Chronique du jour : A FONDS PERDUS
Ce vice qui �affecte� tant M. Greenspan
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


Haro sur le �capitalisme financier�, vive �l��conomie r�elle�. Une nouvelle th�se, m�diatiquement tr�s � la mode, s�applique � vendre l�id�e que le capitalisme est malade de sa financiarisation et qu�il lui suffit de renouer avec � l��conomie r�elle � pour retrouver ses vertus originelles d�esprit d�entreprise, de concurrence pure et d�autor�gulation.

On retrouve une expression achev�e de cette variante id�ologique dans le discours de Nicolas Sarkozy, pr�sident de l�Union europ�enne et de la R�publique fran�aise, le 25 septembre 2008 : �Pendant plusieurs d�cennies, on a cr�� les conditions dans lesquelles l�industrie se trouvait soumise � la logique de la rentabilit� financi�re � court terme (�) Mais ce syst�me, il faut le dire parce que c�est la v�rit�, ce n�est pas l��conomie de march�, ce n�est pas le capitalisme. L��conomie de march�, c�est un march� r�gul�, mis au service du d�veloppement, au service de la soci�t�, au service de tous (�) L��conomie de march�, c�est la concurrence qui r�duit les prix, qui �limine les rentes et qui profite � tous les consommateurs�. Sarkozy se veut alors confiant : �La crise financi�re n�est pas la crise du capitalisme. C�est la crise d�un syst�me qui s�est �loign� des valeurs les plus fondamentales du capitalisme, qui a en quelque sorte trahi l�esprit du capitalisme. Je veux le dire aux Fran�ais : l�anticapitalisme n�offre aucune solution � la crise actuelle.� Il suffit donc de revenir au bon vieux capitalisme pour que le beau vieil id�al des lib�raux reprenne vie. Or, que repr�sente, en termes sonnants et tr�buchants, cet id�al d��conomie r�elle, ce levier par lequel on pourrait restaurer les �quilibres du march� ? Rien ou presque rien : seuls 2% des transactions mon�taires sont aujourd�hui directement li�s � la production. Au-del� de la diff�renciation entre les capitalismes financier et industriel, entre l�ange et le d�mon, derri�re la crise de l'ultralib�ralisme, qui n�est pas pr�s de finir de mordre la poussi�re, c�est une phase nouvelle dans l�histoire du capitalisme qui se dessine. Le mod�le du capitalisme financier pouss� � son stade ultime de d�r�gulation- d�r�glementation est le grand ordonnateur de l�ordre capitaliste actuel ; il y r�gne en ma�tre absolu, sans partage. C�est un homme averti qui le dit : l'ancien pr�sident de la Bundesbank. Voil� ce qu�il soulignait au trait rouge au Forum de Davos (tenu en f�vrier 1996) : �Les march�s financiers joueront de plus en plus le r�le de "gendarmes" (...) Les hommes politiques doivent comprendre qu'ils sont d�sormais sous le contr�le des march�s financiers et non plus seulement des d�bats nationaux.� Pas seulement les hommes politiques. La logique qu��voque le grand argentier allemand touche y compris les sph�res de commandement militaire. Le capitalisme financier irrigue le syst�me comme le sang le fait pour le corps humain. Il touche aux fonctions qu�on soup�onne le moins. Ainsi, accorde-t-on � l�Agence am�ricaine de projets de recherche avanc�e pour la d�fense (Darpa) de s��tre inspir�e des sp�culations sur les prix du march� p�trolier en pr�voyant d�offrir � des traders d�investir de l�argent sur un FutureMAP. Traduire : March� � terme appliqu� � la pr�diction. Dans ce mod�le, les traders sont le guide et la t�te chercheuse du Pentagone. Les sp�culateurs auraient int�gr� � leurs calculs, mieux que ne le font les strat�ges militaires, les risques d�attentats terroristes, de guerres civiles, de coups d�Etat, et d�autres variables, qui leur permettraient d�anticiper l�avenir. Le Pentagone aurait suivi leur �flair� et enregistr� et �analys� les tendances de ce nouveau march�. �Les march�s � terme ont prouv� qu�ils pouvaient pr�dire des choses comme le r�sultat des �lections ; ils sont souvent meilleurs que les experts�, affirmaient les concepteurs de FutureMAP. Un rapport tr�s important de 2000 place la d�fense de la �viabilit� et de la stabilit� de la globalisation � (entendue comme �l�ensemble des syst�mes globaux majeurs que sont les r�seaux commerciaux, financiers, de transport et d��nergie�) au premier rang des �int�r�ts vitaux� dont la menace justifie des actions militaires (*). L�objectif est la cr�ation de conditions politiques qui p�rennisent l�apprivoisement de p�trole et de gaz au profit des Etats-Unis. Les deux guerres contre l�Irak entrent en partie dans ce sch�ma de �guerres du p�trole�, men�es pour le contr�le d�une