La région de Ghardaïa a été dévastée mercredi der - nier par la crue de l’oued Mzab. Les habitants de la vallée ont été surpris au moment où ils s'apprêtaient à accomplir la prière de l’Aïd el-Fitr. Livrée à ellemême, la population tente de s’organiser pour faire face à la catastrophe.
De nos envoyés spéciaux à Ghardaïa, Tarek Hafid et
Samir Sid
Les habitants de la vallée du Mzab ont certainement passé
le pire Aïd el-Fitr de leur histoire. Mercredi dernier, aux environs de six
heures du matin, l’oued Mzab est sorti de son lit, provoquant des inondations
dans plusieurs communes. «Il avait plu à torrent toute la nuit de mardi. Il
faut dire que nous étions heureux après un été des plus secs. Mais je ne me
doutais pas que cette averse providentielle allait provoquer un tel cataclysme.
C’est au moment où je devais me rendre à la mosquée pour la prière de l’Aïd
que les eaux sont montées précipitamment, emportant tout sur leur passage »,
lâche dans un soupir Issa Benaânou. Pour échapper à la furie des eaux, le
vieil homme a dû se réfugier avec toute sa famille sur le toit de la maison.
Jeudi, avec la décrue, il ne lui restait plus qu’à constater l’étendue
des dégâts. «Regardez, tout est détruit. Les murs commencent à s’effondrer.
Tout le fruit d’une vie est parti en quelques minutes.» Issa reconnaît
toutefois avoir eu de la chance. «Grâce à Dieu, nous n’avons eu aucun
décès. Ce n’est pas le cas dans d’autres quartiers de Ghardaïa. Les pires
rumeurs circulent sur la mort de plusieurs dizaines de personnes. Pourvu que ce
soit faux.» Pour réaliser l’ampleur de la catastrophe, il suffit de se
rendre à El-Ghaba. Située sur les berges de l’oued Mzab, cette partie de la
ville est en fait la palmeraie de Ghardaïa.
Désolation
Une population importante, issue quasi-exclusivement de la communauté
ibadite, y a élu résidence, au milieu des palmiers dattiers. Mais depuis
mercredi, les magnifiques vergers ont été totalement détruits par la furie
des eaux. Aujourd’hui, El-Ghaba offre un spectacle de désolation : des
dizaines de véhicules pris dans la boue, des demeures défoncées, des magasins
saccagés... «L’oued est sorti de son lit en quelques minutes seulement. Ceux
qui étaient éveillés ont juste eu le temps de sortir de chez eux. Les autres,
notamment ceux qui résident au milieu de la palmeraie, ont dû monter sur les
toits des maisons. Mais le niveau de la crue n’a cessé d’augmenter. Pour
avoir la vie sauve, ils ont été obligés de s’accrocher aux palmiers. Des
familles entières sont restées perchées durant de longues heures avant que l’on
ne leur vienne en aide», explique Brahim Dadi Baba, en nous menant à travers
les ruines du quartier Imodal. Lui pense que des victimes gisent encore sous les
décombres de leurs maisons. «Je ne pense pas que nous puissions trouver des
survivants mais je suis certain qu’il y a encore des corps. La palmeraie s’est
transformée en marécage et demeure inaccessible dans certains endroits. Il
faut, toutefois, poursuivre les recherches.»
Absence
Brahim Dadi Baba ne cache pas sa colère envers les pouvoirs publics. Selon
lui, ils ont été totalement absents. «Quelques pompiers sont venus juste
après la crue. Ils avaient les mains vides et ne nous ont été d’aucune
aide. Depuis ce jour, nous ne les avons pas revus. Dans la palmeraie, toutes les
opérations de sauvetage ont été menées par les citoyens. L’Etat était
absent», dénonce avec vigueur Brahim Dadi Baba. Ce qui est valable pour les
premiers secours l’est également pour la prise en charge des sinistrés. Une
situation que confirme Djamel Slimane qui coordonne l’action d’un groupe de
bénévoles. «Rien, nous n’avons rien reçu, ni nourriture, ni eau, ni
couvertures. Tout le réseau d’aide aux sinistrés a été mis en œuvre par
des bénévoles avec l’aide des membres du Croissant-Rouge algérien de Béni
Yesguene. Le wali s’est pourtant déplacé sur les lieux et a constaté de
visu l’ampleur des dégâts. Il s’est engagé à nous octroyer des aides,
mais nous attendons toujours. Cette situation est insupportable car nous savons
que les aides sont entassées actuellement au niveau du Complexe sportif de la
ville», note Djamel Slimane.
