cultiver l�amour de l�effort intellectuel ?
LB :Sans doute. En fait, j�ai longtemps regrett� de n�avoir pas
repris mes �tudes apr�s l�ind�pendance. En souvenir, pr�cis�ment, de
cette recommandation paternelle. J�ai en quelque sorte report� cette
dette sur mon fr�re Miloud que j�ai encourag� � reprendre ses �tudes. De
toute mani�re il �tait nettement plus dou� que moi. Lui a repris et
termin� ses �tudes�
MCM : Revenons � votre progres- sion scolaire, si vous le voulez
bien.
LB :J�allais donc effectuer une ann�e de scolarit� � Bir-Rabalou
pour pr�parer ce fameux certificat d��tudes qu�il fallait aller passer �
Sour-El-Gho- zlane, vingt kilom�tres plus au sud .Puis apr�s je passais
une ann�e � Ain Bessem pour pr�parer le concours d�entr�e � la Medersa.
Cet �tablisse- ment assez particulier que j��voquerai plus en d�tail
dans ce r�cit. Pourquoi Ain Bessem ? Parce que c��tait l� qu�il y avait
ce que l�on appelait � l��po- que un � Mouderes �, c�est-�-dire
quelqu�un qui enseignait l�arabe � l��cole publique. Il y avait aussi
une �cole libre tout r�cemment ouverte par l�Asso- ciation des Oul�mas.
Ce furent donc le Mouderes, Cheikh Nadhir ZMIRLI, de Boussa�da et Cheikh
Mohammed OUMEZIANE, Directeur et enseignant unique de l��cole libre,
venu de Kabylie, qui vont me pr�parer � ce concours. Il n�y avait qu�une
vingtaine de places de disponibles pour chaque promotion et j�ai d� �tre
admis parmi les derniers car je n��tais en r�alit� fort ni en arabe, ni
en fran- �ais. J��tais aussi le plus jeune de ma promotion.
MCM : Quel �tait le panorama politique qui se pro- filait derri�re
cette vie studieuse ? Perceviez-vous, alors, la mue du mouvement
national, apr�s les �v�- nements du 08 mai 1945, notamment, et le
puissant �veil de la conscience nationale qui en a r�sult� ?
LB : Nous sommes en 1947. M�me dans nos mech- tas recul�es, nous
avions entendu parler � d��v�ne- ments terribles � survenus le 8 Mai
1945 dans des contr�es lointaines, mais tout de m�me proches. Mon grand
oncle, le Bachagha Lakhdar, que nous appelions tous � Grand P�re �,
patriarche de la famille et son fils Ali, dont nous allions nous rappro--
cher, mon fr�re Miloud et moi-m�me, apr�s la mort de notre p�re, en
parlait parfois. Le Bachagha �tait de ceux que l�on appelait alors �les
administratifs �. Il �tait une cible favorite d� �Alger R�publicain �
qui publia de lui, je me souviens, de belles caricatures. Ce qui
n�emp�chait nullement le � Grand P�re � de me demander de lui faire
lecture assidue du quotidien communiste. � Administratif � ou pas, cela
ne l�emp�chait nullement de commenter s�v�rement les actes r�pressifs de
S�tif et de Guelma. Il parlera en termes �galement r�probateurs des
�v�nements du Maroc et notamment de l�exil du Roi Mohammed V. Peu de
temps avant sa mort, en Septembre 1954, il envoya un projet d�article au
quotidien fran�ais �Le Figaro� plaidant pour le retour de Mohammed V et
demandant des r�formes � hardies � (je me souviens de ce mot) en
Alg�rie, faute de quoi, di- sait-il, � notre pays connaitrait des
d�veloppements similaires � ceux de Maroc et de la Tunisie �. � Le
Figaro � ne publia pas cet article et, a ma connais- sance, ne r�pondit
m�me pas au grand-p�re. Mais c�est � Ain Bessem, autour de l��cole libre
et du Cheikh Mohammed OUMEZIANE que le vocabulaire nationaliste nous
devint peu � peu familier. C�est l� que nous appr�mes les premiers
chants patriotiques. C�est l� aussi que nous v�mes � je ne dis pas nous
lisions � la revue anim�e par Cheikh Bachir IBRAHIMI dont je
n�appr�cierai que plus tard la tr�s belle langue arabe, son style sim-
ple, limpide, �l�gant et vraiment enchanteur, dans le fond comme dans la
forme. C�est l� aussi que nous entend�mes, de plus en plus souvent, les
noms de Ferhat ABBAS, du Dr. BENJELLOUN, du Dr SAADANE, de MESSALI.
C�est l� aussi que nous v�mes, de temps en temps, les journaux Li- bert�
et �galit�. Ce n�est pas encore l�engagement. Mais c�est comme le dit
LACHERAF, le d�but de la prise de conscience qui va s�aiguiser � la
Medersa au contact de camarades venus de partout ailleurs, mais aussi au
contact des habitants de la Casbah o� la Medersa �tait alors situ�e :
nous vivions au milieu de ce quartier � nul autre pareil et beaucoup de
ses habitants nous avaient un peu adopt�s.
MCM : Attardons-nous pr�cis�ment, sur la Medersa, avec cet
enseignement, o� �taient dispens�s, presque � �galit�, cours de civili-
sation musulmane et cours de la culture fran- �aise. Quels souvenirs en
conservez-vous ?
