Corruptions : FAUT-IL DÉSESPÉRER DE LA GESTION DES EXÉCUTIFS DES WILAYAS ?
Un train de vie dispendieux aux frais des... contribuables ! (2e partie)


Nous poursuivons dans la deuxième partie de ce dossier la description du fonctionnement de l’administration des wilayas, à la lumière d'une dizaine d'années d'observations, d'enquêtes de terrain et de collecte de témoignages. Dans la première partie, publiée dans Le Soir d'Algérie du 9 mars 2009 (www.lesoirdalgerie.com), nous avions évoqué la notion de «Déliquescence et criminalisation de l'Etat».
Dans un grand nombre de wilayas, il y a inflation des dépenses personnelles des chefs des Exécutifs, ponctionnées sur le budget de fonctionnement. Le train de vie de la plupart des walis est proprement scandaleux, et ce, aux frais de la République et avec l’argent des contribuables : luxueuses résidences des walis et des résidences d’accueil des délégations officielles, ministérielles notamment ; pléthore des personnels à usage privé au profit du wali, de sa famille et de ses autres proches, détachés notamment par les directions de l’Exécutif et favorisant les emplois fictifs ; pratiques systématiques des cadeaux aux délégations officielles, ministérielles ou issues des institutions de contrôle : pratiques illicites et onéreuses. Comment toutes ces dépenses sont-elles facturées et par qui sont-elles payées ? L’inventaire du patrimoine de l’Etat est-il tenu et régulièrement contrôlé ? Certaines wilayas sont gérées comme des petits royaumes inféodés à des potentats locaux. Comment est gérée la Régie, une caisse noire qui ne dit pas son nom : de l’argent en espèces, distribué très souvent sans reçu et sans facture, caisse placée auprès de la direction de l’administration locale (DAL) et du cabinet du wali ? Les sorties de beaucoup de walis sur chantier et dans les communes mobilisent des centaines de fonctionnaires de tous les services ( sécurité notamment) et d’énormes convois de véhicules : ces déplacements sont très coûteux et ont des rendements douteux. Quel est leur impact ? La culture des factures de complaisance et des surfacturations pour des prestations et des fournitures diverses est très répandue : à titre d’exemple, pendant la gestion des communes par les seuls secrétaires généraux d’APC, à un mois des élections locales en novembre 2007; et tout de suite après les déclarations du ministre de l’Intérieur annonçant la prise en charge par l’Etat des dettes des communes, nombre de walis en ont profité pour faire passer des factures illicites bloquées jusque-là par des élus récalcitrants ou autorisées par des élus complaisants ! Pourquoi les chambres régionales de la Cour des comptes n'ont pas réagi ?
Les progénitures jouent les intermédiaires
Nombre d’entrepreneurs, de bureaux d’études et de fournisseurs sont confrontés à d’énormes difficultés face à l’administration locale : factures impayées ou énormes retards pour le paiement, contrats non respectés, racket, chantage et corruption de la part de fonctionnaires de l’Exécutif. Ce sont des faits avérés dans beaucoup de wilayas. Mais il y a aussi des entreprises qui sont favorisées pour l’octroi de marchés publics, et il arrive souvent que la progéniture de certains walis joue les intermédiaires véreux. Il est fréquent aussi que des walis et des responsables d’Exécutif et de certaines institutions fassent main basse sur les emplois dans les institutions et administrations publiques et les établissements économiques publics. Il faut aussi signaler le pouvoir exorbitant du contrôleur financier de wilaya et des conséquences désastreuses occasionnées quand il y a abus de ce pouvoir. La corruption a fait des ravages lors des élections locales de novembre 2007, notamment lors de la phase de dépôt des candidatures, et des «critères» qui ont prévalu lors de l’acceptation ou du rejet de candidatures : à noter les pouvoirs exorbitants des walis et des chefs de sûreté de wilaya dans nombre de régions, qui avaient souvent droit de vie ou de mort sur certains candidats, parfois moyennant des pots-de-vin.
