
Actualités : La démocratie, l'islamisme et les enjeux politiques
Dans la construction de la démocratie, il faudrait que l’on évite un piège et également pointer une méthode de réalisation. Le piège : c’est le repli identitaire. Les pays musulmans le savent très bien. Présentement, des «Élections propres et honnêtes», pour employer un slogan en cours, donneraient immanquablement la victoire au courant rétrograde qui sublime l’arabisme et l’islamisme (ne pas confondre avec l’islamité et l’arabité), c'est-à-dire le courant national – islamiste. D’ailleurs, cette approche l’a emporté en Iran avec Khomeiny, en Turquie avec Ordugan, en Afghanistan avec les Talibans, cela a failli se produire en Algérie en 1992 avec le FIS. Dans certains pays (Maroc, Egypte, Jordanie…), les islamistes instruits par les expériences passées ont jugé plus politique de limiter leur avancée électorale en refusant de se présenter dans toutes les circonscriptions pour ne pas apeurer le pouvoir en place. Leur stratégie est d’islamiser de fond en comble la société. Ce faisant, le pouvoir leur tombera entre les mains comme un fruit mûr. Au demeurant, ils évitent le recours au coup d’Etat ou à l’insurrection armée trop aléatoire. Avec un peu plus de temps les urnes les hisseront au pouvoir. Ce choix d’islamisation de la société est le plus proche de toutes les sociétés musulmanes depuis une génération. Il est à tel point ancré que même les régimes en place, tous très autoritaires, condamnent avec véhémence le terrorisme, mais rechignent à pointer du doigt la matrice idéologique qui a donné naissance à ce terrorisme. Les choses sont donc beaucoup plus compliquées qu’on ne le pense. L’extension de l’islamisme et son ancrage constituent, dans les systèmes autoritaires, la seule réponse à un besoin de sécurité qui affecte l’intégralité de la structure sociale. Le repli identitaire demeure l’alternative, d’autant qu’il offre une sécurité certaine devant les assauts d’un Occident arrogant et les perversions d’un pouvoir déliquescent qui lui est inféodé. Le repli identitaire devient alors une bravade, pour retrouver un âge d’or imaginaire pendant lequel les peuples musulmans représentaient la plus grande force dynamique du monde. D’ailleurs à l’inverse du kamikaze japonais qui en réalité se suicidait pour la conservation des valeurs ancestrales, le kamikaze musulman est offensif pour retrouver des «valeurs» qu’il pense ancestrales et divines. On est allé jusqu’à l’absurdité : reprendre la ville de Grenade et reconquérir «l’Andalousie perdue». Avec une pointe d’humour, un journaliste algérien fustigeait ces élucubrations «Grenade… C’est comme Capri… c’est fini». La recherche des valeurs ancestrales a été telle que certains ont voulu imiter tous les faits et gestes du prophète et se comporter comme «au temps de la Kaâba», pour citer Malek Bennabi. Alors tout droit l’on tombe dans le piège de la stérilisation. Et là, ma pensée va à un écrivain algérien — Mouloud Mammeri —, pour lequel le «repli identitaire sécurisait certainement», mais «stérilisant » sûrement. Le Pakistan, l’Afghanistan, l’Iran, le Soudan… continuent de se débattre dans des problèmes inextricables. Les pays pétroliers, malgré leurs ressources immenses n’ont pu produire un seul Prix Nobel. Il faut donc se méfier du recours à la démocratie — non comme valeur — mais comme technique électorale. Elle a porté des régimes fascistes (Hitler) et elle a porté des régimes les plus anachroniques et rétrogrades. En tant que valeur, la démocratie ne peut être un repli, au contraire, c’est une progression. Je reprends encore une fois une pensée de Mouloud Mammeri pour qui il est inutile de «pleurer des paradis perdus» ; il est indispensable de «construire de nouveaux horizons». La démocratie doit donc tracer une nouvelle perspective. Et cette perspective est une société de savoir. L’augmentation du niveau de rationalité de la société est la condition de la démocratisation. Et c’est vers cet objectif que doivent tendre la société civile et les partis politiques qui prônent la modernité. Cette société de savoir, qui donne la primauté à la formation en lui affectant l’essentiel des ressources du pays est, aux antidotes de la société totalitaire dans laquelle sa part de rente est fonction de sa place dans la hiérarchie du pouvoir, une société qui érige l’ignorance et la pauvreté comme instruments de domination. En résumé, la démocratie n’est pas une technique, mais des valeurs. Réduite à une technique, elle débouche sur les pires archaïsmes. Portée par une société de savoir dont elle est le moyen de règlement des conflits sociaux, elle est l’alternative à l’effondrement des sociétés totalitaires. Madjid Aït Mohamed
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