Chronique du jour : A FONDS PERDUS
Y a-t-il une vie apr�s le capitalisme ?
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


La chute du Mur de Berlin a ancr� et �largi la conviction commune que la d�faite du socialisme est consomm�e, que les march�s mondiaux triomphants ont d�finitivement ferr� la Chine, le Br�sil et l'Inde dans leur orbite et que les soci�t�s multinationales sont aux commandes, sans partage, arrogantes, plus puissantes que la plupart des Etatsnations contre lesquels elles ont fini par emporter l'adh�sion des masses juste par leurs marques.
Tel semble �tre l��tat des lieux, peu r�jouissant, des deux derni�res d�cennies, de 1989 � 2008. Il y a n�anmoins une fin � tout : �tout ce qui est solide fond dans l'air�, disait Marx. Depuis la fin de l�ann�e derni�re, le syst�me bancaire am�ricain a enregistr� des pertes de plus de 3 000 milliards de dollars, le Japon est en d�pression, la Chine se dirige vers la croissance z�ro. Du coup, les doutes gagnent en profondeur le syst�me en remettant � l�ordre du jour la question d�une alternative durable au capitalisme. C�est ce que fait le p�riodique anglais Prospect Magazine en publiant une �tude, �After capitalism� de Geoff Mulgan, dans laquelle il ausculte les horizons de l�apr�s-crise financi�re actuelle. L�auteur envisage une ��re de transition � dans laquelle les march�s ne seront plus les ma�tres, mais des serviteurs. Son essai n�est pas pr�tentieux. Il ne pr�dit ni la reprise, ni l�effondrement du syst�me, mais sugg�re plut�t une analogie �avec d'autres syst�mes qui semblaient tout aussi immuables�. Au d�but du XIXe si�cle, les monarchies de l'Europe � dites de droit divin �, ont �t� enterr�es dans la boue de Waterloo ; la �d�mocratie de masse� qui leur a succ�d� a �chou� ; aujourd'hui, c'est le socialisme qui est per�u comme une exp�rience bien g�n�reuse mais qui n�a pas d�avenir parce que �contraire � la nature humaine� et � �l�homo oeconomicus � individualiste qui sommeille en chacun. Depuis le XIXe si�cle, les capitalistes ont tout achet� avec la m�me d�lectation : les politiciens, les collections d'art, les paysages et les universit�s. Le capitalisme est la seule incitation � investir continuellement dans la cr�ation de nouveaux besoins. Il sait tout transformer en un produit � acheter et � vendre � du sexe � l'art et de la religion � la r�volution. M�me le changement climatique est devenu un boom potentiel pour le capitalisme, avec des contribuables heureux de subventionner de nouvelles vagues de recherche d�veloppement. Le march�, initialement �cologique, du carbone a enfant� ses n�gociants, ses courtiers et ses investisseurs. Sans pour autant sugg�rer que le capitalisme va dispara�tre, pas plus que la guerre, l�auteur de l�essai estime que l'�conomie de march� va continuer � g�n�rer d'�normes exc�dents, aliment�e par le flux continu de nouvelles connaissances scientifiques. Mais, le capitalisme ne pourra plus dominer la soci�t� et la culture autant, et de la m�me mani�re, qu'il le fait aujourd'hui. Il deviendra �un serviteur plut�t qu'un ma�tre, et la crise va acc�l�rer ce changement�. Ce dernier est, en r�alit�, d�j� en cours : de nos jours, il y a autant de versions du capitalisme que de cultures ou de religions nationales ; elles prennent la forme multiple d'alliances �troites avec l'Etat (40% de l'investissement dans la Silicon Valley est venu du gouvernement, notamment de ses commandes), d�association de l�Etat comme grand industriel (comme en Cor�e), d�h�g�monie mercantiliste �trange et hybride de l�Etats ; comme en Chine. Il y a seulement quelques d�cennies, l�homme portait plus d�int�r�t � ce qui pouvait (ou devait in�luctablement, disaient certains) remplacer le capitalisme. Les r�ponses allaient du communisme � l�autogestion, et de l'espoir d'un �ge d'or de loisirs aux r�ves d'un retour � l'harmonie communautaire et �cologique. Aujourd'hui, ces utopies se retrouvent