Vox populi : �GOLDEN SIXTIES, SEVENTIES�
Miroir d'une �poque


Nous sommes arriv�s � un �ge o� l'on commence � prendre plaisir dans une r�trospective du pass�. Alger, notre berceau, elle qui nous a pris dans ses bras et envelopp� de son manteau protecteur bleu azur, d�teint chaque jour qui passe. Aujourd'hui, elle n'est plus cette citadelle blanche hant�e par l'esprit des saints. La masse grise du b�ton et des constructions h�t�roclites a gagn� leur pari sur les espaces verts, jardins et vergers o� il �tait loisible de cueillir des fruits.
Les lieux mythiques de rendez-vous des amis, copains, coll�gues de travail, etc. ne sont plus que l'ombre d'eux-m�mes. La plupart ont baiss� rideau en attendant la reprise par les nouveaux pr�dateurs, les magnats de la restauration rapide et des fringues (made in China et contrefaits). Il nous arrive tr�s souvent de nous asseoir sur un banc, perdu dans nos pens�es de sexag�naires, regarder les gens passer. L'air du temps n'est plus ce qu'il �tait. Pour d�crire cette p�riode exceptionnelle, nous avons effac� � l'aide d'un produit miracle ce qui se d�roule sous nos yeux, pour revenir 40 ans en arri�re et red�couvrir notre pass�, qui n'existe que dissimul�, au fond de nos souvenirs.
- A chaque fois qu'on �voque � la t�l�, radio et presse le nom de Djamel Amrani, cela rappelle un souvenir marquant. Djamel, notre ami, notre fr�re, nous nous rem�morons tes extravagances et ton humanisme. On se voyait souvent au �Bristol�, surtout au �Novelty�, lieu de ralliement des intellos, artistes, �tudiants et citadins des ann�es bonheur. Affable et d'une �motivit� indicible, toutes les qualit�s d'une personne humble, fut et restera un grand homme au pass� prestigieux et glorieux. A la fin des ann�es 1960 , d�but des ann�es 1970, attabl� au �Novelty� avec une amie (Rania), femme de grande pudeur, ouvreuse professionnelle dans un grand cin�ma d'Alger, voil� que Djamel fit irruption et se dirige droit vers nous, comme dans ses habitudes, il lance une boutade en direction de Achour, son ami proche : �Banania, tu es l� ! Paye � boire !�
Achour �bauche un sourire au coin des l�vres :
- Je ne savais pas encore que tu es �raciste � ! Dis-moi que tu ne l'es pas et je paierai 2 verres au lieu d'un.
- Un homme qui pr�ne l'�galit� entre les hommes et l'amour de son prochain ne peut pas �tre raciste, N�gro !
Nous assistions �bahis � un �change fraternel, une parfaite intersubjectivit� entre deux hommes qui restera une image dont l'�vocation produit en nous une sensation tr�s forte. Heureux comme des poissons dans l'eau, tout passait tr�s vite, se consommait � la vitesse de l'�clair, on commen�ait � ne plus avoir de temps. En 1968, l'Europe de l'Ouest est secou�e par �Mai 1968�, � l'Est �le printemps de Prague�, chez nous on coulait des jours sereins. Passer d'agr�ables vacances au bord de la mer �tait une certitude, on ne se perdait pas dans des hypoth�ses. Moretti, Club-des-Pins... �taient encore des plages d�sertes mais on pr�f�rait encore: Miramar, le Phare (Cap- Caxine), la Poudri�re et surtout Franco pour un concours de plongeons de haut vol bien de chez nous (Mouriska). M. A. Metref ( le Soir d'Alg�rie), dans une de ses chroniques hebdomadaires, reprenait une d�finition: �pour l'amour du risque� ; pour nous c'�tait pour : �la mauresque�, une fa�on de glorifier notre belle et irrempla�able femme alg�rienne, d�sign�e par ce qualificatif dans la langue vernaculaire �pied-noir�. Au bord de ces criques aux eaux limpides, il r�gnait une ambiance typiquement populaire. On s'amusait comme des fous. On ne se prenait jamais au s�rieux pour se b�tir une morale de dandysme. Avant le coucher du soleil, nous prenions le chemin du retour. Arriv� � B.E.O., nous marquions une halte, le temps de prendre une glace chez �Muller�. Le h�risson, p�che melba d�gust�, nous reprenions notre petit chemin vers Belcourt. Le fief ! Nous nous empressions de rentrer chez nous pour profiter des bienfaits d'une douche froide, nous d�barrasser des taches blanch�tres laiss�es par le sel coll� � notre peau dor�e par