L’issue dramatique que risque de connaître la grève de la faim engagée par les enseignants contractuels renseigne, on ne peut mieux, sur le désespoir de ceux qui recourent à cet ultime moyen pour se faire entendre. Le sociologue Zoubir Arous, chercheur au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), s’y est intéressé.
Entretien réalisé par
Rosa Mansouri
Le Soir d’Algérie : Nous assistons ces dernières années, dans les
différents mouvements de protestation des travailleurs et des citoyens à
un recours à la grève de la faim. Sociologiquement, comment peut-on
expliquer cette forme de protestation ?
M. Zoubir Arous : La société algérienne traverse une période de
contestation sociale aiguë et non organisée. Les grèves cycliques, les
émeutes, les grèves de la faim et les sit-in sont les indices d’un grand
malaise. Un malaise qui ne trouve, toutefois, pas de voix qui le porte
afin que les revendications sociales soient exprimées dans un cadre
organisé et structuré. Même les travailleurs affiliés à des
organisations syndicales de masse, à l’image de l’UGTA, recourent aux
mêmes moyens de contestation que les autres citoyens qui agissent en
groupes d’individus. Ainsi, le problème de fond réside dans l’incapacité
des organisations syndicales à contenir la révolte sociale et à être à
l’écoute des besoins de la société. La grève de la faim reste l’arme
assassine des révoltés. C’est un moyen de contestation d’une extrême
violence et suicidaire. Les grévistes de la faim se font violence pour
exprimer un ras-le-bol, un mal de vivre et un désespoir total.
Ne croyez-vous pas que cette forme de protestation est la meilleure
façon d’aboutir à des résultats avec une administration contestée ?
La grève de la faim est le summum de la révolte. Lorsqu’un citoyen
ou un groupe d’individus décident de recourir à ce moyen, c’est que
toutes les voix de la raison ont été consommées et n’ont pas donné de
résultats. Il faut signaler cependant que ce phénomène n’est pas nouveau
et n’est pas propre à l’Algérie. L’Egypte, par exemple, a vécu une
situation similaire. C’est lorsque les portes du dialogue se referment
et les institutions de l’Etat font la sourde oreille aux préoccupations
sociales que les personnes désespérées cherchent des moyens plus
violents pour attirer l’attention et convaincre de la légitimité de leur
cause.
Y a-t-il d’autres formes de contestation violentes en plus de la grève
de la faim ?
Dans cette situation, ce qui est à craindre c’est l’explosion. Il
est à indiquer que les partis politiques, le mouvement associatif, les
syndicats autonomes et les parlementaires ne sont plus en mesure
d’apporter une quelconque solution aux maux sociaux. Nous assistons
aujourd’hui à une destruction du système politique dans toutes ses
formes organisationnelles.
Et quelles sont les solutions préconisées ?
Seule l’ouverture d’un dialogue social peut apaiser les esprits. Il
faut arriver à l’instauration et à la clarification de la relation de
travail entre les travailleurs et leurs administrations. La loi reste
par ailleurs, l’arbitre dans ces rapports professionnels. C’est quand il
y a un vide juridique et qu’il a une mauvaise interprétation des lois
que ces conflits surgissent. Il est temps de reprendre en main les lois
et les appliquer.
R. M.