Actualit�s : FARINE ET PAIN
Les dessous d'une crise


La flamb�e des prix du bl� dans les cours mondiaux, r�sultante de la crise engendr�e par la p�nurie de cette mati�re de base qui, selon les experts, s��talera encore dans le temps, continue de peser lourd sur les diff�rents op�rateurs intervenant dans le march� de la farine affectant ainsi la cha�ne de fabrication du pain, produit �l�mentaire dans le menu des Alg�riens et si cher aux petites bourses. Enqu�te�

Enqu�te r�alis�e par Lyas Hallas

La flamb�e des prix du bl� dans les cours mondiaux, r�sultante de la crise engendr�e par la p�nurie de cette mati�re de base qui, selon les experts, s��talera encore dans le temps, continue de peser lourd sur les diff�rents op�rateurs intervenant dans le march� de la farine affectant ainsi la cha�ne de fabrication du pain, produit �l�mentaire dans le menu des Alg�riens et si cher aux petites bourses. Ce march� en Alg�rie est devenu, par voie de cons�quence, un v�ritable imbroglio, min� par la sp�culation et les conflits d�int�r�ts, o� chacun d�fend sa �cro�te� par tous les moyens. Si les dysfonctionnements engendr�s par cette crise obligent le petit consommateur � d�bourser plusieurs dinars suppl�mentaires pour s�approvisionner en cette fameuse baguette de pain dont le prix est administr� et � se d�placer, parfois, des kilom�tres et des kilom�tres pour l�obtenir via les r�seaux informels et g�n�ralement dans des conditions d�hygi�ne intol�rables, le Tr�sor public p�tit, lui aussi de cette situation.
Les sp�culateurs r�gentent le march� de la farine
En fait, les consommateurs se rabattent sur le pain � cause de ses prix plus au moins abordables et ce, � d�faut de pouvoir pr�parer sa galette � la maison en raison de la chert� de la semoule dont les prix sont �galement plafonn�s � 3 600 DA pour la semoule ordinaire et � 4 000 DA pour la semoule sup�rieure. Les boulangers, qui revendiquent l�augmentation du prix de la baguette de pain ordinaire, fix� � 7,5 DA depuis 1996 ou, du moins, la r�duction des charges de production, n�arrivent pas � �quilibrer leur tr�sorerie et n�assument pas ainsi leur r�le convenablement. �Que l�Etat intervienne pour r�duire nos charges par des exon�rations fiscales par exemple�, sugg�re un boulanger. Il avance comme argument la hausse des prix des mati�res premi�res comme la farine et l�huile, qui a amplifi� les charges et rendu peu rentable leur activit�. Selon le pr�sident de l�Union des boulangers de Constantine, qui regroupe 408 boulangers affili�s � cette branche de l�Union g�n�rale des commer�ants et artisans alg�riens (UGCAA), pas moins de 40 d�entre eux ont �t� contraints de mettre la cl� sous le paillasson ces trois derni�res ann�es, � cause de la sp�culation dans les prix de la farine panifiable, pourtant plafonn�s par l�Etat � 2 000 DA/quintal et ce, depuis le d�but de la crise en janvier 2004. �La majorit� des boulangeries s�approvisionnent ces jours-ci en farine chez des grossistes � hauteur de 2 400 DA/quintal parce qu�elle est indisponible tout le temps chez les minotiers. Sachant que le quintal fait en moyenne 450 baguettes, la marge b�n�ficiaire du boulanger devient, ainsi, insignifiante, compte tenu des autres charges (l�huile, l��lectricit�, les imp�ts, les salaires�) Bref, nous sommes en train de nous bagarrer pour faire subsister notre activit�, d�plora-t-il. Selon le chef service de la qualit� aupr�s de la direction du commerce de Constantine, M. Ghoumazi, la vente de la farine panifiable est, l�galement, interdite en dehors des minoteries, �tant donn� que c�est un produit soutenu par l�Etat et sert, � fortiori, � une prestation de service public. Les mauvaises langues avancent que ce sont les minotiers qui sont derri�re la commercialisation de cette mati�re en dehors du circuit l�gal. �Le plafonnement des prix a, en effet, ruin� beaucoup de minotiers. Ces derniers, qui sont en difficult� � cause de l�intervention de l�Etat dans la r�gulation du march�, commercialisent la farine par le biais de commer�ants grossistes parce qu�ils peuvent, de cette mani�re, fuir la fiscalit�.� Les services de la direction du commerce de Constantine ont, d�ailleurs, enregistr� derni�rement une infraction similaire et le minotier qui livrait ce produit � des grossistes fera, �ventuellement, l�objet de poursuites, selon M. Ghoumazi. L�enqu�te est en cours. �Pour notre part, nous avons instaur� un dispositif de suivi et de surveillance des minoteries et comme mesure principale l�obligation des minotiers � transmettre quotidiennement � la direction du commerce une liste nominative des boulangeries servies. Ils doivent imp�rativement le justifier par des factures �tablies en bonne et due forme. D�autant que nous effectuons des contr�les fr�quents au niveau des boulangeries pour s�assurer de l�utilisation des quantit�s livr�es�, dira-t-il.