Solidarité
L'inefficacité des pouvoirs publics a provoqué un formidable élan de
solidarité au sein de cette communauté. L’ensemble des familles sinistrées,
plusieurs centaines selon les bénévoles, sont logées dans une école privée
et dans les quelques demeures épargnées par les inondations. Sur place, elles
bénéficient de vêtements neufs et de couvertures. Des repas chauds leur sont
servis trois fois par jour. Toute cette logistique est dirigée à partir de la
cité de Ben Yezguene. «Depuis mercredi dernier, nous avons reçu d'importantes
quantités de vivres, de vêtements et de couvertures. Nous faisons en sorte de
trier l’ensemble des dons et de les acheminer au niveau des dix centres de
sinistrés que compte la ville. Cela est également valable pour les repas qui
sont préparés par les familles de Béni Yezguene. Nous disposons également d’une
équipe médicale composée de médecins et d’infirmiers. Cette équipe est
chargée du tri des médicaments et des interventions sur site», souligne Nouh
Hadj Ahmed. «Nous avons mis en place une organisation qui, à mon sens, est
efficace. Mais nous n’avons pas les moyens de l’Etat et nous ne voulons
surtout pas nous substituer aux autorités, ce n’est sûrement pas notre but,
ajoute Nouh Hadj Ahmed. L’homme insiste, toutefois, sur le fait que les
actions d’aide aux sinistrés menées par la cité de Béni-Yezguene ne sont
pas réservées exclusivement à la communauté ibadite. «Nous desservons les
centres situés dans l’ensemble des quartiers de la ville. L’aide apportée
par les bénévoles ne va pas uniquement aux membres de notre communauté.»
Colère
Il semble que ce soit l’ensemble de la population de la région qui est
logé à la même enseigne en matière de soutien. 48 heures après la
catastrophe, aucune aide de l’Etat n’aurait été distribuée. Une situation
qui a provoqué la colère des habitants. Hier, aux environs de midi, de
nombreux citoyens ont manifesté devant le siège de la wilaya pour exiger que
les dons soient distribués. Le sit-in qui s’est déroulé sous l’étroite
surveillance de la police anti-émeutes, s’est finalement dispersé dans le
calme. Dépassées par les événements, les autorités locales ne semblent pas
avoir les moyens de mettre en place une organisation pour gérer cette crise.
Une inefficacité qui pourrait s’avérer dangereuse dans les prochains jours.
T. H.
YAHIA FAHIM, WALI DE GHARDAÏA :
«Nous sommes revenus plusieurs années en arrière !»
C’est un wali de Ghardaïa accablé par la situation qui s’est
présenté, jeudi après-midi, face à la presse. «Ghardaïa est revenue plu -
sieurs années en arrière. Il ne reste plus rien de cette belle ville.
Ghardaïa n’est plus !», a décla - ré Yahia Fahim au lendemain des
inondations qui ont frappé huit des treize communes de cette wilaya.
«Dans la nuit de mardi à mercredi, nous avions quelques
pressentiments à cause des fortes pluies qui se sont abattues sur la région.
Mais nous ne nous attendions pas à une telle catastrophe. Il est tombé sur la
région 60 millimètres en 20 minutes alors que la pluviométrie moyenne est de
50 millimètres par an !» Selon lui, ce ne sont pas uniquement les pluies qui
se sont abattues sur la région du Mzab qui sont la cause de ces inondations.
