Le Soir d�Alg�rie : Depuis sa cr�ation � Paris en 1994 par l�association Coup de soleil, le Maghreb du livre est devenu le rendez-vous incontournable des auteurs et du public ouverts sur la culture m�diterran�enne. Comment abordez-vous cette 14e �dition ?

Georges Morin : Nous abordons cette 14e �dition avec le sentiment que le combat engag� par Coup de soleil en 1985 ressemble un peu au mythe de Sysiphe : on y croit, on travaille, on essaie de faire le maximum � comme beaucoup d�autres en France et au Maghreb � afin de faire avancer nos valeurs d�ouverture � l�autre, de meilleure connaissance r�ciproque et de fraternit� ! Mais les vents mauvais soufflent fort, dans toute la M�diterran�e, au Nord comme au Sud ! On a le sentiment que ce sont les forces contraires qui l�emportent : la m�fiance, la fermeture sur soi, les murs, la haine, parfois. On a donc plut�t le sentiment d�un grand recul. Mais cela fait aussi mille et une raisons de continuer � se battre !� Et puis, on nous a tellement dit que Coup de soleil en g�n�ral et le Maghreb des livres en particulier, c��tait une v�ritable oasis dans ce monde si dur !� Alors on y va !�
Au fil des ans, comment a �volu� cette manifestation ?
Nous avons connu trois phases : de 1994 avec la 1re exp�rience d�un samedi apr�s-midi au CNL (Centre national du livre) � la 7e �dition � la mairie du 20e en 2000, cela a �t� une lente mont�e en puissance. On a ensuite eu le grand saut de la 8e �dition en 2001, lorsque l�un des membres de Coup de soleil, Bertrand Delano�, est devenu maire de Paris ! Ce natif de Tunis nous a imm�diatement invit�s � investir �la maison des Parisiens�. Nous avons relev� le d�fi, avec un doublement du nombre de visiteurs (de 3 000 � 6 400 !) : cette phase de �l�H�tel de Ville� a dur� jusqu�en 2006, avec des ajouts constants (espaces revues, espace jeunesse, espace vid�o, expositions d�art plastique, etc.) Nous sommes aujourd�hui dans une phase de recentrage puisque nous sommes �exil�s� en 2007, 2008 et 2009, � la mairie du 13e arrondissement, en raison de la contrainte o� se trouve l�H�tel de ville, durant ces trois ann�es, d�effectuer des travaux de mise aux normes de s�curit� : la mairie du 13e nous accueille tr�s chaleureusement et la ville continue � nous aider tr�s efficacement, mais passant de 2 500 m2 � 1 000 m2 de surface, nous avons d� bien s�r r�duire la voilure et nous recentrer sur le livre et les d�bats. Nous devrions a priori, d�s 2010, r�int�grer l�H�tel de ville, inch�Allah !
Quels en ont �t� les faits marquants ?
Je retiendrai quatre faits qui m�ont personnellement marqu� : le premier est bien s�r la 1re �dition de 1994 organis�e sur les conseils de mon ami Rachid Mimouni, ce grand �crivain alg�rien qui allait dispara�tre un an plus tard ! Il avait r�ussi � amener au CNL un autre �grand� : le Marocain Mohamed Choukri, crois� par hasard dans une rue de Paris ! Quel moment exceptionnel ! Le deuxi�me fait marquant remonte en 2001 : notre amie Le�la Shahid, d�l�gu�e g�n�rale de Palestine, dont le mari �crivain marocain invit� venait signer son dernier livre, est arriv�e au Maghreb des livres avec quelques amis isra�liens, et cela a bien s�r beaucoup impressionn� les visiteurs ! Autre moment fort en 2003 lorsque 16 �tudiants (8 de Constantine, en Alg�rie et 8 de Picardie, en France), apr�s avoir travaill� avec leurs professeurs respectifs sur �500 ans d�histoire franco- alg�rienne :1503-2003�, ont planch� devant 200 personnes interloqu�es, en nous donnant leur point de vue d�capant sur ces cinq si�cles d�une histoire si particuli�re. Dernier souvenir, enfin, qui montre bien que Coup de soleil est un lieu o� toutes les rencontres sont possibles. C��tait en 2005, nous y mettions d�j� � l�honneur les lettres tunisiennes. Une amie a attir� mon attention sur une conjonction peu ordinaire : se trouvaient � quelques m�tres les uns des autres des gens aussi diff�rents que l�ambassadeur de Tunisie venu au salon, deux auteurs signataires : l�ancien Premier ministre Mohamed Mzali, un opposant c�l�bre : le docteur Marzouki et une autre Tunisienne de grande notori�t� : l�avocate et �crivaine Gis�le Halimi !