Prolif�ration des points de vente informels

L�autre ph�nom�ne qui d�note l�ampleur du d�sastre est la prolif�ration des r�seaux informels de commercialisation du pain, d�fiant de par leur ill�galit�, toutes les r�gles d�hygi�ne et de sant� publique. Pratiquement, les vendeurs � la sauvette, qui occupent la rue dans la plupart des grands quartiers des grandes villes de l�Alg�rie afin d��couler leur pain tax� � 10 DA, ne s�inqui�tent gu�re du service d�ordre. Mais, faut-il le souligner, ces r�seaux font le bonheur du consommateur qui peine � trouver du pain dans les boulangeries, surtout le soir. Quelle est l�origine de ce pain ? D�aucuns pointent du doigt certains boulangers qui, pour rentabiliser leur activit�, emploient des vendeurs � la sauvette moyennant une marge b�n�ficiaire et r�cup�rent, aupr�s de ces derniers, les invendus en cas de r�gression des ventes. Par ailleurs, certains parmi eux jouent sur le poids de la baguette pour faire des �conomies. A en croire le pr�sident de l�Union des boulangers de Constantine, cette d�bandade est l��uvre de boulangeries qui activent au noir. �Il en existe plus d�une vingtaine � travers la wilaya de Constantine. Celles-ci sont install�es dans des endroits plus au moins loin des regards des contr�leurs et fournissent leur pain � qui veut le prendre, sans peine�, r�v�le-t-il. N�anmoins, le bilan de la direction du commerce est peu �loquent dans ce sens : saisie de 6 135 unit�s en 2007 pour une valeur de 87 905 DA et 592 unit�s en janvier 2008 pour une valeur de 6 530 DA et fermeture d�une boulangerie qui livrait du pain � ces vendeurs, la semaine derni�re, pour une dur�e de 30 jours. Du c�t� de la direction du commerce, on �voque le probl�me du silence complice des diff�rents intervenants. �Personne ne d�nonce sa source d�autant que ces boulangeries s�approvisionnent en farine aupr�s des r�seaux informels�, soulignera M. Ghoumazi. Et pour le pain vendu par les �piceries ? L�administration du commerce autorise, au besoin, les �piceries de quartier qui ne disposent pas suffisamment de boulangeries � vendre le pain en respect avec des conditions d�hygi�ne et autres exigences de l�activit�, comme le plafonnement du prix. Si, dans la pratique, la majorit� des �piceries qui commercialisent le pain ne sont pas agr��es et imposent leur diktat en appliquant des prix plus au moins �lev�s par rapport � ceux administr�s, celles agr��es d�plorent la marge b�n�ficiaire, laquelle est �mis�rable� � leurs yeux. Il convient de noter dans ce contexte que les habitants de la nouvelle ville Ali-Mendjeli � Constantine, l�une des plus grandes cit�s de la wilaya, ont, en effet, fait, le 23 janvier dernier, les frais d�un conflit, aussit�t r�solu fort heureusement, entre les �piciers et les 10 boulangers qui les approvisionnent en pain. Ces derniers avaient, unilat�ralement, d�cid� d�une augmentation de 50 centimes du prix de la baguette livr�e, c�est-�-dire de 6,5 DA � 7 DA. Les �piciers, qui n�ont pas dig�r� la pilule, avaient observ� un arr�t des ventes de cette denr�e en signe de protestation. Cons�quence ? C�est une population de plus de 120 000 �mes qui n�a pas �t� servie. Les habitants de cette cit� ont �t� contraints de se d�placer vers les villes environnantes pour se ravitailler en pain.
L�intervention de l�Etat en amont en subventionnant les prix des bl�s dur et tendre est-elle la panac�e ?

