Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
La presse et l’éloge du prince
Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr


Sommes-nous sûrs de la bonne interprétation que nous faisons des propos du président de la République ? Lorsqu’il évoque «son» projet démocratique et qu’il fait la part belle à la liberté de la presse doit-on à notre tour nous satisfaire d’une rhétorique de circonstance - (un discours d’investiture en l’occurrence) -, pour nous croire épargnés, dorénavant, du harcèlement ? Bien évidemment que non.
Et, pire encore, l’allusion porte en elle tous les signes de l’inquiétude là où l’on croit déceler une volonté de détente. Car, enfin, comment un pouvoir peut-il aborder la question des libertés publiques et ignorer superbement dans son discours le rôle central des partis politiques ? Une presse libre et respectée ne peut exister que dans l’humus d’un multipartisme réel et immunisé grâce à la loi. Que le journalisme se décline sous la forme informative ou qu’il se veuille le relais de certaines opinions, dans tous les cas de figure, il ne peut sainement s’exercer que si les courants de pensée, autres qu’officiels, occupent l’espace public et énoncent sans entrave leurs désaccords. Le binôme presse-partis est indissociable dans un véritable «projet démocratique » que n’importe quel pouvoir prétend promouvoir. Cela signifie que l’une sans les autres n’est qu’un procédé oblique tendant à réduire ces fameuses libertés dont on se gargarise. Sans un solide viatique pour les partis d’exister, il n’y a pas de journalisme indépendant dans ses écrits. En l’absence de débat contradictoire, celui-ci n’est-il pas réduit à se nourrir des seules références officielles pour éclairer l’opinion ? C’est par conséquent de ce subtil distinguo discursif qu’il faut se méfier. A moins de croire que la parole univoque du pouvoir est la seule à mériter nos commentaires. La presse est justement seule à s’inquiéter de la lente dérive qui tend à segmenter le champ des libertés afin de contrôler séparément les vecteurs qui le constituent. Aujourd’hui, le journalisme indépendant est dans une tragique solitude qui, à terme, le fragilise jusqu'à le pousser à renoncer à ce «pour quoi» il a existé à partir d’octobre 1990. Sans soutien efficace de la part des relais politiques, il en est réduit à la question existentielle se demandant comment il peut riposter à la scélératesse des lois qui encadrent son fonctionnement et à quels saints politiques qui plaideraient sa juste cause il doit se tourner. En somme, il s’interroge sur la manière d’éviter les mesures pénales sans pour autant perdre son âme. Une résistance qui lui devient trop lourde à assumer seul au fur et à mesure que le multipartisme perd de son agressivité. Une mission bien au-dessus des capacités des seuls journaux qui, pourtant, continuent à ferrailler pour la défense de la liberté d’expression. Digue fragile pour contrer par ses propres moyens le totalitarisme rampant d’un régime qui travaille à soudoyer l’opinion grâce à ses médias officiels. Désormais dans l’impasse, la presse indépendante en est tentée à solliciter les relais de la société pour lui prêter main-forte. C’est-à-dire lui demander de mettre la pression sur le pouvoir afin de l’obliger à dépénaliser le délit de presse. Un appel qu’elle sait, par avance, qu’il ne sera pas entendu tant les institutions en furent réduites à des appendices du pouvoir. En vérité, la question ne réside même plus dans la possibilité de convaincre le régime pour qu’il abroge une insoutenable loi mais simplement de parvenir à briser ce tête-à-tête «presse-pouvoir» en permanence ponctué par des procès. Mais comment s’y prendra-t-on si ce n’est qu’en impliquant dans une large mesure les acteurs de la vie sociale et politique et leur faire prendre conscience que cette cause est aussi la leur et qu’elle conditionne leur propre existence. En d’autres termes, qu’il y va de leur indépendance ou de leur domestication. Car, par une sorte de narcissisme, entretenu à ses dépens, la presse a longtemps accepté de tenir le rôle gratifiant de dernier sanctuaire des libertés quand tous les autres espaces ont, lentement, été rognés. Une anesthésie pratiquée par le pouvoir qu’a fini par corrompre tout ce qui pense différemment. Les partis politiques ne furent-ils pas les premières victimes, souvent consentantes, de ce travail d’agrégation par le biais de la carotte de la représentation institutionnelle et par la subvention ? A leur tour, les associations dites «civiles» se virent offrir des rôles surdimensionnés par rapport à leur véritable vocation afin d’en faire une masse de manœuvre qu’il actionna souvent contre les îlots réfractaires du champ politique. Enfin, il recourut à la distribution des honneurs à des personnalités pour rehausser son propre prestige et en même temps en faire des tristes hochets sur l’échiquier qu’il a modelé. La patience avec laquelle il mit dix années pour normaliser à son profit l’espace public a justement débouché sur l’isolement des journaux qu’il priva de leurs relais naturels que sont, d’abord, les appareils politiques, ensuite le mouvement associatif. Cette mise en quarantaine explique précisément le harcèlement subi par les journaux dans une tragique indifférence de l’opinion. Cet état de fait est d’autant plus vérifiable que chaque fois que la presse tente de se justifier dans ses colonnes, il s’en est toujours trouvé des cercles pour délivrer des réquisitoires contre ses pseudo-excès. Qu’ils soient censeurs autoproclamés ou aux ordres, ils oublient que les muselières qu’ils brandissent finiront bien par leur être imposées le jour où, à leur tour, ils découvriront qu’ils se sont trompés d’adversaires. Aujourd’hui, plus que par le passé, il faudra se méfier des éloges et des promesses d’un pouvoir qui vient de prouver qu’il préfère l’immobilisme au changement même pour désigner ses propres intendants. En un mot comme en cent, il est foncièrement inamendable.
B. H.



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