LB : Vos jeunes lecteurs ne savent peut-�tre pas que
l�Administration coloniale avait en effet � in- vent� � cet
�tablissement tr�s original. Il y avait donc trois Medersa, situ�es �
Alger, Constantine et Tlemcen. A l�origine, les �tudes duraient quatre
ans seulement et les �l�ves y arrivaient � un �ge relati- vement avanc�,
rarement moins de 18 ans, parfois beaucoup plus. Ainsi, LACHERAF raconte
qu�il ar- riva � la Medersa apr�s quatre ann�es pleines de coll�ge. Dans
ma promotion, tenez-vous bien, un de mes camarades avait vingt ans en
premi�re ann�e ! Apr�s la deuxi�me guerre mondiale, fut instaur� ce qui
a �t� appel� alors, � le nouveau r�gime �, avec une scolarit� de six
ans. Mais � l�ancien comme au nouveau r�gime, la Medersa pr�parait,
essentielle- ment, des enseignants de langue arabe, des inter- pr�tes
judicaires et des agents de la magistrature musulmane. C�est � partir de
1953 qu�une nouvelle r�forme affubla les Medersas du nom de � Lyc�es
d�enseignement franco musulman � un nom bizarre et pas tr�s sympathique.
On b�tira aussi un nouvel �difice pour la M�dersa d�Alger � Ben Aknoun
qui porte aujourd�hui le nom de �Lyc�e Amara Rachid�. L�ancien b�timent,
� c�t� de la Mosqu�e de Sidi Abderrahmane, au haut de la Casbah, fut
r�serv� aux filles. Il y avait aussi, � l��poque, l�Institut des Hautes
�tudes Islamiques o� les dipl�m�s de la Medersa allaient poursuivre leur
formation, s�ils n�optaient pas pour une carri�re imm�diate dans la
fonction publique. Les �tudiants du � nouveau r�gime �, encourag�s,
notamment, par un profes- seur de math�matiques qui eut une tr�s grosse
influence sur nous tous, Abdelaziz OUABDESS-- LAM, commen�aient � tenter
de passer le bacca- laur�at fran�ais en candidats libres. C�est ce que
fit, par exemple, Smail HAMDANI. Je fis la m�me chose moi-m�me et bien
d�autres camarades aussi. La Medersa donnait une solide formation en
arabe, en plus d�une formation en fran�ais � peu pr�s similaire � celle
que dispensaient les autres �tablissements secondaires fran�ais. Je
pense que l�autre avantage des Medersas �tait � du moins avant la
p�riode du � franco musulman � - le nombre restreint d��l�ves par
promotion et l��ge relativement plus m�r parmi ces �l�ves. Mais la
qualit� de la formation dans les Medersas �tait due surtout � celle des
enseignants et � la nature des relations qui existaient entre eux. Voici
tout d�abord une petite anecdote : � mon arriv�e � la Medersa, nos a�n�s
�taient intrigu�s et amus�s de voir qu�un medersien pouvait d�barquer de
Bir- Rabalou. Pourquoi ? Parce qu�un professeur de math�matiques qui
r�pondait au nom de Nicola� avait coutume de dire pour r�primander ses
�l�- ves : � Attention, vous autres, je ne suis pas pro- fesseur �
Bir-Rabalou !). Pourquoi Bir-Rabalou ? Personne n�a pos� la question �
ce brave profes- seur. Je peux seulement sp�culer que c��tait parce que
c��tait un tout petit village obscur, dans une r�gion recul�e du pays.
Le fait est que le profes- seur Nicola� n�a jamais fait usage le cette
expres- sion en ma pr�sence. A ma connaissance, il cessa �galement de
l�utiliser dans les autres classes. Le professeur fran�ais le plus
remarquable �tait sans doute un enseignant de Fran�ais, M. SHE- RER, un
tr�s jeune normalien qui n�est pas rest� longtemps parmi nous et qui
avait �tabli des rela- tions d�amiti� avec certains des � grands �
�l�ves, pour certains, � peine plus jeunes que lui ! C�est lui,
notamment, qui encouragea le regrett� Hachemi BOUNEDJAR � pr�parer le
concours d�entr�e � l��cole Normale Sup�rieure. SHERER �tait un homme de
gauche, curieux de conna�tre l�Alg�rie et ses probl�mes. Il �tait
pr�visible qu�un profes- seur aussi potentiellement subversif n�allait
pas pouvoir rester longtemps en Alg�rie. Il fut transf�r� en France,
apr�s seulement deux ann�es, je crois.
MCM : �voquez, si vous le permettez, le souvenir des autres
enseignants alg�- riens de la m�dersa dont certains ont mar- qu�, pour
toujours, l�esprit de leurs �l�ves�
LB : En effet, ce sont nos professeurs alg�riens qui ont marqu� nos
esprits de mani�re durable. J�ai d�j� parl� du Professeur de
Math�matiques, Abde- laziz OUABDESSLAM. Apr�s l�ind�pendance, il ira
diriger l��cole Polytechnique � El-Harrach .Il en fit un �tablissement
de qualit�, malgr� les difficult�s �normes de l��poque. Je le revois de
temps � autre, avec un plaisir �gal, et je l��coute avec le m�me respect
et la m�me admiration. Un autre professeur que j�ai revu souvent,
jusqu>� sa mort, il y a quel- ques ann�es, c�est Cheikh Mechri AOUISSI,
de La- ghouat. Un �minent sp�cialiste de droit musulman qui nous fit
aimer cette mati�re aride. Il �tait �gale-- ment un excellent professeur
de langue arabe qui nous fit aimer les g�ants de la litt�rature arabe,
des po�mes incomparables d�Al Mutanabbi, des � Ma- qamate � d�Al-Hariri,
des ouvrages d�Al-Jahedh, jusqu�aux po�tes de la p�riode andalouse, sans
oublier l��mir Abdelkader, Bran Khalil Bran, Al-Manfalouti et les
�crivains de la � Nahdha ��C�est au Minist�re de la Justice que Cheikh
MECHRI, comme nous l�appelions, servira apr�s l�ind�pendance.