Malgr� les efforts d�ploy�s par l�Etat assumant, � coup de milliards de dinars, le diff�rentiel entre le prix r�el du bl� dans les cours internationaux et celui administr� afin de maintenir la stabilit� du prix du pain, la situation peine � d�coller. �Il y a des gens qui profitent de cette conjoncture mondiale et essayent de cr�er la p�nurie pour s�enrichir sur le dos de l�Etat. En tout �tat de cause, les quantit�s distribu�es par l�Office alg�rien interprofessionnel des c�r�ales (OAIC) sont largement suffisantes pour couvrir les besoins des Alg�riens�, d�clara le directeur de la Coop�rative des c�r�ales et des l�gumes secs (CCLS) de Constantine, M. Mohamed Kamel Djouini. Et d�encha�ner : �Les prix de ces bl�s, qui fr�lent actuellement la barre de 450 dollars/tonne pour le bl� tendre et jusqu�� 780 dollars/tonne pour le bl� dur, ne d�passaient pas, avant 2004, les 220 dollars/ tonne pour le bl� tendre et 280 dollars/tonne pour le bl� dur. Cette flamb�e des prix d�clench�e d�but 2004 , cons�quence des sinistres qui ont affect� les r�coltes des grands producteurs comme les Etats-Unis et l�Europe, avait contraint l�Etat alg�rien � intervenir pour r�guler le march� et pr�server le front social. L�Etat, qui a maintenu le prix du quintal de bl� tendre � 1 285 DA alors qu�il vaut sur le march� mondial plus de 3 500 DA, avait, ainsi, plafonn� le prix de la farine panifiable � 2 000 DA et r�duit, en parall�le, les quotas des minotiers � 50% sur une d�cision gouvernementale datant du 26 janvier 2004. Cette quantit� administr�e couvre suffisamment les besoins de consommation des Alg�riens en semoule et en farine. Les minotiers, qui, en majorit� importaient les bl�s avant la crise puisque c��tait plus rentable pour eux, compte tenu de l�insignifiance des prix avant cette crise mondiale, se sont tourn�s vers les approvisionnements de l�OAIC. �Avant 2004, le march� des bl�s en Alg�rie �tait libre et certains parmi les minotiers, qui n�gociaient des bl�s peut-�tre moins chers que l�OAIC, n�avaient achet� aucun grain aupr�s de notre Office�, affirme M. Djouini. Mais, � partir du moment o� les capacit�s nationales de trituration avoisinent le taux de 215% des besoins de l�Alg�rie, cette intervention pose, donc, probl�me pour les meuniers alg�riens qui importaient alors le bl� afin de couvrir leurs besoins de production. Cet �tat de fait a, en effet, ruin� plusieurs minotiers qui ont fait des extensions de leurs moulins, lesquels ne peuvent importer les bl�s pour sa juste valeur et n�arrivent pas, en cons�quence, � honorer leurs engagements vis-�-vis des banques qui ont assum� le financement de ces nouveaux investissements. Si certains ont �t� contraints de d�clarer faillite, d�autres sont en train de compresser leurs effectifs et g�rent une situation de crise des plus fatales pour leurs finances. L�actuel gouvernement a, par ailleurs, d�cid�, courant janvier 2008, d�une augmentation de 20% des quotas des semouliers en bl� dur et une journ�e de livraison (le jeudi) du bl� tendre pour les minotiers sur la d�cade adopt�e par l�office qui g�re le grenier du pays depuis les pr�mices de la crise de p�nurie qui a affect� les cours mondiaux des bl�s en 2004 et ce, tout en gardant un quota de 50% pour ces meuniers. Que disent les meuniers ? Les op�rateurs publics ne posent pas de probl�me concernant le quota. Le P-dg des Moulins Sidi Rached de Constantine affirme que cette conjoncture �tait b�n�fique pour son entreprise puisque, selon ses termes, la structure du prix appliqu�e par le service commercial de l�entreprise n�inclut pas l�amortissement du mat�riel �tant donn� que ce sont d�anciens moulins qui disposent d��quipements v�tustes h�rit�s de l��poque coloniale contrairement aux priv�s qui g�rent des �quipements neufs et calculent leur prix sur cette base. �Nous avons r�cup�r� plusieurs clients en vertu de cette conjoncture. Mis � part les pannes qui nous causent des arr�ts fr�quents, notre quota (1200 quintaux/jour) couvre nos besoins de production et les prix administr�s confortent notre positionnement sur le march�, dira-t-il. Le priv�, lui, sugg�re