
Corruptions : LES NORMES MINIMALES EN MATIÈRE DE MARCHES PUBLICS L'indispensable pacte d'intégrité
À maintes reprises dans ces colonnes, nous avons évoqué diverses questions liées à la gestion des marchés publics et aux pratiques de corruption. Ces dernières sont suffisamment connues et les pouvoirs publics ne font pas grand-chose pour que ces pratiques soient combattues. Mais, signe prometteur, certaines entreprises victimes de cette corruption dans les marchés publics semblent enfin se décider à dénoncer les violations de la réglementation. Ce que font aussi avec courage de plus en plus de citoyens, malgré les représailles dont ils font l'objet. La réglementation algérienne sur les marchés publics est très insuffisante et trop permissive : elle potentialise les risques de corruption. Il est temps de la rendre conforme aux normes minimales universelles. L'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les
marchés publics est presque systématique en Algérie. Le code pénal
devrait sanctionner tout comportement contraire au principe d’égalité et
de transparence dans l’accès aux marchés publics. Il s’agit du délit de
favoritisme qui consiste à procurer ou à tenter de procurer à autrui un
avantage injustifié. L'avantage doit avoir été procuré par un acte
contraire aux dispositions législatives et réglementaires ayant pour
objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les
marchés publics. Quels sont ces actes constitutifs ? Il peut s'agir, et
la liste n'est pas exhaustive, du fractionnement des marchés pour
contourner la loi ; de l'utilisation abusive de procédure n'exigeant ni
publicité ni mise en concurrence ; de l'octroi d'informations
privilégiées à un candidat au marché ; des clauses techniques sur
“mesure” au niveau du cahier des charges ; de la réduction des délais de
réception des candidatures ou de remises des offres ; de l'omission
d'écarter une offre non conforme à l'objet du marché ; du non-respect
des critères de choix ; des avenants qui modifient l'économie de marché
et de l'utilisation de la sous-traitance. Les autorités chargées des
marchés publics devraient appliquer un code de conduite par lequel
l’autorité contractante et son personnel s’engagent à respecter une
stricte politique de non-corruption. Cette politique doit tenir compte
des possibilités de conflits d’intérêts et prévoir des mécanismes de
dénonciation de la corruption et de protection des dénonciateurs. Elles
devraient permettre à une entreprise de soumissionner seulement si elle
applique un code de conduite par lequel l’entreprise et son personnel
s’engagent à respecter une politique stricte de non-corruption. Comme
elles devraient tenir à jour une liste noire des entreprises contre
lesquelles il existe suffisamment de preuves de leur implication dans
des actes de corruption. Exclure, pour une période donnée, les
entreprises inscrites sur liste noire, de la liste des soumissionnaires
agréés pour les projets de l’autorité concernée. Elles doivent veiller à
ce que figurent, dans tous les contrats passés entre l’autorité et ses
contractants, fournisseurs et prestataires de services, des dispositions
obligeant les parties à un respect strict des politiques de
non-corruption.
S'abstenir de prendre ou de verser des pots-de-vin
La meilleure méthode d’y parvenir sera peut-être d’exiger le recours à
un pacte d’intégrité par lequel l’autorité et les entreprises
soumissionnaires s’engagent à s’abstenir de prendre ou de donner des
pots-de-vin. Les autorités concernées doivent faire en sorte que les
marchés publics d’une valeur supérieure à un plafond peu élevé fassent
l’objet d’un appel d’offres concurrentiel, et donner à tous les
soumissionnaires, et de préférence au grand public également, un accès
facile aux informations relatives à toutes les phases du processus de
passation de marchés, notamment aux processus de sélection et
d’évaluation ainsi qu’aux conditions du contrat et à tout amendement qui
y serait apporté. Il est aussi indispensable de veiller à ce que, tout
au long du processus de passation de contrat, aucun des soumissionnaires
n’ait accès à des informations privilégiées, en particulier celles
concernant le processus de sélection, et de donner suffisamment de temps
aux soumissionnaires pour leur permettre de préparer leurs offres et
remplir les conditions de présélection le cas échéant. Il faut faire en
sorte que tout ordre de “modification” de la valeur du contrat ou du
cahier des charges au-delà d’un seuil cumulé soit contrôlé à un haut
niveau, de préférence par l’organe de prise de décision qui a alloué le
contrat. Il est nécessaire de garantir que les organes de contrôle et
d’audit interne et externe soient indépendants et qu'ils fonctionnent
efficacement, et que le public peut accéder aux rapports qu’ils ont
produits. Tout retard anormal dans l’exécution du projet doit déclencher
des contrôles supplémentaires. Les pouvoirs publics concernés doivent
veiller à la séparation des fonctions-clés, de sorte que la
responsabilité de l’évaluation de la demande, de la préparation, de la
sélection, de la signature de contrat, de la supervision et du contrôle
de projet soit assignée à des organes différents. Comme ils doivent
appliquer des principes administratifs de prudence tels que
l’utilisation de comités au stade de la prise de décision et la rotation
du personnel occupant des postes sensibles. Le personnel responsable des
processus d’approvisionnement devrait être bien formé et percevoir un
salaire adéquat. Il faut promouvoir la participation des organisations
de la société civile en qualité de contrôleurs indépendants tant des
soumissions que de l’exécution des projets. Ces normes peuvent
contribuer à prévenir et à réduire considérablement la corruption dans
les marchés publics, pour peu qu'elles soient adoptées, qu'elles soient
inscrites dans la réglementation et qu'elles fassent l'objet de codes de
conduite au niveau de tous les intervenants dans le processus du marché.
Les entreprises soumissionnaires qui considèrent que la réglementation a
été contournée dans un marché donné où elles étaient candidates, sont de
plus en plus nombreuses à utiliser les recours réglementaires, même si
trop souvent ces recours sont “négligés”, voire ignorés par les
administrations concernées. Mieux encore, certaines de ces entreprises
victimes de la violation de la réglementation des marchés publics
empruntent les voies judiciaires pour se faire entendre. Cette dynamique
apparue chez des soumissionnaires devrait être renforcée par la
mobilisation des citoyens contre la corruption dans les marchés publics,
notamment au niveau des collectivités locales. Là aussi les
dénonciateurs non-anonymes de corruption, ou les “donneurs d'alerte”
dans les situations de non-respect de la réglementation ou de forte
suspicion de corruption, sont de plus en plus nombreux. Leur action
gagnera en efficacité pour peu qu'elle s'organise et qu'elle s'installe
dans la durée.
Djilali Hadjadj
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