Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
Les tr�molos du chanteur et la m�moire d�une ville
Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr


Est-il � ce point infr�quentable ce faiseur de bluettes qui confond nostalgie existentielle et marchandage politique ? Troubadour de son m�tier, il aurait �t�, en tout cas, plus avis� en ne m�langeant pas les genres. Car, si ses loukoums musicaux ont �tabli une sorte d�identit� pied-noir de l�autre c�t� de la mer, il n��tait, par contre, pas �vident que ses assertions au sujet de cette d�chirure historique soient, de ce c�t�-ci, comprises comme telles.
Il faut bien plus que des tr�molos larmoyants pour �voquer le malentendu colonial et replacer dans son juste contexte le r�le quasi-collectif que joua la communaut� de confession juive. Contrairement � ce qu�il chante, ce �pays perdu� ne l�a �t�, pour ces indig�nes enti�rement � part, que parce qu�ils y avaient trouv� un autre de rechange et m�me deux. Autant dire et �crire que dans les subtils �changes diplomatiques, avec ce qu�ils exigent comme courtoisie et tact, la pr�sence d�un chanteur trop marqu� id�ologiquement risque d��tre comprise comme une provocation. Certains titres de la presse, arabophone notamment, l�ont d�j� interpr�t� dans ce sens. Ils trouvent, � juste titre d�ailleurs, que l�Elys�e joue avec les nerfs d�El-Mouradia � travers une telle initiative. Le pr�sident alg�rien qui, 7 ans plus t�t, a d� se raviser face � la campagne des crypto-int�gristes anim�e par un certain Belkhadem, peut difficilement accepter que Sarkozy r�ussisse l� o� lui a lamentablement �t� sanctionn�. M�me s�il doit se consoler, au nom de la raison d�Etat, de cette faute de go�t, il ne pourra pas, par contre, emp�cher son opinion de lui rappeler qu�il a �t� le premier � amplifier politiquement le p�lerinage d�un show-man dont la r�putation tient uniquement � la chansonnette compassionnelle. Constantine, lieu g�om�trique de cette nouvelle pol�mique, n�a jamais �t� une Andalousie au temps des colonies. Dans l�euphorie excessive de son �lection en 1999, Bouteflika s��tait imprudemment embourb� dans un exercice d��cum�nisme � partir de cette ville. Prenant toutes les libert�s avec la v�rit� historique, il fera l��loge d�une imaginaire cohabitation paisible des communaut�s religieuses dont Cirta en fut l�exemple. Macias, qui n�en esp�rait pas tant, fut quelques semaines plus tard �lev� au rang de d�l�gu� officiel d�une curieuse op�ration de marketing politique au profit d�une Alg�rie dispos�e � faire table rase du pass�. Dans la chiraquie de l��poque, l�id�e s�duisit les lobbies pieds-noirs qui y virent une opportunit� pour revisiter l�histoire de leur pr�sence en Alg�rie quand ici l�on insistait pour clore cette s�quence. Le quiproquo devint patent au point de g�ner les chercheurs s�rieux auxquels l�on substitua des voix moins avis�es pour parler du pass�. C�est ainsi que Macias fut choisi comme le narrateur central d�un documentaire consacr� � Constantine et notamment � l�apport culturel de la communaut� h�bra�que. De contrev�rit�s en mystification autour de l��pisode de la mort de Raymond Leiris, l�on dressa un tableau douloureux de l�exil des Juifs de Constantine au pr�texte qu�ils furent chass�s par la violence unilat�rale du FLN. L�occultation de pans entiers des p�rip�ties qui oppos�rent les deux communaut�s aggravera le �cas� de ce chanteur dont la subjectivit� et les raccourcis narratifs furent re�us comme des insultes. Car, dans cette province, la m�moire collective n�a pas effac� le souvenir des pogroms � l�envers du 12 Mai 1956. Ce jour-l�, des milices strictement juives furent actionn�es dans les hauts quartiers de la ville pour chasser l�Arabe. En moins de deux heures, une cinquantaine furent froidement abattus sous l��il bienveillant de l�arm�e fran�aise. Il y a quelques ann�es, dans un s�minaire des Juifs de Constantine tenu en Isra�l, un des participants qui ne cacha pas son r�le dans cette boucherie r�v�la que celle-ci �tait dict�e par le Mossad afin d�obliger tous les Juifs � faire leur �Alia�. C'est-�-dire le �retour� en Isra�l. Malgr� les d�clarations solennelles du FLN diffus�es par tracts et publi�s dans El Moudjahid de juin 1956, la communaut� juda�que avait fait le choix de sa patrie. Ce ne sera pas l�Alg�rie o� elle avait ses racines depuis 20 si�cles. Que certains d�entre eux aient choisi de demeurer dans le giron de la France ne change pas le fond du probl�me. Celui de leur libre arbitre dans leur nationalisme de rechange. L�Alg�rie souveraine, pour reprendre une formule pompeuse et actuellement d�su�te, n�avait pas � nourrir une quelconque culpabilit� � leur �gard et encore moins s�engager dans une repentance r�paratrice des torts anciens. Or, l�inconsolable Macias qui a la nostalgie des murs de sa ville natale, avait d�j� commis l�impair en exigeant que son voyage soit mis sous ce signe. Insoutenable arrogance d�un chanteur plac� incongr�ment sur le pavois de la grande id�e d�une r�conciliation alg�ro-fran�aise alors qu�il est loin d��tre repr�sentatif de sa propre communaut�. Et pour cause, les Constantinois de souche que sont l�historien Benjamin Stora ou le physicien Tanoudji ne devaient pas, en 2000, se reconna�tre dans son ind�cent battage m�diatique. Lui qui confond salles des f�tes et salles de conf�rences o� s��changent les points de vue sur l�histoire n�est le bienvenu cette fois-ci que s�il se contente de demeurer le gentil Oriental que les midinettes et les femmes de plus de 60 ans adorent �couter. Qu�il ne sorte des salles de concert que pour aller prendre un bol de pois chiches avec ses vieux amis de la ville et alors cette province lui fera une f�te � lui tout seul et � la bonne franquette. Comme quoi les affaires des nations et des peuples sont trop s�rieuses pour y impliquer des faiseurs de joie grassement r�tribu�s.
B. H.

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