Le Soir des Livres : INTERVIEW KARIMA BERGER
"L'Alg�rie, une soci�t� qui remue de partout"


Le Soir d�Alg�rie : La partie alg�rienne de votre roman se situe � M�d�a. Que signifie cette ville pour vous ?

Karima Berger : C'est la ville o� j'ai pass� la majorit� de mon enfance et qui est la ville o� r�side ma famille, c'est le coeur de mon �ducation traditionnelle et en m�me temps le coeur de mon apprentissage de l'�cole fran�aise: deux mondes d�crits dans mon premier livre L'enfant des deux mondes (aux �ditions de l'Aube)
Vous d�crivez la soci�t� m�diterran�enne � et plus particuli�rement alg�rienne � repli�e sur ses traditions, jalouse de ses pr�rogatives et �touffant toute vell�it� de libert�. Est-ce l� votre vision actuelle de l'Alg�rie ?
�Repli�e sur ses traditions�, oui et non, car tout explose partout... qu'est-ce qui est tradition, qu'est-ce qui est modernit� aujourd�hui ? En revanche, comme cette derni�re est in�luctable, certains se cramponnent et se crispent pour tenter de rem�dier � son in�luctable (et irr�parable) disparition. Quant � la libert�, certes elle est �touff�e mais elle sait rena�tre et r�appara�tre dans des lieux in�dits, qui surprennent et qui ne se voient pas forc�ment � premi�re vue. Ma vision de l'Alg�rie est une vision tr�s dynamique, en mouvement, une soci�t� qui remue de partout et n�est s�rement pas ferm�e. Tout ceci peut �tre tr�s f�cond pour l'avenir de ce pays, mais c'est beaucoup de temps, beaucoup de souffrances pour arriver � cet �ge adulte d'un pays, mature et qui n'a pas peur de l'�tranger ou de ce qui lui est �tranger, car il sait d�sormais qui il est et ce qu'il veut �tre.
Vous d�noncez la victimisation dans laquelle se complaisent nos compatriotes. A propos de hogra, vous parlez de mot d�testable entretenant le m�pris de soi. Cette r�alit� est pourtant de l'ordre du ressenti. Comment la nommeriez- vous ?
C'est un mot qui m'a toujours g�n�e, qui nous place d'embl�e dans une posture de victime, de faiblesse... ceci pour moi n'est pas responsable ni adulte comme je le disais pr�c�demment, on ne peut plus de 40 ans apr�s l'ind�pendance se poser encore en victimes, c'est un mot qui fait �cran et qui emp�che d'analyser la r�alit� objective et subjective, au sens de �que veut-on v�ritablement comme projet pour ce pays�, quelle vision en a-t-on?, quel d�sir de nous-m�mes a-t-on? Force, puissance, intelligence ou plainte perp�tuelle quant � des complots r�els et imaginaires..., plainte qui d�responsabilise puisque l�ennemi c�est l�autre alors que l�ennemi peut aussi �tre en soi ou il peut �tre son propre fr�re.
A contrario, vous parlez d'arrogance. Ces deux comportements ne sont-ils pas contradictoires ?
Arrogance : oui, en effet cela peut para�tre contradictoire mais c'est un couple infernal, d'un c�t� la hogra, la plainte de l'autre, nous consid�rons que nous sommes les meilleurs, tout particuli�rement quant au statut du religieux, l'islam, s'il cl�t le cycle de la proph�tie cela ne signifie pas que son message est sup�rieur aux deux autres religions monoth�istes. L�islam reconna�t sa part monoth�iste et abrahamique.
Les rapports entre vos personnages, hommes et femmes, Fran�ais et Arabes, sont vici�s � la base. Les couples sont vou�s � l'impasse. Pensez-vous qu'une rencontre pacifi�e soit un jour possible et � quelles conditions ?
A la base ils ne sont pas vici�s, non, au contraire, � la base il y a d'abord le d�sir, le d�sir de l'�tranger, d�sir de ce que nous ne sommes pas ou de ce que nous n'avons pas (sa langue, sa culture, ses paysages, son monde po�tique, imaginaire...) et lui de m�me, aura cette ambition de d�couvrir plus profond�ment cette autre culture et de se laisser envo�ter par le myst�re de ce qu�il ne conna�t pas. Chacun r�ve de l'autre, parce que le d�sir se nourrit toujours de ce qui est �tranger � soi, mais cela peut se retourner tr�s vite, tr�s fort... c'est une chose fragile. Ensuite, lorsque les codes traditionnels se sentent menac�s, alors les rapports sont vici�s, les couples sont mena�ants pour l'�difice social et communautaire, ils ne produisent plus du �m�me� mais de l'autre, et cet autre, au lieu d'�tre valoris� comme une production nouvelle, comme le fruit de l'histoire, de l'�volution, il est rejet�... et devient �tranger � la soci�t�. Alors, il faut beaucoup de force et d'amour pour r�sister � une emprise qui est r�gressive et tire vers le bas l'aspiration � la d�couverte de l'humain universel, signe de maturation d'une soci�t�.
Propos recueillis par Meriem Nour

Biobibliographie
Karima Berger est n�e � T�n�s, en Alg�rie. Elle a publi� aux �ditions de l'Aube, L'enfant des deux mondes en 1998 et en 2002, La chair et le r�deur. Son troisi�me roman Filiations Dangereuses a �t� publi� en septembre 2007. Elle �crit aussi des nouvelles dans des revues et ouvrages collectifs. Elle vit et travaille � Paris. C'est dans le face-�-face des cultures arabe et fran�aise de son enfance, dans une d�couverte de l'Autre toujours renouvel�e, dans cette confrontation vivante des langues, des corps et des croyances qu'elle puise l'essentiel de sa qu�te et de son expression.

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