Chronique du jour : A FONDS PERDUS
Le mea-culpa de la Banque mondiale
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


La crise financi�re affecte y compris la sph�re des valeurs dominantes qui r�gissent le monde. De larges fissures commencent � appara�tre dans le fameux �Consensus de Washington� sur lequel repose le fonctionnement des institutions financi�res internationales. Une premi�re br�che touche le dispositif contraignant de surveillance et de contr�le de la performance �conomique : ce lundi 27 avril, le groupe de la Banque mondiale rendait publique une d�claration d�une importance capitale par laquelle il s�engage � revoir le paquet des dix indices qui lui permettent de mesurer le climat des affaires dans le monde.

Il s�agit plus pr�cis�ment du troisi�me indice relatif � l�embauche des travailleurs (IET). Jusque-l�, les difficult�s auxquelles les employeurs �taient confront�s influen�aient fortement l�appr�ciation du climat des affaires et se d�clinaient en cinq param�tres de mesure : difficult�s d�embauche et de licenciement, rigidit� des horaires et de l�emploi, co�t d�un licenciement. Cet indicateur accordait naturellement les meilleurs r�sultats aux pays dot�s des normes les plus faibles en termes de protection des travailleurs ; la Banque mondiale et le FMI s'en servaient pour presser des pays en d�veloppement � proc�der � la d�r�glementation de leurs march�s du travail. C�est l� o�, malheureusement pour nous, en bons �l�ves attard�s du n�o-lib�ralisme, nous enregistrions les �meilleures performances� suite aux dures cons�quences sociales r�sultant de l�ajustement structurel entrepris depuis 1995 sous la houlette du Fonds mon�taire international.

� Indicateur d�embauche des travailleurs Alg�rie R�gion MEDA OCDE
� Indice de difficult� d�embauche 44 22,5 25,7
� Indice de rigidit� des horaires 60 41,1 42,2
� Indice de difficult� de licenciement 40 31,6 26,3
� Indice de rigidit� de l�emploi 48 31,7 31,4
� Co�t de licenciement (salaire hebdomadaire) 17 53,6 25,8