Il y fut
un conseiller respect� et Si Abdelmalek BENHABYLES notamment a appr�ci�
sa contribution. Cheikh Ab- delkader NOUREDDINE �tait, par ailleurs, le
type m�me de l��rudit ; la grammaire n�avait pas de se- cret pour lui.
Petit, modeste, il ne quittait ses �l�ves que pour aller � la
biblioth�que ou � �Radio Alger� o� il donnait des cours de
vulgarisation. Cheikh Amor BENDALI �tait un excellent professeur de
traduction. Il avait un accent typiquement alg�rois et beaucoup
d�humour. Cheikh Boualem OULD ROUIS, de Blida, d�o� il venait chaque
jour par train, �tait un excellent Professeur de langue arabe, peut �tre
s�v�re mais juste. Il est venu me voir � Lon- dres alors que j�y �tais
Ambassadeur et nous avons pass� une longue soir�e � parler des anciens
de la Medersa d�Alger, professeurs et �l�ves, mais aussi des difficult�s
de l�enseignement dans l�Alg�rie in-- d�pendante. Cheikh MEZIANE, de
Tlemcen, cette fois-ci, �tait toujours impeccable dans un costume
traditionnel tr�s typique, sous une barbe fournie mais tout aussi
impeccablement soign�e. Il avait l�air plus s�v�re qu�il ne l��tait en
r�alit�. Il ne tardera pas � retourner � Tlemcen comme directeur de la
Medersa. Cheikh AGHA de Miliana �tait le plus jeune des professeurs
alg�riens. Comme le Cheikh OULD ROUIS, il portait costume et cravate et
un �l�gant � Fez � rouge. Un mot tout de m�me au sujet de Si Ahmed
FOUILA, qui faisait office d�in-- tendant et de r�ceptionniste de
l��tablissement. Il vivait � demeure et �tait toujours accessible. J�ai
laiss� pour la fin notre Directeur, Cheikh BEN ZEKRI, un grand homme,
�l�gant dans son costu- me traditionnel alg�rois et sa belle moustache
blan- che. On le dit excellent p�dagogue, mais, h�las, il ne m�a pas
enseign�. Il donnait des cours � l�Institut des �tudes Islamiques et les
�tudiants parlaient de lui avec une v�ritable v�n�ration. On le disait
aussi fin po�te et grand m�lomane. Il avait un air extr�mement s�v�re et
ne supportait pas qu�on lui r�ponde dans une langue autre que celle
qu�il a uti- lis� lui-m�me pour vous parler. S�il a parl� en arabe, il
�tait indispensable de lui r�pondre en arabe ; si c��tait le fran�ais
qui avait �t� utilis�, vous deviez en faire de m�me. Inutile de dire que
le franc-arabe� qu�on parle trop souvent aujourd�hui �tait tout sim-
plement impensable avec notre Cheikh�Mais la s�v�rit� d�apparence
cachait un c�ur d�or. T�moin cette petite histoire. C��tait peut-�tre en
1950 ou en 1951, au printemps en tous les cas. J�avais � fait le mur �
un soir pour aller voir une pi�ce de th��tre jou�e par les grands
acteurs �gyptiens, Youssouf WAHBI et Amina RIZK, en tourn�e dans notre
pays. Apr�s le spectacle, je me suis retrouv� nez � nez avec le Cheikh
BEN ZEKRI dans le trolley qui me ramenait � l��cole Normale de Bouzar�ah
o� nous logions. Lui-m�me avait �t� probablement au m�me spectacle et
rentrait chez lui � El Biar. Inutile de dire que je n�avais pas pass�
une bonne nuit car j�allais s�rement �tre convoqu� dans le bureau du
Directeur � la premi�re heure et y passer un tr�s mauvais moment. Mais
je ne fus jamais convoqu� ; le Directeur de m�a jamais parl� de cette
affaire. Nos professeurs nous connaissaient donc intime- ment et
s�int�ressaient � chacun d�entre nous. Ils �taient s�v�res mais justes.
Nous les respections et nous les admirions. Envers certains d�entre eux,
nous ressentions une r�elle affection, peut �tre m�me de la v�n�ration.
Ils �taient d�sireux de partager leur savoir avec nous et nous �tions
tout aussi d�sireux d�apprendre � leur �cole. En est-il de m�me
aujourd�hui ? Je n�ai pas l�impression. Je ne pense pas faire preuve
d�une quelconque � nos- talgie r�trograde � en disant que ce serait tout
de m�me bien de retrouver un peu de cette ambiance qui existait � la
Medersa entre professeurs et �l�ves. C�est � la Medersa aussi que la
prise de conscience politique va s�aiguiser : certains de nos camarades
�taient d�j� des militants structur�s, g�n�ralement au MTLD, peut-�tre
pour quelques-uns � l�UDMA, mais j�en doute. C�est � l�Universit� que
l�on trou- vera des � Udmistes � et des communistes. Je n�ai adh�r� �
aucun parti moi-m�me � cette �poque. MESSALI �tait alors en r�sidence
surveill�e dans une villa � Bouzar�ah. Nous logions alors dans
l�internat de l��cole Normale de Bouzar�ah et la villa de Messali �tait
presque en face de cet �ta- blissement. Nous passions souvent devant sa
de- meure, dans l�espoir de l�apercevoir. Mais je crois que nous n�avons
jamais eu la chance de le voir.
