
Chronique du jour : KIOSQUE ARABE Des victimes et des martyrs Par Ahmed Halli halliahmed@hotmail.com
La séance des questions et réponses qui s'est déroulée la semaine dernière à l'Assemblée a mis en évidence, encore une fois, le manque de pudeur de certains «élus» de la nation. Il s'agissait pour un député du Hamas d'étrenner son nouveau bulletin de salaire en montrant le prix qu'il attachait à la morale et à la vertu (islamiques). Il a donc interpellé la ministre en charge de la Culture sur les scènes d'idolâtrie provoquées par le chanteur égyptien Tamer Hosni, lors de son dernier concert à Alger. Pour mémoire, l'élu islamiste a sans doute été choqué par la «ghanima» (butin), sous forme de bijoux, collectée par le chanteur, en plus des serments d'amour éternel. Il a été question aussi du complexe «Riadh-el-Feth», dont nous traînons le boulet depuis un quart de siècle. Comme la ministre contestait l'aptitude du député de la coalition gouvernementale à donner des leçons, ce dernier a vivement répliqué : «C'est le peuple qui m'a chargé de vous interroger !» J'ai soudain compris pourquoi le peuple était de plus en plus pauvre : il vit et élit au-dessus de ses moyens. Payer aussi cher un député, simplement pour poser des questions et indisposer un ministre déjà gêné aux entournures, dénote un manque de sérieux évident. Pourquoi diable s'offrir un tel luxe alors qu'un simple SMS ou un email peuvent permettre de substantielles économies ? Pour le reste, je vous renvoie à la chronique de notre ami Boubekeur Hamidechi, qui a tout dit, me semble-t-il, samedi dernier. La sortie du «Douktour», Salim Al- Aoua, égyptien et voisin de palier du Hamas d'ici et de Gaza, mérite elle aussi son pesant d'indignation. Salim Al-Aoua, catalogué comme penseur islamiste, n'a pas été chargé par le peuple d'interroger les astres et l'Histoire. Comme notre député surpayé, il se croit investi d'une procuration divine et il agit en tant que tel. Commentant l'éboulement de roches qui a littéralement anéanti le quartier de Douéka, près du Caire, il a affirmé que cet éboulement était une punition de Dieu. Selon lui, les habitants de ce quartier ne vivaient pas en accord avec les ordonnances divines et ne respectaient pas la Charia. Le quotidien Al-Badila publié une lettre de lectrice, en réponse aux propos insensés du très médiatisé «penseur » de la foi. «Dr Salim, que Dieu t'accorde ses bienfaits ! As-tu goûté à la faim ? Sais-tu ce que c'est de dormir la nuit avec des réchauds à gaz parce qu'il n'y a pas d'appareils de chauffage en hiver ? Sais-tu ce que c'est de se vendre pour un plat de miel noir et une moitié de miche de pain ? Et quand le Parti national démocratique (au pouvoir) vient leur distribuer des appareils de chauffage et de la nourriture pour qu'ils votent pour lui. Que penserais-tu s'ils réagissaient en manifestant et en criant : «A bas, à bas Hosni Moubarak» ? Il me reste une question, Docteur, et Dieu sait combien je te respecte : où étais-tu à l'égard de ces gens ? Qui est allé vers eux, pour les informer, pour les faire parler ? Qui s'est préoccupé de les éduquer, de les nourrir ou de leur faire connaître leurs droits ? Ces gens n'ont pas conscience d'avoir des droits, ils sentent seulement qu'ils sont des infra-humains ! As-tu essayé, Docteur Salim, d'aller vers eux et de leur dire : «Tu es un être humain, tu as une dignité et tu as des droits. On te vole ! Tu es un citoyen et ce pays est le tien. Descends dans la rue et réclame tes droits !» Tu n'as pas pensé à leur répéter les paroles de Abou Dar-Al- Ghiffari : «Si un musulman a faim, personne n'a du bien.» Tu les a abandonnés, Docteur. Et le jour où ils meurent, tu dis que Dieu est en colère contre eux ! Alors, qui va-t-il agréer s'il manifeste sa colère contre des gens qui soulèvent la poussière, une femme respectueuse qui se nourrit dans les poubelles. Une respectueuse frappée à coups de chaussures, une respectueuse qui vend ses enfants, qui vend ses organes. Une respectueuse dont les enfants jouent avec des scorpions, une respectueuse et les siens, dont la peau se lézarde et se déchire sous les effets de l'âpre hiver. Des respectueux entourés de canaux d'évacuation des eux usées, qui achètent une eau polluée à 4 lires le jerrican. Des respectueux qui voient des gens partir à bord de voitures longues de six mètres, qui voient d'autres arriver, tellement gros et adipeux qu'ils ne peuvent marcher. Ils ne jettent pas un regard sur ces gens si respectueux et qui remercient Dieu. Si Dieu est en colère contre ces gens-là, sur qui alors aura-t-il un regard indulgent ? » Commentant cette lettre, le rédacteur en chef du quotidien d'opposition affirme qu'il ne serait pas étonné de voir la presse publique publier des lettres de soutien à Moubarak, émanant des morts de Douéka. Le Raïs est, en effet, directement désigné par la presse comme le principal responsable des catastrophes en série qui ont endeuillé l'Egypte ces dernières années. Dans le cas des éboulements de Douéka, des experts cités par la presse ont mis en cause les infiltrations d'eaux usées déversées par les nouvelles villas construites en amont du bidonville martyr. La revue Sawtal- oumma rebondit sur les déclarations lénifiantes de Salim Al- Aoua en lui répondant indirectement : «Ne vous en prenez pas, à tort, à la prédestination et à la volonté divine. Ceux qui ont accueilli les officiels égyptiens à coups de pierres savent bien que la fatalité n'a rien à voir. Moubarak et ses ministres qui n'ont pas daigné venir savent qu'ils sont responsables de tout ça. Le pire, c'est qu'ils continuent à disserter avec arrogance sur leurs pseudoréalisations. » «Et si nous devons encourir la colère divine, ajoute le journal, c'est parce que nous avons laissé le régime de Moubarak perdurer. Nous nous sommes laissé humilier, gruger, piétiner sans demander des comptes. Nous avons permis qu'on nous vole, qu'on nous spolie et nous avons toléré de mourir sans en éprouver du chagrin. Nous avons eu peur d'être réprimés et nous avons eu la mort. Nous avons eu peur des sacrifices et nous nous sommes retrouvés sacrifiés. Chaque année, il meurt autant d'Egyptiens que ceux qui sont tombés dans les guerres. Ces derniers sont des «martyrs», reconnus de tous, mais ceux qui meurent dans les catastrophes sont simplement des «victimes». Ils meurent sans dignité, sans cause, sans reconnaissance et sans mérite. Ils meurent en silence car ils ont vécu en silence. Ils ont fermé la bouche et refusé de dire la vérité. Ils ont accepté l'humiliation et ils ont attendu la délivrance, alors que l'épée du tyran était là, brandie au-dessus de leurs têtes. Le tyran, porte-malheur, est là à régner, à corrompre et à égorger. Oui, nous resterons dans cet état, d'une mort à l'autre, jusqu'à ce que les feux de l'enfer nous délivrent», conclut le journal. Moubarak est trop vieux pour solliciter un nouveau mandat mais son fils se prépare à la succession, dit-on. Tout ceci n'a évidemment rien à voir avec cette actualité nationale qui nous préoccupe. A. H.
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