Corruptions : LE DROIT D�ACC�S � L�INFORMATION AU MAGHREB
Un pilier pour une meilleure gouvernance qui reste � construire


Le 18 mai dernier s'est tenu � Rabat � � l'initiative de Transparency Maroc, et avec le soutien de la fondation Friedrich-Ebert � un s�minaire sur le droit d'acc�s � l'information. Les participants � ce s�minaire (Alg�rie, Tunisie, Mauritanie et Maroc) ont pr�sent� l'�tat des lieux dans leurs pays respectifs, tout en proc�dant � une analyse comparative. Ils ont �bauch� un plan d�action devant servir comme plaidoyer aupr�s des d�cideurs politiques. Le premier s�minaire, sur le m�me th�me, avait eu lieu en d�cembre 2008. Des repr�sentants du bureau de Rabat de l'Unesco (antenne r�gionale pour le Maghreb), pr�sents lors des deux rencontres, ont fait part de leur int�r�t pour l'initiative et souhaitent l'accompagner.

De notre envoy� sp�cial � Rabat, Djilali Hadjadj

Tous les pays du Maghreb se sont engag�s � en vertu de l'article 10 de la Convention des Nations unies contre la corruption (en vigueur depuis 2005), convention qu'ils ont ratifi�e � � adopter les mesures n�cessaires pour consacrer le droit d'acc�s � l'information comme un des moyens de pr�vention de la corruption et de bonne gouvernance publique. Si 98 pays dans le monde ont une loi qui garantit le droit d'acc�s � l'information pour leurs citoyens, aucun pays du Maghreb n'en dispose, n'y ne consacre express�ment ce droit par une disposition constitutionnelle, m�me si la plupart des lois fondamentales font r�f�rence � des principes g�n�raux tels que �libert� d'opinion, d'expression de presse, d'association et de r�union�. Bien au contraire, les pratiques dans les pays du Maghreb convergeraient plut�t vers l'institution de �verrous communs� contre l'acc�s � l'information en adoptant des mesures encourageant la r�tention de l'information dans les administrations et services publics. Le droit � l'acc�s � l�information constitue un pilier de la libert� de la presse et rel�ve � ce titre des droits humains fondamentaux. Mais il repr�sente aussi une condition de base pour la garantie de l��galit� et de la non-discrimination, notamment dans l�acc�s au service public. Il est, en outre, un outil de transparence et de reddition des comptes et un moyen efficace de pr�vention contre la corruption et de bonne gouvernance publique.
N�cessit� d�un dispositif l�gislatif
Voici les principales conclusions �mises par les participants lors de ce s�minaire.
1. Il existe un besoin �norme des citoyens pour s�informer, mais les institutions sont ferm�es. Le droit d�acc�s � l�information est li� � la d�mocratie et l�Etat de droit, il ne peut �tre isol�, et il ne peut s�acqu�rir que par une revendication permanente.
2. L�acc�s � l�information est l�un des piliers de la soci�t� du savoir. Il faut distinguer le droit � l�information administrative (qui est une obligation pour les gouvernants) de l�acc�s � l�information en g�n�ral.
3. L�acc�s � l�information est li� � la participation des citoyens � la gestion des affaires publiques. Il est �galement un moyen d�encouragement � la participation politique.
4. Le libre acc�s � l�information est fondamental, l�acc�s � l�information dite confidentielle doit �tre r�glement�.
5. Il faut clarifier la relation entre les archives et le droit � l�information. Au Maroc, la loi sur les archives est le r�sultat du processus des violations graves des droits de l�homme. Cette loi demeure insuffisante, et il faut r�glementer tous les aspects li�s � l�acc�s � l�information et aux documents.
6. Si l�accent est souvent mis sur l�acc�s des journalistes � l�information, c�est pour am�liorer les conditions de travail de la profession et permettre �galement l�information du public. Le repr�sentant de l�Unesco, pr�sent lors du d�bat, a exprim� sa position dans les termes suivants : l�acc�s � l�information n�cessite la formation et la sensibilisation des fonctionnaires publics, qui doivent conna�tre leurs droits et obligations, chez lesquels il faut pr�sumer la bonne foi ; et il y a n�cessit� d�un dispositif l�gislatif, les parlementaires doivent agir dans cette direction.
Briser le culte du secret
En Alg�rie, il est fait allusion dans la Constitution de 1996 � une �loi sur l�information � pour pr�ciser qu�elle rel�ve du Parlement. Il existe une loi sur l�information qui date de 1990, mais elle a une port�e tr�s limit�e. Les textes d�application n�ont pas �t� �dit�s, dont celui relatif � la mise en place du Conseil sup�rieur de l�information. Au Maroc en Mauritanie et en Tunisie, il n�existe aucune loi sp�cifique qui organise le droit d�acc�s � l�information et qui pr�voit les institutions � m�me de le garantir. En revanche, il existe des dispositions l�gislatives et r�glementaires disparates ins�r�es dans des textes relatifs � d�autres mati�res. Exemples : lois relatives � la communication des archives, le code de la presse, la loi portant statut des journalistes, lois relatives � la protection du consommateur, le code de d�ontologie des agents publics, le code des march�s publics, la loi sur l�obligation de l�administration de motiver ses d�cisions n�gatives. Sur le plan institutionnel, l�acc�s � l�information est susceptible d��tre exerc� � travers certains organismes officiels dont le r�le principal est de collecter l�information pour la mettre � la disposition du public, ou des organismes qui doivent, en vertu de leur statut, publier des rapports concernant leur activit�. C�est le cas, par exemple, des centres de documentation nationale, des directions de la statistique et des diff�rentes institutions gouvernementales en mati�re de droits de l�homme ou de la communication audiovisuelle.
Le e-gouvernement en souffrance
L�existence dans les pays du Maghreb de journaux ou bulletins officiels permet l�acc�s du public aux diff�rents textes officiels (lois et r�glements en particulier). Cet acc�s devient plus ais� lorsque ces textes sont mis en ligne � travers le web. L�usage fait de l�internet, dans le cadre de ce que l�on appelle le e-gouvernement, n�a pas lieu de mani�re �gale dans les pays concern�s. Et si par exemple, les gouvernements de ces pays ont mis en place un portail national et des portails propres � certaines minist�res et administrations nationales, la constatation g�n�rale demeure celle de l�absence d�un cadre juridique obligatoire ; le egouvernement rel�ve toujours de la pratique administrative. Les premiers obstacles relev�s sont de nature juridique. Des textes l�gislatifs interdisent, et dans certains cas sanctionnent, l�information du public : statut de la fonction publique, code p�nal, code de la presse, r�glement relatif aux statistiques. En outre, dans certaines hypoth�ses, l�absence de textes d�application emp�che la mise en �uvre de lois qui permettent un acc�s m�me limit� � l�information. D�autres obstacles r�sultent du fonctionnement de l�administration, qui trouve des difficult�s non pas uniquement au niveau de la diffusion de l�information publique, mais aussi au niveau de la production et de la collecte interne des donn�es. Ces difficult�s ont lieu dans un contexte de persistance de la culture du secret, de r�sistance au changement, de lourdeurs des proc�dures administratives et de d�ficit de formation des cadres administratifs. Bien que diff�rents int�ress�s expriment le besoin d�acc�der � l�information, peu d�organisations non gouvernementales dans les pays du Maghreb se sont mobilis�es de mani�re syst�matique pour amener les pouvoirs publics � �dicter une loi sp�cifique qui reconna�t et organise le droit d�acc�s � l�information. D�une mani�re plus g�n�rale, les acteurs de la soci�t� civile, qui d�plorent l�absence d�une telle loi, mettent l�accent par ailleurs sur l�absence de garanties r�elles en mati�re de droit � l�information d� au caract�re lacunaire et ambigu de la l�gislation relative � la presse.
D. H.