MCM : Cela veut dire qu�il existait un proces- sus de m�rissement
politique chez les jeunes medersiens, pr�lude � l�engagement militant �
LB : Oui, sans doute. Le Professeur OUABDESS- LAM, notre
professeur de math�matiques, me dira beaucoup plus tard, que durant ces
ann�es qui avaient pr�c�d� le 1er Novembre, � nous avions l�impression,
en vous regardant tous � la Medersa, que des �v�nements importants,
porteurs de chan- gement, allaient se passer incessamment �. Je ne sais
pas si nous avions tous un pressentiment similaire, mais il est certain
que les �v�nements de Tunisie et du Maroc, les nouvelles d�Indochine,
l�agitation sporadique en Alg�rie m�me, l�insou- ciance heureuse,
arrogante et provocante des Fran�ais d�Alg�rie, nous faisaient sentir
confus�- ment que les choses ne pouvaient tout simplement pas continuer
ainsi. Je me souviens par exemple de la victoire des nationalistes
vietnamiens � Dien Bien Phu, en 1953. C��tait le 8 Mai 1945, l�anniver-
saire, pour les Alg�riens, des massacres de S�tif et de Guelma. Cette
victoire humiliante pour le pou- voir colonial, remport�e par des
colonis�s comme nous, avait valeur de symbole et de pr�sage. Le nom de
GIAP, le g�n�ral vietnamien qui remporta cette victoire, va rester dans
nos m�moires. Je suis s�r que toute cette g�n�ration d�Alg�riens a
ressenti un immense plaisir lorsque le G�n�ral GIAP visita notre pays
apr�s l�ind�pendance. Avant de terminer avec cette p�riode pass�e � la
Medersa, il faut juste peut �tre ajouter un mot au sujet de quelques �tu-
diants africains qui avaient fait des stages avec nous, pour quelques
mois, peut �tre une ann�e scolaire.
MCM : Des �tudiants autres que les Alg�riens ?
LB : Oui, absolument, ils venaient du S�n�gal et de ce qui est
aujourd�hui le Mali et le Niger. Nous �tions particuli�rement
impressionn�s par leur connais- sance de la langue arabe. Une quinzaine
d�ann�es plus tard je rencontrerai l�un d�entre eux au Caire : il
accompagnait en visite officielle en �gypte, le Pr�-- sident de son
Pays, le Niger. J��tais moi-m�me am- bassadeur au Caire. Aussi bien le
Pr�sident Hamani DIORI que le Pr�sident NASSER �taient intrigu�s de nous
voir accourir l�un vers l�autre au cours du d�ner officiel donn� par le
Pr�sident �gyptien en l�honneur de son h�te dans les jardins du Palais
Al-Kobba.
MCM : Apr�s la Medersa, donc, vous rejoignez l�Universit� d�Alger
.Quelle �tait, alors, la priorit� politique pour vous autres, �tudiants
alg�riens ?
LB : Durant l�ann�e universitaire 1954-1955 � Alger, les efforts des
�tudiants �taient tous tendus vers la cr�ation de l�UGEMA. Nous avions,
certes, l�AEMAN (Association des �tudiants Musulmans d�Afrique du Nord
et l�AEMNA (Association des �tudiants Musul- mans Nord Africains), l�une
a Alger, l�autre � Paris. Mais les �tudiants Tunisiens et Marocains
avaient, deux ou trois ann�es auparavant cr�� l�UGET (Union G�n�rale des
�tudiants Tunisiens) pour les uns et l�UGEM (Union G�n�rale des
�tudiants Marocains) pour les autres. Les conditions de la lutte dans
cha- cun des pays, avec leurs caract�ristiques sp�cifiques respectives
justifiaient parfaitement ces d�veloppe-- ments. La lutte arm�e ayant
commenc� en Alg�rie, il �tait normal que nous suivions le m�me chemin.
MCM : Vous voulez �voquer, sans doute, �la bataille�, en quelque
sorte, qui est intervenue � propos de l�adjectif � Musulmans � que vous
vouliez adjoin- dre � la d�nomination de la nouvelle Association ?
