
Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS … QU’ARRIVER… Par Arezki Metref arezkimetref@free.fr
Le «troisième mandat» en tant que Premier ministre d’Ahmed Ouyahia commence dans un climat incandescent. Le motif premier de cette électrisation est, bien entendu, l’analyse de son retour aux affaires, à ce niveau et au milieu du gué. On a pu lire ça et là divers commentaires sur les raisons visibles et invisibles qui ont conduit à ce que Belkhadem soit lâché en rase campagne. Mais comme la scène politique est masquée par un rideau opaque, on ne fait, en guise d’analyse, que spéculer sur le sens du retour du Jedi qui, par ailleurs et comme ce personnage d’une chanson de Jacques Brel, n’a jamais rien fait d’autre qu’arriver. De toutes les lectures qui en sont faites, la plus proche de la vraisemblance est certainement celle qui explique la brutalité de sa nomination, pour ne pas dire de l’éviction de Belkhadem, par une de ces recompositions intempestives et violentes qui sont l’aboutissement coutumier des luttes d’appareil dans un pays où les seuls appareils qui marchent sont ceux du pouvoir. Dans cette culture routinière du coup d’Etat en vertu de laquelle un responsable politique arrive et s’en va dans un processus d’arbitraire et de brutalité, faut-il vraiment s’interroger sur la suite des évènements ? En principe, il est inutile de le faire. Beaucoup de commentateurs ont montré que, comme en une répétition onirique, nous ressentons l’étrange impression d’avoir déjà vécu la même situation et qu’il n’arrivera rien qui ne soit déjà arrivé. De plus près, pourtant, certains petits détails risquent de troubler comme le ralliement à Bouteflika d’Ahmed Ouyahia, de son parti et, au-delà, surtout du clan des «décideurs», fût-ce pour des raisons tactiques. Comment peut-on se demander sérieusement si Ahmed Ouyahia est ou non en faveur d’un troisième mandat pour Bouteflika lorsque le congrès de son parti, truffé selon les journaux d’officiers des services de sécurité à la retraite, a appuyé, pas même du bout des lèvres, cette perspective ? Voilà ce que dit la «résolution de soutien à Son Excellence le moudjahid Abdelaziz Bouteflika» adoptée par le congrès : «Le Rassemblement national démocratique soutiendra le projet de révision de la Constitution que soumettra Monsieur le Président de la République, dans le but de consolider l’Etat et d’améliorer le fonctionnement des institutions de la République, et, dans le même temps, exprime son souhait que cette révision constitutionnelle permettra au moudjahid Abdelaziz Bouteflika de se présenter pour un 3e mandat à la présidence de la République.» Donc, point de mystère là-dessus. Le mystère demeure, en revanche, entier, sur l’usage d’une telle phraséologie. On n’écrit plus des «zaimeries » pareilles, allons ! Nous ne sommes plus dans l’ère glaciaire du culte de la personnalité. Ou si, pour des raisons de panne, nous y sommes restés englués, essayons de nous en sortir. Je ne sais pas si Ahmed Ouyahia, dont la lucidité politique est patente, et si les rédacteurs de telles choses, y croient eux-mêmes mais il est certain qu’ils ne pourront faire adhérer personne à l’idée que la révision de la Constitution est de nature à «consolider l’Etat et d’améliorer le fonctionnement des institutions de la République». Des mots, voilà tout ! Pas plus qu’ils ne pourront convaincre quiconque, pas même eux, qu’un troisième mandat soit une priorité pour le pays et qu’il sera taillé pour Abdelaziz Bouteflika et seulement pour lui et non point à l’intention de son successeur, ce joker dont le nom est sans doute déjà tiré d’une manche qu’on ne voit pas d’ici. Car, évidemment, l’iceberg ne nous donne à voir que la partie sur laquelle butent les paquebots réputés insubmersibles. Le théâtre d’ombres enveloppe les vrais acteurs de la tragicomédie de l’obscurité trompeuse. Les vraies questions ? Ahmed Ouyahia a-t-il été choisi par Abdelaziz Bouteflika ? A quels occultes petits et grands calculs répond cette nomination dans une conjoncture constituée d’une crise sociale sans précédent scandée par des émeutes, une pétrification des pôles de pouvoir et tous les archaïsmes et régressions d’une fin de règne ? Raisonnablement, peut-on envisager qu'Abdelaziz Bouteflika, qui règne sans gouverner depuis quasiment le début de son deuxième mandat, en tienne un troisième? Toutes les apparences plaident pour la réponse négative. Dans cette hypothèse, il est évident que la neutralisation du verrou constitutionnel au troisième mandat sera profitable à d’autres intérêts que ceux d’Abdelaziz Bouteflika. Le point de divergence autour duquel ça chauffe pas mal est la cristallisation de cette question : Ahmed Ouyahia est-il «éradicateur» ou «réconciliateur»? Un tableau comparatif de ses actes et paroles politiques nous montrera qu’il y aurait autant de paramètres pour le placer dans le camp des uns que dans celui des autres. Mais dans l’état végétatif où se trouve un pays où les péroraisons islamistes se sont incorporées au discours de l’Etat, il n’est pas mauvais d’entendre les paroles de la rationalité comme celles qu’Ahmed Ouyahia a prononcées à propos de l’augmentation exponentielle du volume horaire de l’éducation islamique : «Même si je ne suis pas un spécialiste de la pédagogie, je ne vois pas l’utilité d’imposer cette matière durant tout le processus scolaire. En plus, nous avons déjà 7 instituts des sciences islamiques. Nous avons 17 000 mosquées en Algérie. Ces instituts nous fournissent 4 000 imams par an. Ils vont travailler où ? Je crois que pour l’initiation à la religion, le palier primaire suffit. Celui qui veut se spécialiser dans le fikh n’a qu’à aller à la mosquée.» … Une parole ne fait pas tout un discours ? Oui, mais… A. M.
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