Chronique du jour : A FONDS PERDUS
Du zoo � la jungle
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


Le 28 juillet dernier, M. Frederic S. Mishkin, membre du Conseil des gouverneurs (Board of Governors) de la Federal Reserve, la Banque centrale am�ricaine, pr�sentait la strat�gie de communication de son institution devant le Peterson Institute. Il est bon de prendre connaissance de la teneur de sa communication et, surtout, de comparer.
L�enjeu affich� ici est de mesurer la performance d�une communication cruciale pour la croissance, la stabilit� des prix et les niveaux d'emploi : elle est �cruciale, car la perception du public de l'environnement �conomique est un facteur-cl� dans l�activit� des banques centrales�, estime M. Mishkin. Outre un rapport mon�taire semestriel au Congr�s, la Fed rend compte quatre fois par an. Est-ce suffisant ? s�interroge M. Mishkin. �La science de la politique mon�taire donne � penser que la R�serve f�d�rale peut aller encore plus loin dans le renforcement de sa strat�gie de communication et que cela procurerait d'importants avantages pour la performance �conomique et la responsabilit� d�mocratique �. Quels sont alors les �principes scientifiques� pour une communication en mati�re de politique mon�taire ? M. Mishkin en recense deux : les objectifs de la politique mon�taire et les avantages de la transparence pour l�institution qui en a la charge. Les objectifs de politique mon�taire s��noncent ainsi : stabiliser les prix, contenir l�inflation � un �niveau aussi bas que stable (2%, ou peut-�tre un peu plus bas, sur le long terme), soutenir la croissance (souvent d�nomm�e potentiel de croissance de la production) et favoriser l�emploi (souvent appr�ci� par rapport � un taux naturel de ch�mage qui ne saurait exc�der 6% depuis l�administration Clinton). Ces objectifs s�inscrivent dans le cadre du double mandat statutaire �de stabilit� des prix et d�un maximum d'emplois durables�. Une transparence parfaite de l�action de la banque centrale contribue pour sa part �la responsabilit� d�mocratique� et la �prosp�rit� �conomique� : �Dans une soci�t� d�mocratique, la banque centrale a la responsabilit� de fournir au public et � ses repr�sentants �lus, tous les �l�ments confirm�s pour des d�cisions de politique mon�taire.� Ce qui �facilite la prise de d�cisions efficaces par les m�nages, les entreprises et les march�s financiers�. C�est pourquoi, la Fed se propose, depuis novembre dernier, de rendre publiques des projections �conomiques couvrant d�sormais les trois prochaines ann�es, au lieu de deux ans auparavant, de les ajuster quatre fois par ann�e plut�t que deux, et d�int�grer une pr�vision globale de l'inflation des prix � la consommation, tel que mesur� par l'indice des prix des d�penses personnelles de consommation (PCE). Outre qu�ils permettent aux d�cideurs d�assurer leur pilotage, ces agr�gats sont utiles pour l�action de la banque centrale elle-m�me, plus particuli�rement pour actionner ses leviers sur le march� mon�taire qui, au sens large, constitue le canal de transmission de la politique mon�taire d�cid�e par elle. Il s�agit, en l'occurrence, du r�le de la banque centrale, institut d'�mission, en charge du volume d'argent circulant dans la sph�re �conomique. C'est par l'interm�diaire des tr�soriers des banques et des �tablissements de cr�dit avec qui elle est en contact qu'elle ajuste ces disponibilit�s mon�taires, par ailleurs appel�es �masse mon�taire �, afin d'�viter, avant tout, que l'inflation ne d�rape et n'�rode s�rieusement le pouvoir d'achat de sa monnaie. C'est sa principale mission. Le niveau des taux directeurs constitue le deuxi�me moyen d'intervention pour une banque centrale de r�guler le march�, mais aussi l'�conomie. En les modifiant, elle intervient directement sur le co�t des liquidit�s qu'elle pr�te aux banques. Troisi�me moyen, utilis� � plusieurs reprises chez nous, et � juste titre, pour freiner la croissance des liquidit�s, la banque centrale peut d�cider de relever le montant des r�serves obligatoires que doit constituer chaque banque � son niveau. Ces r�serves, r�mun�r�es faiblement, sont directement li�es aux montants de cr�dits que les banques ont accord�s � leurs clients. Nous m�ditions ces progr�s et les nouvelles propositions que sugg�re l�auteur un bel exercice d�application, lorsqu�une r�flexion pertinente de Fouad Hakiki, publi�e dans le Quotidien d�Oran jeudi dernier, nous incita � mesurer le foss� qui nous s�pare des autres. Il