Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Le faux retour de Chadli
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr


Chadli Bendjedid a parl�. C�est comme si un homme muet, condamn� � �tre enferm� dans la mutit� toute sa vie, avait, � la surprise g�n�rale, prononc� les mots capitaux. On l�a entendu ! Il a parl�. Mais, comme tout le monde dans ce fichu pays de taiseux, il a parl� quand c��tait trop tard ou presque. On en a d�vers� sur lui, oui ! �a fait un bail que beaucoup se demandaient s�il allait se laisser faire comme �a ? On ne va pas continuer � tout lui coller sur le dos ? Il ne va pas demeurer contemplatif, distant, taciturne, cependant qu�on le fignole en parfait bouc �missaire ? Il en faut des nerfs solides, ma foi ! Ce n�est pas un mod�le de gouvernance, Chadli !
Avec sa bonne bouille de p�re tranquille, il avait une main de fer, se souvient- on ! Son bilan, ce n'est pas exactement ce qu'on peut appeler une maestria politique, non! Ce serait quelque peu exag�r� de parler de mod�le imp�rissable dont on entretiendra longtemps le souvenir de la bravoure et de la justesse, et de la justice, dans les chaumi�res reconnaissantes. Pour tout dire, ce serait m�me tout le contraire. Il a laiss� des souvenirs pour le moins p�nibles. De sa d�cennie et des poussi�res de pouvoir, on garde le sentiment d�une d�liquescence qui a fait progressivement fl�chir la colonne vert�brale nationale. On a vu na�tre une nouvelle structure politique, celle de la r�publique n�potique. Les parent�les diverses et vari�es devenaient des comp�tences professionnelles en soi. La petite r�pression ordinaire, contre les communistes et apparent�s, contre les berb�ristes, subissait une acc�l�ration in�dite cependant que les islamistes commen�aient � conna�tre, avec lui, leur moment de gr�ce, qui a �t� aussi l�enfer pour le pays. On peut, comme �a, sans r�fl�chir, vite fait, aligner des tas d�exemples de cette lente et inexorable descente aux ab�mes de l�Alg�rie pilot�e par Chadli. Pour autant, faut-il lui imputer tous les maux de la terre ? Est-il seul responsable de tous les malheurs et de toutes les incons�quences survenus dans ce pays ? Comptant sans doute sur sa lenteur de r�action, son indolence, ses adversaires du s�rail, parmi lesquels certains lui mangeaient dans la main du temps de sa splendeur, se sont attaqu�s � lui bille en t�te. Il ne r�agira jamais, ont-ils d� penser. Trop mou, pas assez cogneur pour �a, ont-ils suppos� ! Ils auraient continu� comme �a � raconter tout et son contraire � son propos. Ce n�est pas qu�il n�y ait pas de choses justes dans ce qu�ils arguent ! H�las, quand on passe en revue cette d�cennie de la porosit�, on s�aper�oit que l�Alg�rie, livr�e alors � des parvenus que n��touffaient gu�re les scrupules, vivait son sort de g�teau que l�on se partageait sans piti�. Mais il est impensable que le d�clin comme la r�ussite soient le fait d�un seul homme. Circonstance att�nuante : la poisse de succ�der � Boumediene ! Ce n'�tait pas de la tarte. Venir, le visage et la politique p�les, prendre la place de ce chef irascible qu'�tait Boum, fallait du brio. C'est pourquoi, son premier chantier, tout le monde s'en souvient, �tait la �d�boumedienisation�. Pour d�boulonner la statue du commandeur, il fallait, au pr�alable, d�truire tout ce que son pr�d�cesseur avait laiss�. C�est en regardant cet amas de boulons qu�on est surpris d'apprendre qu�il avait �t� le dauphin d�sign� de Boumediene. Les historiens et les t�moins nous diront un jour ce qu�il en est de cette all�gation. Mais admettons que Boumediene l�ait adoub� sur son lit de mort ! L�h�ritier ne