ressource strat�gique. Une probl�matique est ant�rieure aux attaques du 11 Septembre. Inutile de chercher � identifier l�ennemi qui justifie cette �guerre sans limites� : il n�est pas identifiable. Quittons la sph�re militaire, comble de l�horreur, pour m�diter les enseignements d�un vieux routier de la finance. Alan Greenspan, pr�sident de la Banque centrale am�ricaine pendant un quart de si�cle, apportait, � 82 ans, son t�moignage sur la crise financi�re au Congr�s am�ricain, jeudi 23 octobre 2008. Son audition commence par un t�moignage pr�par� et lu par Alan Greenspan, dans lequel il donne sa lecture des �v�nements. Greenspan conteste d�abord les fondements th�oriques de la pertinence des anticipations des march�s financiers : �Ces derni�res d�cennies, un vaste syst�me de gestion et de valorisation du risque s�est construit, combinant les comp�tences des meilleurs math�maticiens et experts financiers utilisant les avanc�es des technologies de l�information et de la communication. Un prix Nobel a �t� attribu� pour la d�couverte d�un mod�le de valorisation qui sous-tend la plupart des march�s de produits d�riv�s. Ce paradigme moderne de la gestion du risque gagne en influence depuis longtemps. N�anmoins, tout l��difice s�est effondr� l��t� dernier car les donn�es nourrissant les mod�les couvraient g�n�ralement seulement deux d�cennies, une p�riode d�euphorie. S�ils avaient pris en compte correctement les p�riodes troubl�es, les exigences de fonds propres impos�es aux pr�teurs auraient �t� bien plus �lev�es et le monde financier serait en bien meilleur �tat aujourd�hui, selon moi. Quand, en ao�t 2007, les march�s ont finalement �limin� les appr�ciations exag�r�ment optimistes des agences de notation, un voile d�incertitude est descendu sur la communaut� des investisseurs. Le doute s�est instaur� sans discrimination sur la valorisation de tous les titres ayant le moindre lien avec les subprimes. M�me si je pr�f�rerais qu�il en aille autrement, dans cet environnement financier, je ne vois pas d�autre choix que d�imposer que toutes les institutions qui proc�dent � la titrisation d�actifs conservent par devers elles une part significative des titres qu�elles �mettent. � L��change qui suit est �difiant sur les doutes qui habitent d�sormais Greenspan quant � la capacit� des march�s � piloter le devenir de l�humanit�. Chairman : �Avez-vous le sentiment d�avoir commis des erreurs, Monsieur Greenspan ?� Alan Greenspan : �J�ai commis l�erreur de penser que l�int�r�t bien compris des organisations et en particulier des banques les rendait les mieux capables de prot�ger leurs propres actionnaires et le capital des firmes. Mon exp�rience dans mes fonctions � la Fed pendant dix-huit ans et dans mes fonctions pr�c�dentes m�a amen� � penser que les dirigeants des �tablissements en savent bien plus sur les risques de d�faut que m�me les meilleurs des r�gulateurs. Aussi, le probl�me est-il qu�un pilier essentiel de ce qui semblait �tre un �difice particuli�rement solide s�est �croul�. Et ceci, comme je l�ai dit, m�a choqu�. Je ne sais pas exactement ce qui s�est produit ni pourquoi. Mais je n�h�siterai pas � changer mes vues si les faits l�imposent.� A l��ge de M. Greenspan, cette disposition d�esprit �tonne � plus d�un titre, mais le plus savoureux est � venir ! Chairman : �Votre id�ologie est, je vous cite, �que des march�s de libre concurrence sont les m�canismes les plus efficients. Nous avons tent� la r�glementation et celle-ci a �chou�. Avez-vous le sentiment que cette id�ologie vous a pouss� � prendre des d�cisions que vous n�auriez pas d� prendre ?� Alan Greenspan : �Permettez-moi de rappeler ce qu�est une id�ologie. Une id�ologie est un cadre conceptuel � travers lequel nous voyons le monde. Tout le monde a une id�ologie. Elle est indispensable � chacun. La question est de savoir si elle est juste ou pas. Pour r�pondre � votre question, il y a un vice dans cette vision (lib�rale). Je ne sais pas quelle est son ampleur ni son degr� de permanence, mais j�ai �t� tr�s affect� par cette faille dans la structure essentielle qui d�finit la mani�re dont le monde fonctionne, si je puis dire.� Une �faille dans la structure essentielle�. Voil� le ma�tre mot. La �t�te du fil�, dit l�adage populaire.
A. B.

(*) Report of the commission on America�s national interests, Washington D.C., 2000. On trouvera une �conomie de ce document in : Claude Serfati, La mondialisation arm�e, le d�s�quilibre de la terreur, Textuel, Paris, 2001.

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