Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
LIEUX ET H�RITIERS DE DIB
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr


Tlemcen sous la pluie : l�image te saisit. La derni�re fois que je l�ai visit�e, dans une autre vie, c��tait sous une chape de chaleur presque caniculaire. Ce devait �tre au cours de l��t� 1987. Un bail ! Je me souviens seulement de rues vides et des arbres �talant leur ombre sur le macadam en fusion. Cette image, je l�ai transport�e pendant toutes ces ann�es et, incrust�es d�sormais dans ce satan� inconscient qui vous joue des tours, c�est tout naturellement que je croyais retrouver Tlemcen dans les m�mes tons.
Las ! La pluie, attendue depuis longtemps, s�est invit�e. Elle n�arr�te pas, fine, persistante, presque discr�te. Cela n�enl�ve heureusement rien � la chaleur de l�ambiance qui r�gne autour de l�attribution du Prix Mohamed Dib et du colloque �Patrimoine et cr�ativit� qui l�accompagne. Ma�tre d��uvre de ce renouveau culturel dans une ville qui a gard� de d�allant : l�association �La Grande Maison� qui, sous le contagieux dynamisme de sa pr�sidente Sabeha Benmansour, est arriv�e � r�enraciner cet �crivain universel qu�est Mohamed Dib dans le lieu de l�origine tout en faisant venir vers lui cette universalit� qu�il est all� chercher au bout du monde, au bout de lui-m�me et, en fin de compte, au bout des mots. Pour la troisi�me fois, le prix Mohamed Dib, d�cern� par un jury international pr�sid� par Naget Khadda et compos� d�universitaires de diff�rentes nationalit�s, est attribu�. Le premier, en 2003, avait r�compens� Habib Ayyoub, un journaliste, pour C��tait la guerre. Un autre journaliste, Hamid Bouacida, a �t� distingu� en 2006 pour Cinq dans les yeux de Satan. L��dition 2008 r�compense aussi un journaliste. C�est Kamel Daoud, chroniqueur au Quotidien d�Oran, qui est distingu� pour L�Arabe ou le vaste pays de �. Le manuscrit a, selon Naget Khadda, �suscit� l�enthousiasme g�n�ral et m�me une sinc�re admiration �. Il s�agit, confie la pr�sidente du jury, d�un �texte original et fort qui op�re une passionnante alchimie o� l�esprit d�analyse et un captivant travail m�taphorique sont servis avec une subtile touche ironique �. Tout cela pour traiter de cette question plus qu��pineuse : �Etre Arabe aujourd�hui, c�est quoi ?� Vir�e � la grotte de Beni Add, � une douzaine de kilom�tres de Tlemcen. Une merveille ? La connexion entre le mot grotte et le mot merveille produit souvent un pl�onasme. Ici, �a l�est, sans conteste. Pas seulement parce que, apr�s une grotte au Mexique longue de 450 km, Beni Add est la deuxi�me du monde par la longueur de sa galerie qui fait 145 kilom�tres et qui fait d�elle, et de loin, la premi�re grotte d�Alg�rie. Mais aussi et surtout parce qu�elle est belle. Fabuleusement. Ce qui trouble quand on parcourt ces galeries o� la nature et le temps ont jou� les architectes, les sculpteurs, les paysagistes et les peintres conjuguant leurs talents pour r�aliser une �uvre d�une absolue perfection, c�est l�abandon auquel elle para�t r�duite. La premi�re grotte d�Alg�rie et la deuxi�me du monde ? Franchement, on ne dirait pas. D�abord, rien ne l�indique. Au d�tour d�un virage sur une route vicinale, on bifurque vers un terre-plein et on tombe nez � nez avec un caf� approximatif �gar� dans la cambrousse. L�entr�e de la grotte ne se voit presque pas. Y a-t-il une plaque qui indique de quoi �a cause ? Sans doute, mais on ne la voit pas. Je te la ferais aussi grande que le ciel, cette plaque ! Je te l�annoncerais jusqu�� ce que tu n�aies aucune chance de la rater, cette grotte. Je planterais, s�il faut, des plaques signal�tiques sur le vertex des vagues ! On plaisante ? Pas tout � fait. Sur la route de la grotte, tu rencontres le pont ferroviaire construit par Eiffel. Celui de la tour ! Eh oui, il est venu par l�. Mais reviens � la grotte. C�est un crime de n�gliger une telle merveille ? Elle n�a pas de chance, la grotte de Beni Add. En 1957, parce qu�elle est un refuge de l�ALN, l�arm�e fran�aise coule du b�ton dedans la rendant infranchissable jusqu�au bout. La sortie se faisait � 145 kilom�tres de l�, en territoire marocain, � Sid Yahia, pr�s d�Oujda. Des explosifs ont ravag� parmi les plus belles stalagmites et stalactites de la grotte. Des groupes terroristes l�ont occup�e pendant les ann�es noires. Et il y a aussi cet �pisode amusant, tragiquement amusant, racont� une ann�e qu�il �tait de passage � Tlemcen � Rachid Mimouni qui l�a consign� dans son essai De la barbarie en g�n�ral et de l�int�grisme en particulier. Parce que la grotte est � une temp�rature constante de 13�, id�ale pour la conservation de certains l�gumes, l�OFLA en avait fait un d�p�t de pommes de terre. Des employ�s de l�Office des fruits et l�gumes devaient rester sur place pour la s�curit�. Mais comme il n�est pas particuli�rement jouissif de vivre dans une grotte, il arrivait aux gardiens de p�ter les plombs. Ils s�en prenaient alors aux stalactites et aux stalagmites. Ils les cassaient comme un forcen� casse la baraque. Il faut sauver cette grotte. Il n�est pas normal qu�elle reste dans cet �tat. Elle peut devenir une attraction touristique majeure. C�est comme �a aussi qu�on s�occupe d�un pays : en le rendant plus beau par la promotion de ce qu�il a de plus beau. Alors, mesdames et messieurs les maires de la r�gion, les �lus municipaux, les d�put�s, les s�nateurs, les ministres, vous �tes tous concern�s : la grotte de B�ni Add ne peut plus p�tir de votre n�gligence, d�sint�r�t ou indiff�rence. �a ne ram�ne pas de voix, il est vrai, �a ne mange pas de pain mais �a vaut le coup, sapristi, de rendre � cette grotte toute la splendeur que la nature lui a donn�e et que les hommes ont fan�e. Revenons � Dib. Un des plus grands �crivains de ce pays, c�est s�r. Un des plus novateurs aussi. Mais, en plus de tout cela, une de ses qualit�s majeures, et rares, c��tait l��coute qu�il accordait aux jeunes �crivains. Un a�n� au sens protecteur du terme ! Que son nom soit li� � un prix et que ce prix soit d�cern� � ses h�ritiers en humanisme dans sa ville natale, c�est une excellente chose que l�on doit aussi au travail de fourmi de beaucoup de b�n�voles. Chapeau � vous !
A. M.

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