Cette ann�e est d�di�e � la Tunisie. Comment s�op�re le choix des pays invit�s ?
C�est depuis 2001 que nous mettons un pays � l�honneur. Nous avions en effet d�cid�, d�s l�an 2000, de mettre le projecteur sur l�Alg�rie en 2003 (ann�e de l�Alg�rie en France). D�s lors, pourquoi ne pas commencer par la Tunisie en 2001, fa�on de remercier Bertrand Delano� de nous accueillir � l�H�tel de ville ? Le Maroc trouvait donc naturellement sa place en 2002 entre les deux. Et, depuis lors, la rotation est r�guli�re : Tunisie, Maroc, Alg�rie, etc.
Vous consacrez un caf� litt�raire � la figure de l��mir Abdelkader. Que repr�sente ce personnage pour votre association ?
L��mir est une grande figure historique et humaine, non seulement pour l�Alg�rie mais pour toutes nos civilisations m�diterran�ennes : il a �t�, tout � la fois, un grand th�ologien, adepte d�un islam ouvert et tol�rant, un grand chef de guerre dans sa r�sistance � l�occupation fran�aise et le b�tisseur de la premi�re v�ritable structure �tatique sur le territoire proprement alg�rien. L�ouverture, le courage et la capacit� � construire, c�est un exemple qui nous inspire beaucoup !
Vous rendez �galement hommage � Jamel Eddine Bencheikh. Pourquoi ce choix ?
Jamel Eddine Bencheikh, figure �minente de la litt�rature alg�rienne, avait aussi des attaches profondes avec le Maroc et avec la France. Il a, lui aussi, adh�r� d�s le d�but � Coup de soleil et il repr�sentait si bien, et avec quel talent, cette aire de civilisation plurielle qui est la n�tre, en M�diterran�e occidentale.
Une rencontre est programm�e autour de Mostefa Lacheraf et du syst�me �ducatif alg�rien. Pourquoi aborder ce personnage sous l�angle exclusif de l��ducation ?
Apr�s la tentative de d�culturation de l�Alg�rie sous le r�gime colonial, le balancier a bascul�, en 1962, vers une volont� l�gitime de r�appropriation de la langue arabe. Mais cela s�est fait avec tant de pr�cipitation et de graves erreurs que l�on a vraiment fabriqu� ces �analphab�tes bilingues� dans lesquels l�humour alg�rien a caricatur� les nouvelles g�n�rations. Mostefa Lacheraf, lorsque Boumediene l�a nomm� au minist�re de l�Education nationale, en a fait le constat public et lucide et il a entam� une difficile remise en ordre du syst�me �ducatif. Il n�a malheureusement pas eu le temps de mener � leur terme les r�formes engag�es, comme Mohamed Charfi sut le faire dans les ann�es 1987/1992 en Tunisie. Mais Mostafa Lacheraf reste, pour tous ceux qui vivent en Alg�rie, la r�f�rence incontournable en mati�re de r�forme �ducative� une r�forme qui a largement inspir� les r�flexions de la commission Benzaghou en 2000 et qu�il reste urgent de mettre en �uvre� Mais cet aspect essentiel de la personnalit� de Mostefa Lacheraf ne nous fait pas oublier pour autant ce qui a justement donn� tant de force et de l�gitimit� � ses propositions �ducatives : l�homme de conviction qui s�est engag� tr�s t�t dans la lutte pour la d�colonisation et l�homme d�une si grande culture, ouvert en permanence sur l�universel.
Propos recueillis par Meriem Nour

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