LB : Absolument. Contrairement � ce qui s�est pass� pour nos fr�res
du Maroc et de la Tunisie, les choses �taient plus compliqu�es chez
nous. Qui �tait alg�rien, en effet ? Nos camarades communis- tes et
d�autres avec eux, pensaient que m�me s�il n�y avait qu�une infime
minorit� d��tudiants non musulmans qui se consid�raient comme alg�riens,
il fallait leur laisser le loisir de se joindre � nous. Pour la plupart
des nationalistes, par contre, il s�agissait d�une p�riode
exceptionnelle de lutte, dans laquelle se consid�rer � Alg�rien �
demandait un engagement plus pr�cis et plus contraignant. Les premiers
voulaient donc la cr�ation d�une UGEA (Union G�n�rale des �tudiants
Alg�riens), les autres �taient favorables � la cr�ation de l�UGEMA
(Union G�n�rale des �tudiants Musulmans Alg�- riens). Cette querelle au
sujet du � M � n��tait pas sans relation avec la controverse qui
opposait le PPA-MTLD aux communistes longtemps soutenus par l�UDMA et
m�me par les Oul�mas au sujet de l�existence de la Nation alg�rienne
d�fendue par les uns et la th�orie de � l�Alg�rie, nation en forma- tion
� soutenue par les autres. A l�Universit� d�Al- ger, le soutien � l�id�e
de l�UGEA �tait tr�s faible, il n�y avait pratiquement pas eu d�bat. Il
en �tait de m�me dans les Universit�s et �tablissements assimil�s dans
les pays arabes. En France cepen- dant les divisions �taient nettement
plus marqu�es. C�est Belaid ABDESSLAM qui, de Paris, menait la campagne
en faveur de l�UGEMA. Deux ou trois ann�es auparavant, il avait �t� le
Pr�sident de l�AE- MAN � Alger et il avait men� des actions culturelles,
sociales et politiques sans pr�c�dent. C�est � partir de l�, gr�ce � son
d�vouement sans rel�che � la cause des �tudiants, que ABDESSLAM devient
� et restera jusqu>� l�ind�pendance � le leader reconnu et respect� de
la cause estudiantine. Abdesselam et Abdelmalek BENHABYLES, avaient
occup� des positions de direction au sein du MTLD. Lamine KHENE,
Mohammed BENYAHIA, d�autres encore, �taient �galement des militants de
vieille date. BENYAHIA avait d�ailleurs termin� ses �tudes de droit et
commen�ait son stage d�avocat dans un ca- binet o� travaillait
Abderrazzak CHENTOUF, un a�n� pour nous tous, qui formait avec son
�pouse Ma- mia, un couple tr�s connu et tr�s respect� � Alger. Bref, �
la bataille du M � que vous �voquez fut rude, mais � l�approche de la
fin de l�ann�e sco-- laire, la quasi-totalit� de ceux qui accordaient
leur faveur � l�UGEA, se sont ralli�s � la majorit�. L�UGEMA naqu�t dans
l�unit� en Juillet 1955. Je n�ai pas particip� au congr�s constitutif.
Mais je fus, n�anmoins, �lu au Comit� Directeur puis au Co- mit�
Ex�cutif. On me confia la responsabilit� des relations ext�rieures.
ABDESSLAM refusa toute position officielle au sein de l�Union. Je crois
qu�il �tait tout de m�me membre du Comit� Directeur. Ahmed TALEB
IBRAHIMI fut le premier Pr�sident de l�organisation et Mouloud
BELAHOUANE, son Secr�taire G�n�ral. BELAHOUANE, KHEMISTI, puis Messoud
AIT CHALAL se succ�deront � la t�te de l�UGEMA pendant les ann�es de
combat.
MCM : Revenons aux conditions de votre d�part sur Paris et des
�tudes que vous y avez suivi�
LB : C�est seulement en Septembre 1955, � l�issue d�une longue
promenade, au centre d�Alger, le soir avec BENYAHIA, que je d�cidais,
avec l�accord de mon oncle Ali, de demander mon transfert � Paris. Je
dois dire que je ne fus pas un �tudiant tr�s assidu � Paris. A Sciences
Po, il �tait indispensable d�assiste aux travaux pratiques et m�me � la
plupart des cours. A la Facult� de Droit, par contre, il n�y avait
pratique- ment pas de contr�le et je ne crois pas avoir assist� � plus
que quelques cours. Les pr�occupations po- litiques l�emportaient de
plus en plus sur les exigen- ces universitaires. Je n��tais
naturellement pas seul dans ce cas. Je crois qu�il en �tait de m�me pour
un tr�s grand nombre de nos camarades alg�riens. Des groupes d��tudiants
et des cercles politiques fran�ais commen�aient � se poser des
questions. Que se passait-il donc en Alg�rie ? Certains d�en- tre eux
allaient vers les �tudiants alg�riens pour se renseigner. Le restaurant
universitaire des �tudiants maghr�bins dans le modeste local sis au 115
Bou- levard Saint Michel devint ainsi un haut lieu de la vie
estudiantine � Paris. (Je ne suis pas certain, � cet �gard, si � le 115
� comme tout le monde l�appelait affectueusement appartient toujours aux
maghr�bins ou a l�Alg�rie toute seule .L�immeuble est clos et dans un
triste �tat. Il ne faudrait pour- tant pas grand-chose pour le remettre
en �tat et en faire quelque chose d�utile. Voila un dossier sur lequel
notre ambassade ou notre Consulat G�n�ral � Paris pourrait utilement se
pencher.). C�est l�, d�ailleurs, que nous avions fait la connais- sance
des regrett�s Robert BARAT et de son �pou- se Denise, de Claude BOURDET
et de beaucoup d�autres. Le Dr. TALEB IBRAHIMI rencontrera un peu plus
tard Jean DANIEL et, � travers lui, Albert CAMUS et Mend�s FRANCE.
D�autres milieux fran�ais, de droite, n�avaient pas de doute, quant �
eux : l�Alg�rie �tait fran�aise et le restera. Cette poign�e de �
rebelles � � on dirait aujourd�hui de � terroristes � � n�y changera
rien. Ce sont des gens de cette esp�ce qui s�attaqueront, par exem- ple,
� nos �tudiants � Montpellier en Janvier 1956. C�est dans ce contexte
qu�intervient la r�union du Comit� Directeur de l�UGEMA, en Mars 1956.
BENYAHIA et Lamine KHENE, entre autres, �taient venus d�Alger,
sp�cialement, pour cette r�union. L�UGEMA avait re�u une invitation pour
participer � une conf�rence des �tudiants d�Afrique et d�Asie qui devait
avoir lieu � Bandoeng, en Avril 1956. L�id�e �tait de faire co�ncider la
r�union avec le premier anniversaire de la Conf�rence au sommet qui
s��tait tenue un an auparavant � Bandoeng m�me.
