Chronique du jour : CHRONIQUE D�UN TERRIEN
Alger-Dakar
Par Ma�mar FARAH
farahmaamar@yahoo.fr


Alger-Dakar ? Pourquoi pas ? Je n�ai rien contre ! Sauf que, sur notre ordre de mission, l�objectif est on ne peut plus clair : �Couverture de la course Paris-Dakar 1980� ! Mais pourquoi aller � Paris puisque la course passe par Alger ! C�est logique, m�me si c�est tir� par les cheveux. Le gars est enfin plus explicite : �C�est une affaire de frais de mission ! Plus court, �a fait moins de devises�.
Economies de bout de chandelles� Les potes de la t�l� sont pourtant � Paris. Mais Paris, ce n�est pas pour notre gueule. Nous attendrons le rallye � Alger. M�me pas ! Les papiers tra�neront tellement, le change � la banque prendra des allures de mission impossible et nous voil� en retard d�une journ�e sur le parcours alg�rien ! Il est o� le rallye ? A Gharda�a ! Et nous sommes toujours � Alger � reluquer la face repoussante d�un bureaucrate qui nous explique tranquillement que nous n�avons rien rat� en France : � La premi�re �tape est une longue travers�e Paris-S�te sur l�autoroute ! Rien � voir ! Par contre le d�sert��
Moi, je voulais voir l�autoroute. Le d�sert, j�en avais marre. J�ai tourn� en long et en large dans les regs et les ergs et j�en ai gard� plein de sable dans mes souvenirs et d�ailleurs, ce bureaucrate idiot dit n�importe quoi ! La preuve, c�est que nos camions, ces M 210 sortis tout frais des usines de Rouiba, qui ont fini par gagner la course, n�ont eu des p�pins que sur cette autoroute ! Sacr�s chauffeurs de la SNTR, sollicit�s par Sonacome pour leur ma�trise du terrain saharien et qui connaissent le d�sert comme leurs poches ; ils ont trouv� le moyen de se perdre sur une� autoroute ! Il faut le faire� Nous voil� � Gharda�a. La stupidit� d�un bureaucrate et les guichets opaques du CPA nous ont retenus jusqu�en d�but de soir�e. Voyage de nuit dans une Passat br�silienne d� El Moudjahid. Quelques gouttes d�eau pour se laver le visage barbouill� de lividit� par une nuit blanche. Caf�. Lait. Croissant. Et la course ? Elle est l�-bas, dans un champ vague aux couleurs ind�finies. Couleurs de janvier. Lendemains blafards d�un r�veillon qu�on n�a pas eu le temps de f�ter. Un r�veillon qui tra�ne comme la gueule de bois des aubes sahariennes, lorsque les dunes et le ciel se mettent � r�ver de soleil. Sonacome nous avait r�unis il y a quelques jours pour nous dire que nous aurons toutes les commodit�s. L�, je ne vois que des Land-Rover frapp�es du sigle Sonacome ainsi que les lourds M 210 et quelques Alg�riens dormant � m�me le sol, emmitoufl�s dans leurs couvertures ! Le campement, les tentes �gay�es par des tons emprunt�s au printemps, c�est de l�autre c�t�, juste en face des bagnoles de course fabuleuses, �clatantes de coloris et de fascination ! Nous achetons des ch�ches au souk local. Ils seront d�une grande utilit� pour nous �viter d�attraper la cr�ve ! Le gars de la Sonacome avait �galement dit que, l� o� il y aura des h�tels, nous serions pris en charge. Il disait n�importe quoi parce que les campements se faisaient toujours � l�ext�rieur des grandes villes et la seule fois o� nous e�mes droit � un s�jour h�telier, ce fut � Gao. Comme nous avions marre de bouffer du sable et de tourner dans les dunes, nous rest�mes sur place trois jours. Car, la course faisait une boucle avant de repasser par Gao ! Tant pis, on ne verra pas Tombouctou ! S�jour attrayant partag� entre les siestes dans des chambres d�un autre �ge et les parties de rigolade sur les terrasses paresseusement allong�es sous les palmiers. Gao et ses nonchalantes promenades, ses petits restaurants typiques, immanquablement flanqu�s de pistes de danse en plein air, berc�s par la musique rythm�e africaine. Gao et son histoire. Gao et la R�volution alg�rienne. On ne manquera pas de visiter la maison o� s�journ�rent Bouteflika, Messa�dia, Belhouchet et Dra�a lors de leur c�l�bre exil malien� Et la course reprend. Niamey. La piste est longue, infernale, truff�e de pi�ges. Un fleuve. Un petit joyau d�h�tel aux pieds baignant dans l�eau. Une halte ombrag�e pour chasser la poussi�re et une grosse frayeur � la vue d�un crocodile qui se dorait au soleil. Les girafes n��taient plus une curiosit�. Elles nous accompagnent depuis longtemps d�j�. Que c�est long le cou d�une girafe ! Je n�avais jamais vu un cou de girafe au r�el� Rencontre avec les chauffeurs de Sonacome. De petits employ�s qui ne savaient pas encore qu�ils allaient cr�er le miracle. Chaque matin, vous pouvez les voir faire les gestes habituels, presque machinalement : ablutions, pri�re, th�, soupe piquante de pois-chiche. Et le camion-restaurant de �Sabine Organisation� alors ? �Il y a du halouf !