Le Soir d'Alg�rie

Je m�empresse d�ajouter que mourir de faim n�est pas la fa�on la plus banale et la plus r�pandue de tirer sa r�v�rence en Alg�rie. L�Alg�rien mange � sa faim, c�est connu et il a m�me beaucoup d�app�tit � voir les surcharges pond�rales qui embouteillent nos trottoirs. Mais il souffre d�autres choses, de maux multiples dont la perte de confiance n�est pas le plus mortel. Alors, en attendant un hypoth�tique 1er novembre qui ne sera pas celui des dupes, nos compatriotes s�en remettent � Dieu. Depuis 1962, on les pr�pare � �a : contre la rapine �Allah Ghaleb !�, contre le despotisme, �Allah Ghaleb !�, contre des gouvernements incomp�tents �Allah Ghaleb !� etc. �Allah Ghaleb !�, sommairement traduit peut vouloir dire : �C�est la volont� de Dieu.� On peut le traduire aussi par �Dieu est le plus fort�, et ajouter tout bas : �Mais ceux � qui il a confi� nos destin�es� Hou la la !� Il y a une traduction encore plus cynique et plus appropri�e : �Dieu est vainqueur mais ceux d�en face ont gagn�.� Non ! d�cid�ment, il y a trop de r�signation et de laisser faire dans �Allah Ghaleb !� �Allah Akbar !� est plus stimulant et plus dynamique mais il a mauvaise presse depuis quelque temps. C�est sans doute ce credo que lancent les talibans lorsqu�ils assassinent froidement de jeunes Cor�ennes. Et puis, n�oublions pas que c�est cet islamo-opportuniste de Saddam qui a eu l�id�e de coller cette formule sur le drapeau irakien. Saddam est mort mais son drapeau flotte toujours. Il y a des statues qui ne se d�boulonnent pas et les Irakiens l�apprennent chaque jour � leurs d�pens. Il ne faut pas s��tonner alors qu�un citoyen, mortellement patriote, de Mostaganem ait interpell� le pr�sident Bouteflika sur ce th�me. On raconte (1) que ce citoyen, visiblement repu de nourritures terrestres, a demand� au pr�sident de coudre �Allah Akbar !� sur notre drapeau. Tout autre pr�sident que le n�tre, Kaddafi par exemple, aurait eu un sursaut d�indignation typique : �Je vous interdis d��tablir une comparaison entre ce dictateur et ma personne. Je ne suis pas un imitateur mais un pr�curseur, qu�on se le dise !� Calme et pond�r�, comme � son habitude, le pr�sident Bouteflika s�en est tir� avec une pirouette : �C�est plut�t �Allah Ghaleb !� qu�il faudrait coudre sur l��toffe de nos drapeaux. Je n�entends que cette phrase, partout o� je vais !� Si l�anecdote et les propos rapport�s sont authentiques, le fait m�rite assur�ment de figurer au panth�on de nos citations historiques. Si l�interpellation est plus spontan�e que les appels au troisi�me mandat, elle d�montre au moins que le pr�sident de la R�publique a conserv� toute sa vivacit� d�esprit. Avec son sens de la r�partie, il a trouv� l� un fameux raccourci pour acc�der � l�Histoire. Et si au jugement dernier, on lui demande pourquoi il n�a rien fait pour changer cette mentalit� de r�sign�s, il a une r�ponse toute pr�te : �Allah Ghaleb !� Que ce soit par les cris de guerre homicides ou par la d�tresse r�sign�e des immol�s, le monde musulman continue � crier au reste de l�humanit� sa singularit�. Il y a une quinzaine de jours, le mufti d�Al-Azhar a cru faire faire un pas vers l�universalit� et la concorde religieuse en �ditant une timide fatwa sur l�apostasie. Il autorisait, sous certaines conditions, un musulman � changer de religion sans encourir le ch�timent de la peine de mort d�cr�t� pour les apostats. La lev�e de boucliers a �t� quasi simultan�e du Machrek au Maghreb : c�est une fatwa am�ricaine( 2), ont d�cid� les th�ologiens intransigeants de l�Islam dominant. Du coup, m�me notre ministre du culte y est all� de son antienne. Interrog� par la rubrique �Mosqu�e rouge� d�un de nos quotidiens, il a affirm� qu�il �tait interdit de quitter l�Islam. M. Ghollamallah n�a pas manqu�, toutefois, de rappeler qu�il �tait pour la libert� religieuse et que celle-ci �tait garantie en Alg�rie. Qu�ajouter de plus � de tels propos si ce n�est la formule sauve-qui-peut : �Allah Ghaleb !� C�est encore sous pr�texte de lutte contre les Etats-Unis qu�une �trange fatwa circule depuis quelques mois dans le monde musulman, nous dit notre confr�re �gyptien Khaled Mountassar. �La semaine derni�re, raconte-t-il, j�ai eu la surprise de d�couvrir dans une des rubriques perdues de la presse publique une d�claration du Cheikh d�Al-Azhar, le Dr Tantaoui, affirmant que le vaccin contre la poliomy�lite �tait hallal. La fatwa est �videmment pass�e inaper�ue mais cela ne m�a pas emp�ch� de m�interroger : �Depuis quand, la vaccination des enfants contre la poliomy�lite est-elle l�objet d�un tel d�bat ?� Puis, je me suis rappel� que nous vivions � l�heure des fatwas en cascade, de la sonnerie des portables aux d�tails des relations intimes � l�int�rieur d�une chambre � coucher. Tout est sujet � fatwas dans ce pays submerg� par la vague taliban. D�aucuns ont exploit� ce climat pour remettre en cause les succ�s remport�s par l�Egypte dans sa lutte contre la poliomy�lite, et au moment o� le pays s�appr�te � annoncer que ce mal est enfin �radiqu�. �Le pire, note Khaled Mountassar, est que ces fatwas qui viennent d�Afghanistan, du Pakistan et du Nigeria, commencent � susciter des �chos dans notre pays. L�Egypte qui a �t� le berceau des lumi�res et du renouveau religieux s�est ainsi lanc�e dans l�imitation aveugle de comportements obscurantistes �. En fait, pr�cise Khaled Mountassar, la fatwa du Dr Tantaoui est une r�ponse � une fatwa pakistanaise, pr�c�d�e elle-m�me d�une fatwa nig�riane, qui proscrit le vaccin contre la poliomy�lite. La raison de cette interdiction est que le vaccin est am�ricain et que les Am�ricains veulent rendre st�riles les enfants musulmans, les emp�cher de procr�er et r�duire ainsi le nombre des musulmans sur terre. La fatwa lanc�e depuis cinq mois par deux th�ologiens pakistanais a eu un effet boule de neige au point de contrecarrer les efforts de l�Organisation mondiale de la sant� pour faire dispara�tre le fl�au de la poliomy�lite. La population est tellement terroris�e que des femmes se rendent en cachette dans les h�pitaux pour faire vacciner leurs enfants. Selon l�OMS, les p�res de 160 000 enfants pakistanais, dont 24 000 dans la r�gion du nord, ont refus� de faire vacciner leurs enfants. Ils ont ainsi ob�i � des injonctions propag�es par les mosqu�es. Sur quatre pays frapp�s par la poliomy�lite dans le monde, trois sont des pays musulmans, � savoir le Pakistan, le Nigeria et l�Afghanistan, le quatri�me �tant l�Inde, rel�ve encore Khaled Mountassar qui constate amer : �C�est ainsi que le vaccin contre la poliomy�lite a �t� invent� par un juif am�ricain et interdit par un musulman pakistanais�. Il pourrait aussi conclure : �Allah Ghaleb !�
A. H.