(Je voudrais insister, �
cet �gard, sur l�importance du Sommet de Bandoeng, un �v�nement de
port�e historique pour l�Alg�rie. Le Pr�sident BOUTEFLI- KA a trouv� une
formule heureuse pour en souli- gner le caract�re hautement significatif
: � Ban-- doeng a �t� le 1er Novembre international pour la lutte du
peuple alg�rien pour son ind�pendance �.). Il s�est pos�e, alors, la
question de la repr�sentation de l�UGEMA � cette r�union. Qui ira donc �
Ban- doeng ? BENYAHIA �tait arriv� avec la recomman- dation de la
direction clandestine du FLN � Alger. C�est lui-m�me qui partirait avec
Belaid ABDESS- LAM. Apr�s la conf�rence, ils ne devaient revenir ni en
France ni en Alg�rie mais se mettre � la disposi- tion de la D�l�gation
Ext�rieure du FLN qui deman- dait des renforts pour �largir son action
internationa- le. ABDESSLAM n��tait pas chaud pour partir. Apr�s de
longues tractations et des consultations avec la Direction du FLN, il
fut sugg�r� que je le remplace. Ce n��tait pas une d�cision facile, mais
je n�ai pas h�sit� longtemps. L� encore j�avais consult� mon oncle Ali
qui, lui non plus, n�h�sita pas longtemps avant de m�encourager �
accepter. Il �tait alors D�- put� � l�Assembl�e Nationale Fran�aise.
Quelques mois plus tard, il d�missionnera et sera enferm� dans un camp
d�internement � Larzac, avec beau- coup d�autres. La collaboration avec
le colonialisme fran�ais �tait devenue impossible et la r�pression
n�allait �pargner personne. Moins d�une ann�e plus tard, mon oncle
Ahmed, Bachagha lui-m�me, et un autre parent, Bentayba MAHMOUDI, Ca�d,
seront froidement abattus par des paras fran�ais. Le colo- nel OUAMRANE
et les Commandants Azzeddine et Omar OUSSEDIK me diront plus tard
combien cet oncle Ahmed - et beaucoup d�autres membres de la famille -
les avaient aid� � implanter la Wilaya IV dans notre r�gion. C�est un
peu plus tard, cependant, qu�une autre figure alg�rienne parmi les �
adminis-- tratifs �, Abdelkader SAYAH, d�l�gu� � l�Assembl�e Alg�rienne,
allait d�missionner de toutes les fonc- tions officielles dans le
syst�me fran�ais, en faisant cette d�claration de tr�s grande simplicit�
et de tr�s grande dignit� : � Aujourd�hui, je rejoins les miens �.
MCM : D�s lors, vous renon- cez totalement � vos �tudes ?
LB : Oui, �videmment. BENYAHIA et moi-m�me part�mes au Caire o� nous
f�mes tr�s fraternelle- ment accueillis par Mohammed KHIDER. C��tait la
p�riode du ramadhan et le jour de l�A�d, il nous emmena rendre visite �
l��mir Abdelkader KHAT- TABI, le leader l�gendaire de l�insurrection du
Rif Marocain. C�est l� que nous e�mes le plaisir de rencontrer Jean
LACOUTURE, le grand journaliste et �crivain fran�ais qui est rest� un
ami. Ferhat ABBAS, le Dr. Ahmed FRANCIS, Ahmed BOU- MENDJEL et Cheikh
Tewfik AL MADANI �taient arriv�s au Caire � peu pr�s en m�me temps que
nous .C��tait le ralliement officiel de l�UDMA et de l�Association des
Ul�mas Alg�riens au FLN. Il n�y avait plus que le MNA qui continuait �
faire cava- lier seul. C�est �galement au Caire que je fais la
connaissance de Si Abdelhamid MEHRI qui fut le premier � m�introduire
aux subtilit�s � � combien d�routantes parfois ! � de la politique au
Machrek. Pour r�pondre � votre question, de mani�re plus directe, oui,
pour BENYAHIA et moim�me, bient�t pour la plupart de nos camara- des
�tudiants, la vie universitaire avait pris fin.
MCM : Permettez-moi d�insister plus particuli�rement sur le
processus psychologique par lequel un �tudiant, un intellectuel en
somme, d�cide de franchir le Ru- bicon en s�engageant dans l�action
r�volutionnaire�.
LB : C�est la le genre de questions qui se posent apr�s, pas
pendant. Je l�ai d�j� soulign�, la cr�ation de l�UGEMA s��tait faite
dans une perspective de lutte. De mani�re naturelle presque,
insensiblement, mais rapidement, l�UGEMA devient l�expression de
l�effort national dans le milieu estudiantin. Tr�s vite les lyc�ens
formeront � Alger leur propre organisa- tion au sein de laquelle Amara
Rachid et d�autres medersiens allaient briller avant de consentir le
sacrifice supr�me au maquis. La gr�ve des cours et des examens d�cid�e �
Alger par la direction clandestine du FLN, en coordination avec les �tu-
diants et les lyc�ens, est annonc�e le 19 Mai 1956. Les �tudiants vont
alors s�int�grer publiquement au sein du FLN et � l�ALN. L�UGEMA
devient, sur le plan international, le visage de la communaut�
combattante estudiantine. Les �tudiants, malgr� leur nombre limit�, sont
pr�sents dans tous les or- ganes de la lutte. Aux Conseils de Wilaya
m�me, puisqu�il y aura m�me deux chefs de Wilaya �tu- diants : LOTFI �
la Wilaya V et Youssef KHATIB � la Wilaya IV. Lamine KHENE sera membre
du GPRA. Les �tudiants sont pr�sents aussi dans la direction clandestine
du FLN � Alger, la Zone autonome d�Al- ger, l�UGTA, la F�d�ration de
France et, plus tard, le GPRA et ses diff�rentes administrations. C�est
dans le cadre de l�action internationale du FLN puis du GPRA que j�ai
servi, pour ma part, sans discontinuer. Depuis notre d�part, BENYAHIA et
moi-m�me, de Paris vers le Caire, puis vers Jakarta et Bandoeng.