� Nous avons beau insist� aupr�s d�eux en leur expliquant qu�il ne pouvait y avoir de viande de porc au petit-d�jeuner, ils ne voulaient rien savoir. Question blessante : comment, vous, chauffeurs amateurs ne disposant d�aucun moyen, pouvez rivaliser avec ces professionnels, aguerris aux raid rallyes, ces stars milliardaires ? Et comment nos camions pouvaient-ils rivaliser avec ceux de Mercedes, Man ou Renault- Saviem ? Comment la petite organisation de Sonacome, avec deux ou trois m�caniciens et quelques pi�ces de rechange entass�es dans un 4X4, pouvait r�soudre les pannes complexes qui pourraient surgir dans un parcours de plusieurs milliers de kilom�tres ? Nous avons vu un avion atterrir en plein d�sert pour livrer un pont � un camion de Mercedes en difficult� ! �Nous les aurons dans le fech-fech, ya si Ma�mar�, m�avait lanc� l�un des chauffeurs. Fech-fech ? J�ignorais ce que voulait dire ce mot et je pensais que c��tait un tour de passe-passe ! Mais ce mot d�signe tout simplement ces zones ensabl�es si typiques au d�sert. Un pi�ge fatal pour les pilotes non avertis. Et nous en avons rencontr�s des pilotes inconscients ! Roues ensabl�es, visages d�faits, pelles jet�es par d�pit et longue et tourment�e attente du camion poubelle ! Ah, ce camion-balai ! Il nous sauvera la vie, lorsque nous nous �tions perdus, en pleine nuit, sur la piste du Tanezrouft, pas loin de Bidon 5. Mais nous �tions encore plus fous que �a ! Et c�est � Dakar, dans un bar o� les journalistes f�taient l�arriv�e que nous nous sommes aper�us de notre grande stupidit�. C�est un confr�re fran�ais qui nous interpella, en nous f�licitant pour les deux premi�res places arrach�es par les camions Sonacome : �Vous �tes venus en avion pour couvrir l��v�nement !� Quoi ? L�avion ! Mais nous avons travers� le d�sert et, d�ailleurs, me suis-je permis : �C�est vous qu�on n�a pas vus ! On n�a pas vu tous ces envoy�s sp�ciaux de la presse fran�aise !� En fait, entre une ville et une autre travers�es par le rallye, il y avait un moyen tr�s simple de circuler : une belle route goudronn�e, nationale ou d�partementale, qui �tait souvent tr�s courte par rapport aux centaines de kilom�tres r�serv�es aux pilotes professionnels. Nous avions tout simplement fait le rallye c�t� coureurs ! C��tait la grande nouvelle pour les journalistes pr�sents et les consommateurs qui nous f�t�rent comme des h�ros : �Mais vous avez fait le vrai rallye ! Ce n�est pas possible ! Vous avez fait toutes les pistes dangereuses et vous �tes arriv�s � bon port !� Dangereuses, oh oui ! Pannes, faim, soif, maladies, tonneaux, invasion de scorpions� Vive le d�sert ! Mais, au bout, quel beau cadeau : la victoire des camions de Sonacome. Deux en t�te et le troisi�me, b�tement disqualifi� par l�autoroute ! C��tait l�Alg�rie qui construisait son avenir, qui gagnait, qui avait l�un des meilleurs PNB d�Afrique. Une Alg�rie qui recevait des touristes sans recommandation sp�ciale des chancelleries. L�Alg�rie de Boumediene, celle d�avant Belmokhtar, les attentats et les harragas ! L�Alg�rie du renouveau socialiste et de la grande construction nationale, celle du savoir pour tous et de l��galit� des chances ; l�Alg�rie d�une industrie forte, d�une jeunesse digne et fi�re ; l�Alg�rie des fils de khamm�s et de bergers envoy�s aux Etats-Unis pour poursuivre leurs �tudes (ce sont les fils des g�n�raux et des ministres qui y vont aujourd�hui !), l�Alg�rie d�avant la longue nuit des renoncements, tomb�e brutalement sur nos r�ves. C��tait avant la plong�e dans le n�ant lib�ral, avant que les apprentis sorciers de la politique ne montent au cr�neau pour mystifier le peuple, vivant comme des pachas au milieu de la d�solation g�n�rale. Alger-Dakar ? Pourquoi pas ! Il me suffisait de lire la fiert� dans les yeux des jeunes S�n�galais lorsqu�ils s�approchaient de nos camions frapp�s de ce slogan que je n�oublierai jamais �Sonacome, constructeur africain !�
M. F.

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