
Corruptions : CE 22 AVRIL, L'AFRIQUE DU SUD VA ÉLIRE UN PRÉSIDENT ACCUSÉ DE CORRUPTION «Nelson Mandela, réveille-toi, ils sont devenus fous !»
Quinze ans après l'accession de Nelson Mandela à la présidence, l'Afrique du Sud se rend aux urnes ce mercredi 22 avril pour ses quatrièmes élections législatives post-apartheid, avant de se doter le mois prochain d'un nouveau président, sans doute le controversé candidat de l'ANC, Jacob Zuma. C'est au moment où l'Afrique du Sud va retourner aux urnes qu'un feuilleton judiciaire qui dure depuis 2003 permet au candidat de l'ANC de se voir brusquement — mais provisoirement — libéré d'accusations de fraude et de corruption. Jacob Zuma, chef de l'ANC, parti au pouvoir en Afrique du Sud, ne
sera pas condamné pour corruption et blanchiment, du moins pour le
moment. Il va ainsi pouvoir se présenter à l'élection présidentielle de
2009, pour laquelle il est favori, juste après les élections
législatives du mercredi 22 avril 2009. Les députés issus de ce scrutin
éliront ensuite le président de la République. Compte tenu de la forte
majorité de l'ANC, qui dispose actuellement de plus de deux tiers des
sièges au Parlement, il est quasiment assuré d'être élu. La justice
avait accepté la requête en non-lieu de la défense dans le procès pour
corruption du chef de l'ANC, motivant sa décision par le fait que le
parquet n'avait pas entendu M. Zuma avant de l'inculper. Mais la Cour
suprême d'appel a renversé sa décision en janvier 2009, rouvrant la
porte à un procès. Le 4 février dernier, un tribunal sud-africain a fixé
au 25 août 2009 la date du procès pour corruption de Jacob Zuma. Le
futur chef de l'Etat sud-africain sera donc de nouveau poursuivi pour
racket, corruption, blanchiment d'argent et fraude fiscale. Le tribunal
a en outre fixé au 24 juin une audience au cours de laquelle Jacob Zuma
compte demander un abandon définitif des poursuites à son encontre. Même
si Jacob Zuma accède à la présidence, il pourra comparaître, rien dans
la Constitution n'interdisant les poursuites contre un chef de l'Etat.
Un nouveau président qui passerait l'essentiel de son temps à se
défendre dans un prétoire
Il pourrait aussi faire appel auprès de la Cour constitutionnelle, la
plus haute juridiction du pays. Des négociations peuvent également être
menées avec la justice. En échange d'informations sur une affaire de
corruption dont les ramifications demeurent inexplorées, les charges
pesant sur Jacob Zuma seraient alors diminuées, à la condition,
improbable, qu'il plaide coupable. Des membres de l'ANC ont aussi
envisagé de voter un amendement constitutionnel pour assurer au futur
président en exercice une immunité qui n'existe pas encore. Une
possibilité jugée à haut risque en termes politiques. Si aucune de ces
voies de sortie n'est employée, il n'est plus absurde d'imaginer un chef
de l'Etat appelé à la barre en Afrique du Sud, une situation inédite et
susceptible de fragiliser la mainmise de l'ANC sur le pays. «Un nouveau
président qui passerait l'essentiel de son temps à se défendre dans un
prétoire et non à la tête du pays serait un désastre», prédit un
spécialiste de droit constitutionnel à l'université d'Afrique du Sud.
«Il aurait été préférable que Jacob Zuma aille devant une cour, quitte à
être innocenté, ajoute le même constitutionnaliste. Désormais, il y aura
un manque de confiance des Sud- Africains envers leur système judiciaire
et leur futur président.»
Il aurait reçu des pots-de-vin du groupe français Thales
Pour rappel, le favori à la présidence de la République est soupçonné
d'avoir accepté, alors qu'il était vice-président du pays (1999-2005),
des pots-de-vin d'une filiale du groupe français Thales. Il aurait
demandé l'équivalent de 68 000 euros par an pour empêcher que
l'entreprise soit inquiétée dans le cadre d'une enquête sur un contrat
d'armement. Toujours en 2006, ce père de 17 enfants, quatre fois marié,
a été soupçonné d'avoir abusé d'une jeune femme séropositive. Après la
condamnation à 15 ans de prison de son conseiller financier, le chef de
l'Etat Thabo Mbeki avait limogé Jacob Zuma de la vice-présidence de la
République. Ce dernier a pris sa revanche en décembre 2007 emportant la
présidence de l'ANC face à M. Mbeki, à l'issue d'un congrès aux allures
de révolution interne. En septembre 2008, accusé d'être intervenu auprès
de la justice contre son rival Jacob Zuma, Thabo Mbeki est évincé par
l'ANC et démissionne. Le vice-président de l'ANC, Kgalema Motlanthe, lui
a succédé. Qu'est donc devenue l'ANC pour que ses responsables puissent
ainsi s'affranchir des principes qui ont été ceux de leur formation
depuis un siècle ? Fondée en 1912, l'ANC est passée par tous les aspects
de la lutte, y compris armée, pour finalement l'emporter grâce à la
sagesse de ses dirigeants d'alors, capables de trouver un «compromis
historique » avec le pouvoir blanc, mais aussi, fondamentalement, parce
que son combat était juste. Le 22 avril 2009, les Sud- Africains éliront
un Parlement, qui désignera à son tour le président de la «nation
arc-en-ciel». Après des années de pouvoir sans partage de l'African
national congress (ANC), héritier des luttes héroïques contre
l'apartheid, le paysage politique sud-africain risque-t-il d'être
bouleversé ? Mais durant les élections législatives, le parti affrontera
une formation dissidente, créée par les partisans de Thabo Mbeki.
Comment l'ANC, parti qui a mis fin à l'apartheid, bâti sur des idéaux
socialistes et sur des relations de confiance, a-t-il engendré de telles
dissensions ? Ce jeu trouble avec la justice risque donc de flétrir la
réputation de responsables politiques. Malheureusement, les signes
inquiétants provenant d'Afrique du Sud se sont accumulés ces derniers
mois. Une fois élu, Jacob Zuma sera «intouchable», tout comme cela se
passe dans les républiques bananières.
Djilali Hadjadj
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