MCM : Commence alors pour vous une nou- velle vie avec votre
immersion forc�e dans la vie diplomatique au service de la R�volution
al- g�rienne. Vous appartenez, en effet, � ce qu�il est convenu
d�appeler la g�n�ration des � di- plomates militants �. Comment s�est
effectu�e cette immersion qui a commenc� en Indon�sie ?
LB : Il faut peut �tre commencer par dire quelques mots au sujet de
la conf�rence des �tudiants d�Asie et d�Afrique qui eut lieu � Bandoeng
au printemps 1956 .Apr�s tout, c�est pour y prendre part que BENYAHIA et
moi-m�me avions �t� d�p�ch�s. Les divergences entre les �tudiants
asiatiques �taient alors profondes. N�oublions pas que nous sommes en
plein dans la guerre froide. Si, pour beaucoup d��tudiants la voie non-
align�e (le mot n��tait pas encore d�usage courant mais commen�ait �
�tre utilis�) �tait la seule qui soit conforme aux int�r�ts des pays
d�Afrique et d�Asie, une forte proportion d��tudiants �tait, cependant,
tr�s engag�e dans l�un ou l�autre des deux camps, communiste et occiden-
tal. Je me souviens, par exemple, que le Pr�sident de la d�l�gation des
Philippines �tait violemment anti-communiste. Chinois, Vietnamiens
�taient plus discrets, ce qui ne veut pas dire qu�ils manquaient de
fermet� ou d��loquence. La d�l�gation indienne �tait compos�e de
plusieurs groupes, parfois tota- lement oppos�s les uns aux autres. La
Conf�rence ne s��tait ouverte que vers la fin de la premi�re semaine de
mai et s��tait prolong�e jusque vers le 22 Mai. De ce fait, nous p�mes
annoncer, en s�ance pl�ni�re, la nouvelle de la gr�ve d�clench�e par nos
camarades le 19 Mai. Sit�t la conf�rence des �tudiants termin�e, nous
avons ouvert � Dja- karta le premier bureau du FLN en Asie. En Ao�t,
BENYAHIA rentre au Caire et je reste seul dans la capitale indon�sienne.
Mon s�jour allait s�y prolon- ger cinq ann�es durant, jusqu�en Novembre
1961.
MCM : Vous avez, alors, vraiment pris racine, sans jeu de mots, dans
la soci�t� indon�sienne �
LB : Vous parliez tout � l�heure d�� immersion for- c�e dans la vie
diplomatique �. Soyons pr�cis : je ne sais pas si, � l��poque quiconque
nous avait affubl� du titre de � diplomate �. Je ne me suis ja- mais
consid�r� comme tel et je pense que c��tait le cas pour tous les autres
fr�res. Nous �tions des militants que le hasard, la chance, les
circonstan- ces ont plac�s dans cette situation et nous avons fait de
notre mieux pour servir notre pays. M�me apr�s la proclamation du
Gouvernement provisoire de la R�publique Alg�rienne (GPRA), nous n�avons
jamais pens� � donner � nos missions le nom d�am- bassade ni � affubler
nos chefs de mission du ti- tre d�ambassadeur. GPRA ou pas, l�Alg�rie
n��tait pas ind�pendante ; elle �tait toujours occup�e et la guerre y
faisait rage. Parler de diplomate, d�ambas- sade, aurait �t� ind�cent. A
Jakarta, je fr�quentais tous les milieux, � tous les niveaux, le
Gouverne- ment, � commencer par le Pr�sident de la R�pu- blique
SOEKARNO, tous les partis politiques, les organisations de masse, les
m�dias et m�me les milieux artistiques. Un Comit� de Soutien � l�Alg�rie
avait �t� institu�, pr�sid� par le chef du plus grand parti musulman de
l��poque, Mohammed NATSIR. Le Secr�taire g�n�ral en �tait Hamid ALGADRI,
du parti socialiste. Le chef d�un parti chr�tien protestant en �tait le
Vice-pr�sident et le Pr�sident du Parti ca- tholique le Tr�sorier. Vous
voyez que l��ventail �tait large. Avec l�aide d�un �tudiant, Hamid
ALHADDAD qui, dans les ann�es 1990, deviendra Ambassadeur d�Indon�sie �
Alger, nous publi�mes un bulletin en anglais et en indon�sien. Avec le
r�dacteur en chef de l�un des principaux quotidiens du pays, Rosi- han
Anwar, un ami avec lequel je garde encore le contact, nous avions
exploit� la notori�t� de Djamila Bouhired pour �crire une s�rie
d�articles au sujet de l�ensemble de la question alg�rienne. Ces
articles seront repris dans un petit livre intitul� � Jamila, Srikandi
Aljazair �. (Jamila, une H�ro�ne d�Alg�rie)
MCM : L�Indon�sie accordait, alors, un soutien re- marqu� � la
guerre de lib�ration du peuple alg�rien ?