 

Qu'en est-il de l'application effective des conventions internationales en la mati�re ?
Les pays du Maghreb ont ratifi� la quasi-totalit� des instruments internationaux en la mati�re, notamment la Convention des Nations unies contre la corruption. Il est utile de rappeler les principales normes internationales en mati�re d�acc�s � l�information, notamment :
- la r�solution 59 de l�Assembl�e g�n�rale des Nations unies de 1946 ;
- l�article 19 de la D�claration universelle des droits de l�homme de 1948 (�Toute personne a le droit � la libert� d�opinion et d�expression ; ce droit doit inclure la libert� d�obtenir, de recevoir et de transmettre des informations et des id�es quelles qu�elles soient, sans qu�il existe de fronti�res. �) ;
- l�article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (libert� d�opinion, d�expression, d�acc�s et de diffusion des informations et des id�es, ainsi que les restrictions pos�es : droits et r�putation d�autrui, s�curit� nationale, ordre, sant� et moralit� publics) ;
- la Convention des Nations unies contre la corruption (en vigueur depuis 2005), notamment ses article 5 (selon lequel les politiques de pr�vention de la corruption doivent :
-favoriser la participation de la soci�t� ;
- refl�ter les principes d�Etat de droit, d�int�grit�, de transparence et de responsabilit�) ;
- article 9 (- march�s publics : diffusion publique de l�information concernant les proc�dures et les march�s ; �tablissement � l�avance des conditions de participation et leur publication ;
- pour les finances publiques : la communication en temps utile des d�penses et des recettes) ;
- article 10 (- permettre aux usagers d�obtenir des informations sur l�organisation, le fonctionnement et les processus d�cisionnels de l�administration ainsi que les actes juridiques ;
- simplifier les proc�dures administratives ;
- publier les informations sur les risques de corruption au sein de l�administration) ;
- article 13 (- accro�tre la transparence des processus de d�cision ; promouvoir la participation du public � ces processus ; garantir l�acc�s effectif du public � l�information ;
- engager des campagnes d�information et de sensibilisation ; promouvoir la libert� de rechercher, publier et diffuser des informations concernant la corruption tout en respectant les restrictions prescrites par la loi ; veiller � ce que les organismes de pr�vention de la corruption soient connus du public et accessibles). A cette liste d'instruments internationaux, il faut ajouter �Les principes du droit du public � l�information �, �labor�s par l�Organisation �article 19� et approuv�s par le rapporteur sp�cial des Nations unies sur la libert� d�opinion et d�expression en 2000 ; et �les principes directeurs pour le d�veloppement et la promotion de l�information du domaine public gouvernemental�, adopt�s par l�Unesco en 2004, sans oublier l�article 9 de la Charte africaine des droits de l�homme et des peuples. Le droit � l�acc�s � l�information a fait l�objet de nombreuses �tudes et le droit compar� permet ais�ment d�en ma�triser les standards et de mesurer les efforts qui doivent �tre poursuivis pour en am�liorer la reconnaissance et, surtout, l�effectivit�. Par rapport � ces conventions, ces normes et ces principes, force est de constater et mesurer le chemin qui reste � parcourir pour les pays du Maghreb, dans ce domaine comme dans d�autres.
D. H.

