Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Futurs abstentionnistes
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr


L�ennui, dans ce plat pays, c�est que m�me si l�on est continuellement bombard� par la propagande unique, et �a y va, on n�arrive pas � penser la m�me chose. Tenez, par exemple, j�ai fait un sondage aupr�s de trois copains. Je voulais savoir ce qu�ils pensaient de la future �lection pr�sidentielle et de tout le cin�ma fait autour de ce film burlesque qu�on repasse depuis le muet et qui montre un candidat pour lequel on a fabriqu� d�ores et d�j� une victoire �crasante et qui entretient le suspense sur sa candidature.
Le profil de chacun des sond�s ? Ils sont � peu pr�s de la m�me condition sociale � moyen, moyen ! � et de la m�me g�n�ration, celle des quinquag�naires plut�t avachis plus t�t que n�cessaire. Ils sont du m�me niveau d�instruction. La marmite � bouillir est de la m�me contenance, qu�ils remplissent de plus en plus mal avec leurs salaires stationnaires de la Fonction publique. Ils chaussent presque la m�me pointure, mangent demi-sel � la cantine de leur boulot le midi et s�habillent chinois. Ils parlent pareillement en catimini leur langue maternelle, ne ratent jamais ni la pri�re du vendredi ni le th� � la menthe du jeudi soir, conduisent la Picanto en respectant la limitation de vitesse aux endroits pi�g�s par le radar, passent leurs vacances d��t� � l�un des campings, le plus proche de la plage, d�Aokas. Ils supportent la m�me �quipe de football dont, pour ne pas aggraver le r�gionalisme, ils refusent de d�voiler l�identit�. Ils r�vent de voir leur a�n� se tirer, mais pas en harrag, pour avoir une adresse � avec le m�me nom, tu comprends ! � � donner lorsque, � la retraite, ils demanderont un visa de tourisme. Si n�cessaire, ils n�opposeront pas de d�menti � la proclamation de leur souhait de parachever leur d�votion par un hadj sur le quota de l�institution qui les salarie. Ils lisent les m�mes journaux mais, l� aussi, ils refusent de dire quoi, r�torquant m�me, courrouc�s, que c�est une question de flic et que, � ce qu�ils sachent, ce n�est pas un interrogatoire l�. De m�me, ils rechignent � d�signer les cha�nes de t�l�vision �trang�res dont ils �coutent les informations, ni sur quelles autres ils suivent les films de fiction ni enfin quelle est la meilleure retransmission de match de foot. Ils consid�rent tous les trois qu�ils n�ont pas � r�pondre � la question de savoir s�ils regardent le journal d�Al Jazeera et les d�bats de TF1 ou l�inverse. Ils avouent par contre volontiers qu�ils se branchent quotidiennement sur l�Unique, � laquelle ils accordent une sup�riorit� professionnelle sur toutes les autres cha�nes. Elle est imbattable sur l�heure pr�cise d�el adhan et on peut la regarder en famille sans absolument aucun risque. Ils cherchent tous les trois � construire une maison avec cour � Ouled Haddadj pour se lib�rer de ces cages � lapins dans lesquelles leurs enfants grandissent en comptant sur les doigts d�une main les carreaux du sol. Comme ils n�en ont pas les moyens et qu�ils ne sont pas du genre � en acqu�rir ind�ment, ils se contentent de fustiger ceux qui �l�vent de guingois de soi-disant palais sur les terres agricoles sans permis de construire ni go�t. Tous des d�tourneurs doubl�s de ploucs, je te dis ! Ils d�clarent sur l�honneur tous les trois aimer l�Alg�rie autant que leurs enfants, c�est-�-dire comme la prunelle de leurs yeux, m�me si, l�une comme les autres, sont transfigur�s au point d�en devenir m�connaissables. Les enfants �coutent en boucle Reda Taliani qu�ils ne savent m�me pas qui c�est celui-l� et l�Alg�rie n�arr�te pas de couler. Ils font m�me, ce qui est exceptionnel selon toutes les enqu�tes, partir la