met en exergue l�indigence et la disparit� des outils statistiques, en comparant les donn�es de l�Office national des statistiques et celles de la banque centrale. Selon le premier, l'indice des prix de consommation au niveau national a baiss� de -2,2 % entre mai 2008 et juin 2008 (un peu moins fortement sur le Grand Alger � : -2,1 %) ; et cette variation mensuelle touche surtout l'�alimentation � : -3,8 % (-4,2 % pour le Grand Alger). Ces donn�es sont ensuite rapproch�es de celles du gouverneur de la Banque d�Alg�rie dans son intervention devant le Conseil de la nation, le 13 juillet 2008 : �L'augmentation de l'indice des prix � la consommation en moyenne annuelle est pass�e de 3,5% en 2007 � 4,47% � fin avril 2008. En glissement annuel, par contre, le taux d'inflation s'�tablit � 5,63% en mars et 6,44 en avril 2008�. �Selon nos banquiers centraux : le taux d'inflation de 3,5 %, en moyenne annuelle, pour 2007 est en phase avec l'objectif ultime de la politique mon�taire, exprim� en termes de stabilit� � moyen terme des prix autour d'un taux d'inflation de 3%�. Comme un malheur ne vient jamais seul, la d�p�che de l�APS reprenant l�entretien accord� par le pr�sident de la R�publique au quotidien chinois Renmin Ribao ( Quotidien du peuple), pr�te au chef de l�Etat le propos soutenant �une croissance �conomique moyenne, hors hydrocarbures, de l'ordre de 5% depuis 2000�, ainsi que d�autres �tats statistiques l�nifiants. �En moyenne sur la p�riode 2000-2007, le taux d'inflation s'est positionn� � 2,46% dans un contexte d'expansion de la d�pense publique d'investissement, de surliquidit� de l'�conomie et d'un march� mondiale marqu�, r�cemment, par le rench�rissement des produits alimentaires de large consommation�. Il est �galement question de retour � �une croissance durable (qui) se traduit par une am�lioration cons�quente de la situation de l'emploi et d'une r�duction du ch�mage dont le taux repr�sentait 11,8% de la population active en 2007. �Enfin, il est possible de percevoir la r�alit� alg�rienne sous l'angle de la progression du produit int�rieur brut par habitant, qui a plus que doubl� en moins d'une d�cennie, passant de 1 600 dollars en 1999 � pr�s de 4 000 dollars en 2007�. Pour ces m�mes agr�gats, le dernier rapport national sur le d�veloppement humain, �labor� par le Cnes, et valid� par le PNUD sur forte insistance des autorit�s alg�riennes soucieuses d�am�liorer leur ancien mauvais positionnement, donne d�autres agr�gats. Le PIB par t�te d�habitant passe de 1623,3 dollars en 1999 � 3478,4 dollars en 2006, pour des raisons totalement �trang�res aux comp�tences des uns et des autres et dans des conjonctures p�troli�res fondamentalement diff�rentes, alors que le taux de ch�mage masculin passe de 26,66 % en 1999 � 11,81 % en 2006 (il reste � corriger par modulation avec celui des femmes qui est de 14,46 %). Ces discordances statistiques rendent compte de l�opacit� qui entoure l�activit� �conomique et des zones noires, maffieuses, qui l�entachent. En Russie post-bolch�vique, la complaisance, voire la complicit�, de la mafia avec les hommes politiques et l�Eglise orthodoxe a contribu� � banaliser le probl�me qu�elle pose � l��conomie, � la soci�t� et � la d�mocratie. Proche du pouvoir, elle eut acc�s � des informations importantes � les vraies � sur la situation �conomique et sut investir au mieux dans les entreprises et les secteurs les plus performants : principalement dans les services (transports et commerce de consommation) et dans la banque, ses deux sources de revenus. Chez nous, l��cueil des banques ayant �t� �vit� in extremis, elle �volue � sa guise partout ailleurs. Nous sommes dans une situation o� des op�rateurs �conomiques passent du zoo de l��conomie administr�e � la jungle de celle du bazar, dans un avion sans pilote, ni tableau de bord. Comme pour tout ce que nous consommons par ailleurs, nous sommes l� aussi d�pendants de l�ext�rieur : une �conomie extravertie produit des statistiques import�es et l�on se remettra, l� aussi, aux donn�es annuellement �tablies par le Fonds mon�taire international dans le cadre des consultations au titre de l�article IV. La r�cente nomination de M. Boukrami au poste de commissaire g�n�ral en charge de la planification porte l�espoir d�introduire un peu de coh�rence dans tout cela, mais la plus belle femme au monde ne peut donner que ce qu�elle a et une hirondelle ne fait pas le printemps.
A. B.

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