la lib�ration du march� car, � ses yeux, c�est la seule solution plausible qui, d�ailleurs, arrange tout le monde, selon les termes d�un minotier implant� � Constantine. �Que l�Etat lib�re le march�. Il se r�gulera seul. L�intervention de l�Etat nous a caus� beaucoup de probl�me. Nous avons deux moulins dont le plus grand (d�une capacit� de 120 tonnes/jour) est � l�arr�t. C�est dire que nous fonctionnons � seulement 45% de nos capacit�s, vu la d�cade adopt�e par l�OAIC. D�autant que la qualit� du bl� distribu� par cet office laisse, parfois, � d�sirer et ne nous permet pas d�assurer la qualit� reconnue de notre produit, certifi� ISO. Aussi, les mesures de r�gulation ne nous permettent pas de rentabiliser nos moyens de transport car l�OAIC nous oblige � r�quisitionner quotidiennement les camions et les chauffeurs alors que nous pouvons transporter notre quantit� par d�cade en une journ�e et affecter ces camions pour d�autres t�ches�, regrette-t-il. Il dira que l�augmentation du prix de la baguette de pain � 15 DA assortie d�une intervention en aval de l�Etat par l�injection des subventions du bl� dans les salaires arrangera tout le monde. �Si l�Etat lib�re le march� de la farine, le prix du quintal de cette mati�re ne d�passera pas les 3500 DA et l�augmentation du prix de la baguette de pain � 15 DA rentabilisera amplement l�activit� du boulanger. Il n�aura besoin que de doubler le SNMG. Et je crois que l�argent des subventions du bl� est suffisant�, sugg�re-t-il. En ce qui concerne la vente de la farine aux grossistes aux biscuiteries et autres consommateurs de farine, il expliquera la question ainsi : �Je ne peux pas me passer de mes vieux clients parce que ce sont des partenaires qui me soutiennent dans les moments difficiles et consomment mon produit hors des crises de p�nurie. C�est � l�Etat de revoir, d�abord, les quotas attribu�s � tort et � travers � des meuniers v�reux, lesquels roulent actuellement � 100% parce qu�ils ont pr�sent� des dossiers falsifi�s � l�OAIC, mentionnant le double de leurs capacit�s de trituration�, justifiera- t-il. Sur un autre chapitre, il affirmera qu�il a honor� toute la demande des boulangers l�ayant sollicit� sauf ceux qu�il qualifie de �mauvais payeurs�, lesquels, selon ses dires, boudent le syst�me de facturation. Un autre minotier install� � Constantine, qui est du m�me avis, d�plore pour sa part les effets n�fastes de la r�gulation sur la production nationale et propose de subventionner la production du bl�, c�est-�-dire, les �vrais agriculteurs�. �Pour le moment il n�y a pas d�offre dans le march� mondial et cette crise durera encore dans le temps. La meilleure solution est d�encourager les producteurs locaux parce que si l�offre baissait davantage, aucun Etat ne videra ses greniers pour nous vendre son bl�, avance-t-il. Il est � signaler que l�Etat alg�rien a import� en 2007 l��quivalent de 1,89 milliards de dollars en bl� pour couvrir ses besoins de consommation qui s��l�vent de 60 � 70 millions de quintaux/an. C�est un march� des plus importants � l��chelle mondiale et les enjeux sont �normes. En tout cas, la crise persiste et personne n�h�sitera � d�fendre sa cro�te, ce qui est l�gitime d�ailleurs. Les meuniers ont d�j� embo�t� le pas aux boulangers et cr�� leur association qui rassemble 150 minotiers, semouliers et importateurs de bl�s dont la pr�sidence a �t� confi�e � M. Hocine Mansour Metidji, patron du groupe Metidji de Mostaganem, et ce, � l�issue d�une assembl�e constituante tenue derni�rement � Alger pour notamment d�fendre la production nationale et de surcro�t leurs int�r�ts aupr�s des instances dirigeantes. Que ce soit en amont ou en aval, c�est toujours l�Etat qui paie l�ardoise et une r�vision des mesures de r�gulation prises par l�Etat, pour notamment pr�server le consommateur et, de surcro�t, le front social, est donc de mise � d�faut de m�canismes fiables de contr�le pour l�application des textes en vigueur.
L. H.





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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/02/04/article.php?sid=64049&cid=2