Un �norme retard en Alg�rie
Au vu du contexte politique et social tr�s difficile et tr�s complexe en Alg�rie, de l��norme d�ficit d�mocratique et du grand retard en mati�re d�effectivit� du droit pour l�acc�s � l�information, les recommandations ne manquent pas. Nous pourrions en pr�ciser quelques-unes, telles qu�elles ont �t� propos�es dans le document de l�Unesco, �Principes directeurs pour le d�veloppement et la promotion de l�information du domaine public gouvernemental� par Paul F. Uhli. Il est imp�ratif d��tablir et de mettre en �uvre une politique cadre globale de l'information gouvernementale pour la gestion et la diffusion des ressources d'informations publiques, politique qui s�inspirerait des conventions et pactes internationaux sign�s et/ou ratifi�s par l�Alg�rie, et o� seraient notamment d�finies des normes de gestion de l'information gouvernementale. Comme il est indispensable de mettre en place une structure appropri�e de gestion de l'information, ouverte aux experts, aux professionnels et aux repr�sentants actifs de la soci�t� civile. Le gouvernement alg�rien gagnerait � faire conna�tre ses strat�gies en mati�re de gestion des syst�mes d'information et des technologies de l'information, NTIC, et � rendre public l�ensemble de sa strat�gie �ealg�rie 2013�.

Absence de volont� politique
Mais pour peu qu�il en manifeste la volont� politique, les pouvoirs publics doivent ouvrir le chantier de la loi de 1990 relative � l�information : publier les textes r�glementaires non parus � ce jour, notamment pour les dispositions demeurant d�actualit� ; mettre en place le Conseil sup�rieur de l�information ; respecter et autoriser l�ouverture des m�dias audiovisuels en dehors de l��tat, tel que d�j� pr�vu dans cette loi. Et enfin, capitaliser tous les d�bats et regrouper l�ensemble des propositions qui ont eu lieu ces derni�res ann�es, visant � d�poussi�rer cette loi et � la rendre conforme au droit des citoyens � l�acc�s � l�information, selon les normes universelles consacr�es dans nombre de pays. Dans l��tat actuel du pouvoir, cette volont� politique n�est pas pr�te encore de voir le jour. Seules diverses pressions et les luttes soutenues de la soci�t� civile acquises aux valeurs de progr�s et de d�mocratie, peuvent amener le gouvernement � l�cher du lest.

L�administration demeure herm�tique
L�administration alg�rienne, malgr� tous les projets et tentatives de r�formes lanc�s sans succ�s ces derni�res ann�es, demeure herm�tique, peu accueillante et repli�e sur elle m�me. Elle n��coute pas, ou tr�s peu, ne re�oit presque pas, ou tr�s mal, et ne r�pond pas, ou presque jamais, aux citoyens ou entreprises qui lui �crivent pour demander des informations, des documents ou toutes sortes de rapports officiels. Quand cela existe, c�est l�exception qui confirme la r�gle. Mais il faut reconna�tre, qu�ici et l�, apparaissent ces derni�res ann�es, des �lots d�administration, d�organismes publics ou d�institutions sociales, o� une culture de l�accueil et de la communication en direction du public commence � �merger, avec m�me parfois la mise en place de m�diation institutionnelle qui connaisse un certain succ�s. Cette dynamique balbutiante est prometteuse, pour peu qu�elle soit encourag�e, consolid�e et qu�elle r�ponde aux aspirations des citoyens � l�exercice du droit � l�information.
D. H.

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