LB : Oui ! En Janvier 1961, Ferhat ABBAS fait une visite officielle
� Jakarta o� il est tr�s chaleureuse-- ment accueilli par le Pr�sident
SOEKARNO. ABBAS demande que l�Indon�sie prenne l�initiative de r�unir
une conf�rence des pays afro-asiatiques au sujet de l�Alg�rie. Les
Indon�siens prennent les contacts n�cessaires puis nous informent qu�ils
n�ont pas trouv�, h�las, un �cho favorable � notre proposi- tion. Nous
parlons aussi d�une id�e que l�Indon�sie, l�Inde, l��gypte et la
Yougoslavie commen�aient � discuter, celle d�un grand sommet des pays
nonalign�s. Nous demandons � l�Indon�sie d�agir en vue d�y faire inviter
l�Alg�rie en tant que participant � part enti�re. C�est au Caire et �
Alexandrie, en juillet, qu�auront lieu les travaux pr�paratoires pour ce
qui allait �tre la premi�re Conf�rence au Sommet des Pays Non Align�s,
qui se tiendra � Belgrade, en Septembre 1961. Ce sera la premi�re
Conf�rence internationale au Sommet � laquelle l�Alg�rie sera
repr�sent�e � �galit� avec les autres pays. C�est aussi � l�issue cette
visite que les Indon�siens d�- p�cheront en Tunisie et au Maroc une
d�l�gation militaire pour discuter de questions d�armement avec les
responsables militaires alg�riens. Cette d�l�gation fut dirig�e par le
Colonel SUMARMO, �galement un ami. Quelques ann�es plus tard, alors que
j��tais ambassadeur au Caire, le Colonel SU- MARMO et son �pouse sont
venus passer quelques jours chez moi .Il retournait d�Allemagne o� il
avait �t� pour soigner un cancer foudroyant. Moins d�une ann�e plus tard
il fut emport� par cette maladie terri- ble. Depuis lors, chaque fois
que je visite l�Indon�sie avec ma famille`nous essayons de faire le
d�tour par Bandoeng, sp�cialement pour rendre visite � la veuve du
Colonel SUMARMO et � ses enfants. C�est le lieu, ici, � l��vidence, de
rendre aussi l�hom- mage particulier qu�il m�rite � Hamid ALGADRI. Je
l�ai dit, il y a un moment, il fut le Secr�taire G�n�ral du Comit� de
soutien pour l�Alg�rie. Hamid ALGA- DRI fut, en r�alit�, plus que cela.
Membre du Pre- mier parlement Indon�sien apr�s l�ind�pendance de son
pays, il sera en 1953, le premier � plaider, dans une ar�ne officielle
de la n�cessit� d�une so-- lidarit� agissante avec les peuples
maghr�bins en lutte contre le colonialisme fran�ais. Depuis lors, sa
maison a �t� une sorte de � Maison du Maghreb � : BOURGUIBA, Allal AL
FASSI, Salah BENYOUS- SEF, Ferhat ABBAS ont mang� � sa table. Jusqu>� sa
mort en 1998, tous les Ambassadeurs d�Alg�rie qui se sont succ�d�s �
Jakarta ont b�n�fici� de ses conseils avis�s et de l�hospitalit� de sa
famille. Encore maintenant, sa veuve Zena et ses enfants Mahir, Atika,
Adila, Sadek, continuent de garder des liens tr�s �troits avec
l�Ambassade d�Alg�rie. Pour ce qui me concerne, les enfants et les pe-
tits enfants de Hamid et de Zena ALGADRI sont, comme disent mes propres
enfants, � notre famille indon�sienne �.Je suis particuli�rement heureux
que l�Alg�rie, � l�exemple de la Tunisie, ait accord� une d�coration �
Hamid Algadri, � l�occasion de sa troisi�me et derni�re visite dans
notre pays.
MCM : �voquons, bri�vement, l�essor de l�acti- vit� diplomatique du
FLN � travers le monde�.
LB : L�activit� internationale de l�Alg�rie s��tend rapidement �
travers le monde. Partout s�ouvrent de nouveaux bureaux qui comptent
parmi leurs cadres des membres de l�UGEMA. Souvent ces �tudiants
dirigent eux-m�mes ces bureaux ou y occupent des positions clef : Ch�rif
GUELLAL � New Delhi, Abdelmalek BENHABYLES � Tokyo, Mohamed KELLOU �
Londres puis � Karachi, Ha- fidh KERAMANE et Mouloud KASSEM � Bonn, Ali
LAKHDARI � Rome, Raouf BOUDJAKDJI � New York et plus tard Messoud AIT
CHAALAL � Bey- routh, Mohamed HARBI � Conakry, Layachi YAKER � New
Delhi, Jamal HOUHOU � Tunis, Mabrouk BELHOCINE, Abdelkader BENKACI,
Abdelaziz ZERDANI, Ahmed ZMIRLI et Brahim GHAFA au Caire. La direction
de l�UGEMA � r�fugi�e � en Suisse et � Tunis continue, �galement, �
faire en- tendre la voix des �tudiants � travers le monde. Un lieu
particuli�rement important de notre action ext�rieure �tait, New York,
bien �videmment. Les regrettes M�hamed YAZID et Abdelkader CHAN- DERLI y
faisaient des merveilles. Ce n�est qu�en Septembre 1955 que nos
d�marches pour faire inscrire la Question alg�rienne � l�ordre du jour
de l�Assembl�e G�n�rale des Nations Unies ont abouti : la d�cision fut
emport�e par seulement une voix de majorit�. Les deux �v�nements qui ont
contribu� de mani�re d�cisive � cette victoire furent les attaques du 20
Ao�t dans la Wilaya II et la Conf�rence de Bandoeng. De nombreux
|