d�gringolade de la m�me p�riode, celle de Boumediene. Ils souhaitent, bien entendu, que Dieu nous regarde � nouveau pour que la paix revienne dans nos c�urs et dans le pays. Ils sont aussi �galement convaincus, au fond d�eux, que ce n�est pas une question de v�ux pieux et que ce �qui se passe� n�a rien � voir avec la religion, pas plus qu�avec la politique. C�est un simple partage de butin arrach� � on ne sait qui, ni � l�issue de quelle guerre. Autant dire, un truc mafieux. De cela, ils sont fortement et pareillement convaincus mais, au besoin, ils sauront habiller cette incr�dulit� de propos politiques et pourront s�improviser th�ologiens du vendredi pour puiser des arguments dans le religieux. Cette pr�caution est sacr�e car, on ne sait jamais, h� ! Ils disent, en ch�ur, que si du temps de Boumediene les flics �coutaient aux portes, maintenant, ce sont les portes elles-m�mes qui ont des oreilles. Mais comment ces gens qui se ressemblent comme des gouttes d�eau, soumis aux m�mes sournoises menaces s�ils d�viaient d�un brin d�herbe, nourris aux m�mes discours exclusivistes, aux yeux desquels on agite les m�mes peurs, ont-ils fini par diverger ? Ce n�est pas compr�hensible. Normalement, ils auraient d� penser en m�me temps que le bilan de Bouteflika n�cessitait qu�on r�vise la Constitution pour qu�il se cheville au tr�ne ad vitam et quiconque a un point de vue autre doit �tre combattu comme un m�cr�ant et un agent de l��tranger. Non, ils pensent diff�remment, ce qui en bouche un coin au sondeur. Le premier r�sume sa pens�e ainsi : �Un troisi�me mandat pour Bouteflika et m�me un quatri�me et m�me un cinqui�me : cheuh, on le m�rite !� Le sond� ne pr�cise pas s�il a l�intention d�aller voter et quoi. Il ne tient pas non plus � laisser savoir s�il a vot� Bouteflika aux deux derni�res �lections pr�sidentielles, ce qui lui rappelle, en �grenant les dates, que �a fait tout de m�me dix ans que dure cette tragicom�die. Un d�tail survenu lors de la conversation, cependant, laisse � croire que le sond� est brid�. Il y a lieu de se demander s�il parle librement. Il souligne qu�il tient � atteindre la retraite sans accroc apr�s quoi peut-�tre il pourrait exprimer ce qu�il pense r�ellement. Pourquoi peut-�tre ? Parce qu��ils� peuvent te priver m�me de �ta� retraite, tiens ! Le deuxi�me, lui, soutient qu�il n�est ni pour ni contre le troisi�me mandat mais qu�il trouve aberrant que d�anciens soutiens de Bouteflika l�vent les bras au ciel de surprise indign�e. Il savait, lui, comme beaucoup, qu�il ne fallait pas en attendre moins de quelqu�un qui n�a jamais cach� sa conception messianique du pouvoir. Il n�est pas d�favorable � la tenue de l��lection pr�sidentielle telle qu�elle se dessine, avec d�un c�t� le pr�sident sortant et de l�autre, quelques figurants comme Touati et peut-�tre Louisa Hanoune. Il est pour cette formule juste pour d�montrer par l�abstention que si le ridicule ne tue pas, il peut laisser des taches. Le troisi�me enfin, ne comprend pas qu�on se focalise autant sur un non-�v�nement au d�triment de ce qui lui para�t porter l�espoir, le mouvement social qui se d�veloppe � mesure que la vie politique se d�grade. Ce qui l�int�resse, dit-il, ce n�est pas de savoir si Bouteflika va �tre �lu ou non, ni contre qui, ni comment, tout cela, on le sait d�j�. Ce qui est important, c�est de voir que la soci�t� alg�rienne tourne la t�te de l�autre c�t� et s�exprime, � d�faut de cadres organis�s, dans les syndicats libres, par les �meutes et par l��lan suicidaire des harraga. Tout cela est, en soi, un vote contre le bilan. Mais pour le d�pouiller, ce vote, il faut �tre plus sensible aux pulsations de la soci�t� qu�au pouvoir comme fin en soi.
A. M.

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