Nominations et mutations dans l'opacité
On se souvient que le mouvement des walis rendu public le 7 mai 2008 avait suscité un énorme mécontentement exprimé par un grand nombre de citoyens. Mouvement fait dans l’urgence et la précipitation, suite aux émeutes dans la wilaya de Chlef : tentative de créer une illusion de changement, mais la politique du changement dans la continuité a prévalu. Mais ce fut un mouvement sans surprise pour nombre de citoyens avisés : le pouvoir a de plus en plus peur de la dynamique citoyenne locale en faveur du changement, de la transparence, du progrès et de la modernité. Peur de rendre des comptes mais les comptes sont établis : la prédation est très souvent souvent la règle des commis aux ordres du pouvoir. Pour se perpétuer et se protéger, le pouvoir protège ses «agents» aux ordres. La notion de commis de l’Etat est en voie de disparition, pour peu qu'elle ait déjà existé. Les nominations, mutations, et promotions au sein de la Haute fonction publique apparaissent de plus en plus comme une prime à la soumission, la médiocrité, l’incompétence et la corruption. Nombre de walis se comportent en gangsters «autorisés », baignant dans une totale impunité, et sont confortés par les puissants du moment. Car sinon comment expliquer que certains walis aient été maintenus en place, malgré que les preuves de corruption, de détournements et de racket aient été accumulées contre eux, ce que confirment très souvent les différentes commissions d'enquête et d’inspection dépêchées par le gouvernement ? Ces accusations ne cessent depuis de s’alourdir, de se multiplier et d’être vérifiées, grâce aux nombreux témoignages avérés de citoyens et aux enquêtes de la presse. Le maintien de ces walis véreux et corrompus est ressenti localement par nombre de citoyens comme une provocation et une atteinte à leur dignité. Par ailleurs, et à titre d'exemple parmi tant d'autres, comment expliquer aussi que l'ex-wali de Chlef et son secrétaire général — suite aux récents évènements tragiques dans cette wilaya — aient été promus dans d’autres wilayas ? Autres provocations contre les administrés de Chlef, de Annaba et Tindouf, nouveaux points de chute de ces 2 fonctionnaires. Et l'étrange mutation de l'ex-wali de Béjaïa à Souk Ahras, alors que son bilan est négatif et qu’il a totalement failli dans une wilaya particulièrement sensible ? Et l'ex-wali de Boumerdès à Béjaïa, alors que venait d’éclater un énorme scandale de corruption en plein cœur de l’Exécutif de la wilaya de Boumerdès ? Et la secrétaire générale de la wilaya d’El-Tarf, promue wali déléguée à Zéralda, malgré les affaires de corruption qui ont gangrené cette wilaya?
La presse et les journalistes au banc des... accusés !
Plusieurs walis agissent aussi comme des agents de «la police politique» contre les dénonciateurs de la corruption, contre les journalistes, contre les élus locaux intègres, les militants des droits de l’homme et la société civile indépendante. Les exemples sont malheureusement abondants : Blida ; Chlef ; Béjaïa ; Ghardaïa (Berriane) ; Jijel ; Tarf ; Djelfa ; Khenchela... Obéissent-ils à des instructions de leur ministère de tutelle ou sont-ils plus zélés que leurs autres collègues ? Malheureusement, cette liste n'est pas exhaustive. Les codes de wilaya et de la commune, adoptés par l’APN en 1990 du temps du parti unique et modifiés en 2005 par ordonnance présidentielle, sont largement dépassés et le pouvoir tarde à les actualiser. Dans nombre de leurs dispositions, ce sont des codes répressifs et anti-démocratiques. Lors de récentes réunions d’APW et APC, des conflits sont apparus avec des walis soucieux surtout de limiter l’action des assemblées élues. Mais nombre d'élus locaux n'ont pour seul objectif que l'appât du gain et l'enrichissement illicite. Les présidents d’APW et d’APC doivent exercer leur mandat à plein temps et donc choisir entre leur mandat et leur fonction d’origine, et ce, conformément aux dispositions de ces codes (article 32 du code de wilaya). Mais les cas de cumuls illégaux continuent de foisonner, avec la bénédiction des walis. Les APW peuvent mettre en place des commissions d’enquête, ce qui peut représenter un danger pour les potentats locaux. Mais aucune de ces commissions n'a vu le jour...
Djilali Hadjadj



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