«Il faut savoir qu’un grand nombre de cours d’eau situés dans les régions
d’El-Bayadh, Djelfa et Laghouat se déversent dans l’oued Mzab. Au plus fort
de la crue, le débit a atteint les 600 mètres cubes par seconde. C’est
énorme !» Le wali reconnaîtra, cependant, que les autorités ont été
dépassées par la situation. «Dès le début des inondations, nous avons
décidé de couper l’alimentation en énergie électrique pour éviter tout
risque d’électrocution. Mais devant l’ampleur et la vitesse de la crue, les
agents de la Protection civile ont très vite été dépassés. Nous n’avions
pas les effectifs nécessaires. Ils n’ont pu porter secours aux citoyens
puisqu’ils étaient eux-mêmes dans une situation très difficile. D’ailleurs,
dans bien des cas, les pompiers et la population ont travaillé ensemble, ils se
sont entraidés. Pour une bonne prise en charge, il aurait fallu mettre 100
pompiers avec leur matériel dans chaque quartier de la ville de Ghardaïa. Et
cela est valable pour l’ensemble des localités touchées». Pour ce qui est
de la prise en charge des sinistrés, il a annoncé la mise en place d’un
dispositif dans le cadre du plan Orsec. «Actuellement, nos priorités sont les
suivantes : secourir les citoyens, les loger décemment et leur permettre de se
nourrir. L’Armée nationale populaire est intervenue très rapidement en
mettant en œuvre d’importants moyens logistiques, notamment aériens.
Actuellement, 12 wilayas ont envoyé des produits de première nécessité, des
tentes et des couvertures. Dans un premier temps, toutes ces aides seront
entreposées dans un centre de tri installé au Complexe sportif de Ghardaïa.
Elles seront ensuite dispatchées vers des centres secondaires qui seront
disposés près des centres d’hébergement.» Pour ce qui est de la reprise
des cours, Yahia Fahim a indiqué que ce n’était pas encore une priorité.
«Nous pensons que plusieurs établissements scolaires ont été détruits. Mais
actuellement, cela ne figure pas encore parmi nos priorités. Pour qu’il
puisse aller à l’école, un enfant doit d’abord avoir un toit.»
T. H.
BILAN PROVISOIRE
Une trentaine de personnes décédées
Le wali de Ghardaïa a annoncé, jeudi, que les crues ont causé la mort de 33
personnes. «Actuellement, nous avons constaté le décès de trente- trois
personnes. Il est possible qu’il y ait encore des morts. Je crois que le plus
dur sera de faire le bilan de cette catastrophe», dira le wali. En fait, jusqu’à
hier après-midi, il était impossible d’obtenir un bilan officiel. Black-out
également sur le nombre des blessés et des disparus. La population reste très
sceptique en l’absence de communication officielle.
T. H.
BIEN QUE LA SAISON TOURISTIQUE SOIT COMPROMISE
Les sites culturels épargnés
Les principaux sites culturels de la pentapole du Mzab auraient été épargnés
par les crues de mercredi dernier. «Mis à part la perte de quelques archives
notariales qui datent de plusieurs siècles, les crues n’ont pas eu d’impact
majeur sur le patrimoine architectural des sept villes de la vallée du Mzab.
Cela nous le devons à nos ancêtres qui construisaient sur les collines et non
pas près des oueds, comme c’est le cas actuellement», précise Nouh Hadj
Ahmed, notable de la ville de Beni- Yezgane. Bien que sauvés, les célèbres
monuments ne pourront toutefois pas accueillir de touristes cette année.
«Cette catastrophe a bouleversé nos projets de relance du tourisme dans la
région. Nous avions prévu de donner le coup d’envoi de la saison le 25
octobre en accueillant plusieurs groupes de touristes étrangers. Mais ces
inondations ont définitivement compromis nos projets pour la relance de ce
secteur», a indiqué, pour sa part, le wali de Ghardaïa.
T. H.