s'est pas appliqu� � faire fructifier l�h�ritage. Au contraire, il a remis en cause les choix fondamentaux de Boumediene, d�gomm� tous les hommes de ce dernier, essay� de se procurer une popularit� en achetant la paix sociale par l�inondation des Souk-el-Fellah de boules de fromage rouge hollandais, d�agrandisseurs photos allemands et de moteurs de horsbord fran�ais. En faisant sauter le verrou de l�inique autorisation de sortie gr�ce � laquelle Boumediene enfermait les Alg�riens dans une caserne, Chadli a permis � ces derniers de voyager en masse � l��tranger. La possibilit� qu�il leur �tait offerte d�acheter des devises (la fameuse allocation voyage) a eu un effet inattendu : d�clencher cette pratique qui, petit � petit, allait ronger le march� et cr�er des circuits parall�les, le trabendo. Le lib�ralisme entam� pour d�compresser une soci�t� �touffant sous l��conomie administr�e �tait souvent un moyen de faire passer entre les mains du priv� le patrimoine �conomique public. Pendant tout le r�gne de Chadli, les pulsations de la soci�t� alg�rienne cherchant � se lib�rer ont provoqu� des convulsions sociales incessantes. Le Printemps berb�re de 1980 en a �t� le coup de d�part. Puis des manifestations durement r�prim�es ont �clat� � Alger, Constantine, pour l�eau, le logement jusqu�� cette grande explosion d�Octobre 1988 qui a eu le m�rite de mettre � nu le r�gime. Ces convulsions ont souvent �t� le fruit de d�bordement de luttes d�appareil pour le pouvoir. C�est le cas, � l�origine, des �v�nements de 1988. Mais la soci�t� avait aussi son mot � dire et c��tait le moment id�al. La suite, comme on le sait, a �t� dramatique. Les islamistes, soutenus au plus haut niveau, profitent de cette col�re des Alg�riens et la Constitution de 1989 autorisant le pluralisme partisan, impos�e par les �v�nements, sera vite d�voy�e. Au lieu de lib�rer les forces politiques dont la pluralit� �tait et reste n�cessaire � l��quilibre du pays, elle a au contraire pouss� ce dernier dans le chaos. Par les choix qu�il a faits ou qu�on a faits pour lui, Chadli a jou� un r�le capital dans ce plongeon. Mais personnaliser dans l�absolu l�entreprise de d�voiement de la lib�ralisation politique, c�est d�douaner un syst�me qui survalorise les hommes de leur vivant politique et qui leur met tout sur le dos une fois qu�ils sont � terre. Par un charisme timor� et une apparente apathie, Chadli offrait toutes les caract�ristiques de la personnification de la victime du syst�me dont il a tenu treize ans durant les r�nes. On l'a d�barqu� pour le rendre responsable et coupable de tout. Et qui est-ce �on� ? Des responsables politiques qui, d�j� de son temps, musardaient dans les all�es du pouvoir et qui lui ont surv�cu pour instruire contre lui le proc�s qu�il a subi. Et voil� qu�il r�agit quand on ne l�attendait plus. Pourquoi, et pourquoi maintenant ? Il para�t �vident que s�il met � profit l�hommage rendu � des chefs de l�ALN pour se r�habiliter, ce ne semble gu�re pour remettre le pied � l��trier pour un nouveau tour politique. Il n�est pas anormal qu�un ancien pr�sident de la R�publique prenne la parole � un moment o� le pays n�gocie un virage dangereux. Mais de l� � affirmer qu�il voulait asseoir un r�gime parlementaire, on se pose la question toute b�te : pourquoi ne l�a-t-il pas fait au cours de ses treize ann�es d'El-Mouradia ? Pour le reste, et vu la tournure que prennent les choses, il n�est pas impossible qu'un jour vienne o� on se surprendra � nourrir de la nostalgie pour l��poque de Chadli. Rien n'est impossible au pays des surprises.
. A. M.

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