le soleil. Rafra�chis, parfum�s au �Faberg�, nous enfilions un �martin� ou un �anticher�. Fin pr�ts pour veiller jusqu'� l'aube. Une f�te, mariage ou circoncision chez le voisin d'en face ou de l'autre c�t� de la rue, anim�e par El-Hachemi ou Boudjem�a). Une soir�e sublime � ne pas rater. Ah, le cha�bi ! Le son des banjos (guitare, t�nor), guitare et derbouka �tait comme une th�rapie. Le cha�bi nous revitalisait, c'est un go�t qui n'est pas seulement une affaire de sensualit�, ni de sensiblerie mais une affaire de sensibilit�. Emerveill�s par les quassidate, nous tendions l'oreille qui capture le son et demeure r�ceptive au rythme et au silence, elle devient par magie un instrument cr�atif qui transmet ce son � la totalit� de notre corps. Le corps tout entier devient un organe sensoriel, un corps qui baigne dans la musique. On n'aura pas fini l'�pop�e 68, quand on aura cit� encore le d�collage �conomique et l'insertion du facteur culturel dans une perspective globale de d�veloppement. Incontestablement l'ann�e 1968/1969 et les ann�es 1970 � 1976 ont �t� les plus f�condes au plan culturel. Tous les arts, partie int�grante de l'unit� culturelle, ne rencontr�rent aucune difficult� dans leur mode op�ratoire. La Cin�math�que alg�rienne, dirig�e respectivement par deux grandes figures du septi�me art, A. Hocine et B. Kar�che, � la hauteur de leur r�putation et des attributions d�volues, nous a fait d�couvrir le cin�ma mondial par la projection d'une s�rie de cycles d�di�s aux plus grands r�alisateurs. Quant au cin�ma alg�rien, il �tait � son apog�e ; tous les films produits ont concouru � son prestige, il arrivait en t�te des productions africaines par sa ma�trise et sa qualit�. Le th��tre �tait aussi reluisant, �Les enfants de La Casbah, El Ghoula, Diwan el garagouze... le th�me et la prestation des acteurs �taient sublimes ; les ragots colport�s ici et l� sur une certaine conception du th��tre bourgeois et la repr�sentation des pi�ces r�serv�es � une petite �lite, s'inscrivaient dans des critiques mal � propos. L�ann�e 1970 a d�menti ces all�gations, par la cr�ation d'un Institut national d'art dramatique et chor�graphique, dont l'un des fondateurs �tait Farid Oujdi, (Ninis), grand interpr�te de la chanson andalouse mort dans la d�cennie 1990, dans l'anonymat. L'exemple frappant sur le renouveau du th��tre alg�rien fut la cr�ation de ces troupes d'amateurs, notamment celle de la rue Hariched, ex-Mogador. La musique voit la cr�ation de l'Institut national pour la recherche sur la musique classique, le cha�bi, le b�douin, le kabyle et le moderne. Le premier Festival panafricain (22/31/07/1969), dont nous f�terons prochainement le quaranti�me anniversaire, fut des plus r�ussis et spectaculaires. Pendant dix jours entiers nous nous en sommes donn�s � c�ur joie. Une v�ritable f�te. Une bouff�e d'air de culture continentale. Des familles enti�res, hommes, femmes et enfants, envahirent les places. M�me si beaucoup d'entre nous ne comprenaient encore rien � la n�gritude de Senghor et C�saire, nous avons pris quand m�me conscience � leur mani�re de s'exprimer. Ce fut une tr�s grande manifestation culturelle comme notre pays savait en r�aliser avec succ�s. Le pr�sident d�funt d�clarait � l'ouverture : �La culture en g�n�ral et la n�tre en particulier ne seront plus le support des injustices ou des dominations, mais les instruments d'une plus grande compr�hension interhumaine�. C'est presque une esquisse de portrait des �golden sixties, seventies�, quelques d�cennies plus tard, cet or s'arr�tera de scintiller atteint par l'exc�s de son rayonnement, puis la remise en question de cet h�ritage l�gu� par les mains de la vertu. L'attachement � cette p�riode r�pond � une exigence du d�sir, � une r�trospective du pass� m�morable, qui ne peut qu'�tre d��u par la r�alit� pr�sente. �Il faut boire jusqu'� l'ivresse sa jeunesse car tous les instants de nos vingt ans nous sont compt�s. Et jamais plus le temps perdu ne nous fait face.� (Ch. Aznavour)
Bob Med - Belcourt

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