Le Soir des Livres : "Filiations dangereuses"

Martine la m�re, Pierre le fils, Driss le petit-fils h�ritent, de g�n�ration en g�n�ration, de ce go�t du d�sir, ce go�t de l'aventure qui les conduit vers d'autres rives. Filiations dangereuses nous m�ne � travers la recherche du p�re, des p�res, vers ces ailleurs o� l'�trange, l'�tranger n'est pas toujours celui que l'on pense. Pierre part en qu�te de Mahmoud, le Marocain, le p�re hypoth�tique, avec pour seul indice un journal intime �crit en arabe.
Une sorte de qu�te du Graal o� la recherche de l'Autre aboutit in�luctablement � la d�couverte de soi. Son Arianne c'est Nadj, une beaut� orientale pleine de myst�re, qui poss�de � travers les mots, les cl�s de la connaissance des mondes. Pierre r�ve d'un nouvel ordre dans sa vie, loin des sentiments d'abandon et de rejet que lui a l�gu�s ce p�re oublieux pour qui il �prouve � la fois haine et fascination. Mais le carnet est un cadeau empoisonn� qui, partant de Paris, l'entra�ne � M�d�a vers un destin qu'il ne peut assumer. Pierre p�n�tre en Alg�rie comme on entre dans une f�te, port� par le groupe qui soulage de la douleur d'�tre seul tout comme Driss, son fils, une g�n�ration plus tard, se d�lectera �du lait communautaire dont la saveur vous poursuit et ne vous quitte jamais�. Pierre rejoint la horde sans soup�onner sa force meurtri�re jusqu'au r�veil tragique et � la fuite. Le lieu clos o� l'on se sent aim� et prot�g� devient alors une prison et la trame du tapis communautaire, symbole de solidarit�, se r�v�le �tre les barreaux d'une cage. Trahisons et abandons se succ�dent. Martine, �un territoire � prendre�, incarnation de la France, sacrifi�e par Mahmoud sur l'autel des traditions, Nadj la rebelle rejet�e par les siens, Pierre l'innocent tromp� par sa nouvelle fratrie, Driss enfin abandonn� � son tour par ce p�re meurtri. Cette poursuite d'un r�ve est faite de ruptures, de va et vient entre pass� et pr�sent, de vies en d�sordre reli�es par un fil invisible et pourtant omnipr�sent, le p�re, le p�re lointain, le p�re absent. La plume de l'auteur se laisse guider par le questionnement de ses personnages, passant de l'un � l'autre, d'un temps � l'autre avec une parfaite ma�trise de sa partition. L'absence de lin�arit� du r�cit ne nuit pas � sa fluidit�. Bien au contraire, il nous entra�ne dans les m�andres des relations chaotiques entre des hommes et des femmes de cultures diff�rentes, dans la diversit� des lieux et des temps. La finesse de l'analyse des sentiments est rendue dans un style color� et sensuel qui nous prom�ne dans des paysages lumineux aux tonalit�s �clatantes et tumultueuses, aux parfums d'ambre et d'eucalyptus sous les caresses de femmes aux seins odorants. P�trie des cultures arabe et fran�aise, Karima Berger dresse un tableau sans concession d'une soci�t� alg�rienne mur�e dans ses traditions et son instinct obs�dant de sa survie. Nulle place pour celui ou celle qui, s'�cartant du groupe, affirme sa libert�. Tel un corps malade, il doit en �tre expuls� : �Un cloaque ti�de, glaiseux o� il fait bon se vautrer dans la sauce de l'ind�termin�, pas de sujet, pas de Je, pas de responsabilit�(...) Mais gare � l'infid�le, gare � celui qui fuit�. Nulle place � fortiori pour l'�tranger qui ne peut trouver de salut que dans la conversion, cette autre renonciation � soi. Et m�me converti, son �tranget� le laissera en marge toujours en butte aux suspicions. Faut-il en conclure l'irr�m�diable incommunicabilit� entre les cultures ? L'impossible rencontre d'hommes et de femmes d'univers si diff�rents ? L'espoir comme toujours viendra d'une g�n�ration d�barrass�e de ses complexes qui saura se r�approprier ses h�ritages.
M. N.
Filiations dangereuses, Karima Berger,
�ditions Ch�vrefeuille �toil�, ao�t 2007

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