Comme l�atteste la s�rie d�indices relatifs � l�embauche des travailleurs, il vous co�tera deux fois moins cher de licencier votre employ� en Alg�rie que dans la zone OCDE et, plus �tonnant encore, quatre fois moins cher que dans le reste de la r�gion Moyen-Orient / Afrique du Nord. Rappelant que �le climat des affaires est un aspect de la politique de d�veloppement �, le texte de la Banque mondiale consid�re que �d'autres objectifs doivent �galement avoir suffisamment de poids�. Il s'agit, est-il pr�cis�, de questions �aussi diverses que la stabilit� politique, les filets de s�curit� sociale pour prot�ger les parties vuln�rables de la soci�t� des niveaux de risque intol�rables, la protection des droits des travailleurs et des m�nages�. Dans le nouveau jargon de la banque, il devient m�me �important que les actions du gouvernement se concentrent sur les besoins de la main-d'�uvre et des m�nages � faibles revenus�. Se faisant plus modeste, le groupe de la Banque mondiale se dit �tre �� la recherche de conseils, instruments politiques, strat�gies et autres outils� car la crise �conomique plaide pour �l'�largissement de notre travail sur des filets de s�curit� sociale (�) Les questions de l'acc�s � des prestations, telles que l'assurance-ch�mage et la s�curit� sociale, sont un �l�ment cl� de ce travail�. A la lumi�re des nouvelles conditions �conomiques, sachant que �la protection des travailleurs b�n�ficie � l'ensemble de la soci�t�, il est m�me recommand� �un r�glage� qui favorise �la protection des travailleurs et des politiques qui respectent la lettre et l'esprit des conventions pertinentes de l'OIT�. Allant au-del� de toutes les esp�rances syndicales, la note du 27 avril abroge carr�ment l�indice d'embauche de travailleurs comme rep�re dans la conduite des politiques de facilitation des affaires. Il est ainsi �crit noir sur blanc : �Une note d'orientation sera publi�e pr�cisant que l'indice ne repr�sente pas la politique de la Banque mondiale et ne devrait pas �tre utilis� comme base pour des recommandations de politique g�n�rale ou comme r�f�rence pour �valuer les programmes ou les strat�gies de d�veloppement, ou encore pour arr�ter un programme d'aide pour un pays b�n�ficiaire�. Sur ce point sensible, la Banque mondiale supprimera notamment l'IET de son Evaluation de la performance politique et institutionnelle par pays (CPIA), dont elle se sert pour d�terminer le niveau global d'�ligibilit� aux pr�ts et aux subventions octroy�s par l'Association internationale de d�veloppement (IDA), branche concessionnaire de la banque. Le FMI avait entrepris une d�marche similaire en ao�t 2008 concernant l'indicateur relatif � l'embauche des travailleurs ; � cette occasion, il avait donn� pour instruction � son personnel que les �quipes de mission devraient s'abstenir d'utiliser l'IET dans tout document public en raison de certains probl�mes m�thodologiques associ�s � l'indicateur. �La note mettra l'accent sur l'importance des approches r�glementaires qui facilitent la cr�ation de plus d'emplois dans le secteur formel avec des garanties suffisantes pour les droits des salari�s�. En lieu et place de l�ancien indice, l�honorable institution se propose de r�unir �un groupe de travail comprenant des repr�sentants de l'OIT, comme l'organe de l'�tablissement de normes internationales, des syndicats, des entreprises, des universitaires et des experts juridiques� pour mettre au point �un nouvel indicateur de la protection des travailleurs� et �proposer des id�es plus larges sur le march� du travail et les questions de protection de l'emploi, en vue de cr�er une l�gislation qui aide � construire des emplois solides et � assurer une protection ad�quate dans le secteur formel pour qu�il puisse r�sister � de futures crises�. La Conf�d�ration syndicale internationale (CSI), qui se r�clame de 170 millions de travailleurs dans 312 organisations affili�es dans 157 pays et territoires dans le monde, n�a pas tard� � r�agir. Elle �crit le lendemain de la publication de la note de la banque : �La CSI a salu� la d�cision de la Banque mondiale d'enjoindre � son personnel de cesser d'utiliser l'indicateur �embauche des travailleurs� (IET) de sa publication � plus grand tirage, �Doing Business� (Pratique des affaires)�. �Dans le contexte de l'actuelle crise �conomique mondiale, o� 50 millions de travailleurs suppl�mentaires risquent de perdre leur emploi cette ann�e et o� les pressions baissi�res sur les salaires et les conditions de travail s'intensifient de jour en jour�, a dit Guy Ryder, secr�taire g�n�ral de la CSI, �il est significatif qu'une institution de d�veloppement de la stature de la Banque mondiale d�cide de tourner la page sur une vision partiale des enjeux du travail, ax�e sur la d�r�glementation � tout prix, et propose d'adopter, � la place, une approche plus objective, r�servant une place plus importante � une r�gulation ad�quate, � l'am�lioration de la protection sociale et au respect des droits des travailleurs �. �La d�cision de la Banque d'accorder une attention accrue � des probl�matiques de cet ordre est en ad�quation avec l'engagement pris par les leaders du G20, � l'occasion du sommet de Londres, de �construire un march� du travail �quitable et convivial, � la fois pour les femmes et pour les hommes�, a dit Guy Ryder. �Nous invitons la Banque � ouvrer en collaboration �troite avec l'OIT dans ce domaine�, a-t- il ajout�, notant que la d�claration du G20 appelait l'OIT � d�terminer des politiques ad�quates en mati�re d'emploi et de march� du travail. La �marmite sociale� est au bord de l�explosion et la Banque Mondiale ne voulait surtout pas en rajouter.
A. B.

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