au centre d�actions du Forum social mondial, � la lisi�re de toutes les grandes religions. �Pour trouver des enseignements sur la mani�re dont la crise actuelle peut se connecter � ces tendances � plus long terme, nous devons nous r�f�rer non pas aux travaux de Marx, Keynes ou Hayek, mais de Carlota Perez, un �conomiste v�n�zu�lien dont les �crits sont de plus en plus populaires. Perez est un chercheur du long terme dans les modes de transformation technologique�, sugg�re Geaff Mulgan. La r�f�rence cit�e, en l�occurrence Carlota Perez, consid�re que les cycles �conomiques commencent avec l'apparition de nouvelles technologies et leurs infrastructures qui promettent une grande prosp�rit�. Au cours de ces phases, les financements sont ascendants et le �laisser-faire� devient la norme. Ainsi, pendant les ann�es 1930, l'�conomie s�est transform�e, selon les termes de Perez, pour passer de �l'acier, l'�quipement �lectrique lourd, les tr�s lourds travaux du g�nie et de la chimie ... vers une production de masse du syst�me de restauration pour les consommateurs et les �normes march�s de la d�fense�. Ici, le tournant radical dans le r�le �conomique direct de l'Etat est peut-�tre le plus important. L�enseignement de Perez, et de Joseph Schumpeter avant lui, est que certains �l�ments de l�ancien doivent �tre balay�s avant que le nouveau ne retrouve sa forme la plus r�ussie. Il donne � penser que nous sommes � l�aube d'une nouvelle grande p�riode de l'innovation institutionnelle et de l'exp�rience qui conduira � de nouveaux compromis entre les demandes de capitaux et les revendications de la soci�t� et de la nature. Un grand espace politique est en train de s'ouvrir. A court terme, il est rempli de col�re, de peur et de confusion. A plus long terme, il est porteur d�une nouvelle vision du capitalisme, et de sa relation � la fois � la soci�t� et � l'�cologie. Les d�mocraties ont su, � maintes reprises dans le pass�, apprivoiser, encadrer et relancer le capitalisme. Elles ont emp�ch� la traite des hommes, le commerce des voix et des organes humains, elles ont impos� des droits et des r�gles, dans une confusion perp�tuelle de conflit et de coop�ration. Sur cette m�me question des perspectives imm�diates � la crise, on lira avec autant d�int�r�t une autre contribution de Sheri Berman, professeur associ� de sciences politiques � Barnard College, Columbia University, sous le titre fort significatif : Une bataille m�connue : le capitalisme, la gauche, la social-d�mocratie et le socialisme d�mocratique (**). La d�rive et la d�sillusion lib�rales qui ont suivi la b�r�zina n�o-conservatrice n��pargnent paradoxalement pas la gauche, rendue insidieusement coupable d�incapacit� r�p�t�e � pr�senter une alternative viable au marasme capitaliste. Cela surprend, compte tenu de la tradition : la gauche a toujours �t� guid�e par la conviction qu'un monde meilleur est possible et que son objectif �tait d��uvrer � en h�ter l�av�nement. Cette conviction semble s��tre dissip�e. Depuis les ann�es 1980, un r�alisme politique, dur et froid, s�est substitu� � ce qui s�apparentait � un �id�alisme radical de rationalit�, avec son lot de d�senchantements. �Cette perte de foi dans la transformation a �t� profond�ment dommageable, non seulement pour le progr�s politique, mais aussi pour un plus grand sens de l'engagement du public dans les processus politiques�, d�plore Sheri Berman. En r�gle g�n�rale, les secteurs les plus �clair�s de la soci�t� ont substitu� aux d�terminismes marxiste (socialisme) et lib�ral (laisser-faire) une id�ologie politique bas�e sur l'id�e que les gens qui travaillent ensemble peuvent faire du monde un meilleur endroit. Et contrairement aux socialistes, ils ont soutenu �qu'il �tait � la fois possible et souhaitable de tirer profit des atouts du capitalisme tout en s'attaquant � ses inconv�nients �.
A. B.

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