Chronique du jour : A FONDS PERDUS Les recettes du miracle chinois Par Ammar Belhimer [email protected]
La Chine est-elle r�ellement condamn�e � la fonction d�usine
tourne-vis ou de plus grand atelier du monde, qui n�a d�autre avantage
comparatif qu�une main-d��uvre bon march�, jouissant d�un minimum de
droits sociaux et d�pourvue d�organisations syndicales libres,
repr�sentatives et revendicatives ? Sur ce plan-l�, les choses �voluent
lentement : il faudra attendre, au mieux 2020 (projections
gouvernementales) pour voir �tablies les fondements d�un syst�me
d�assurance maladie universelle et faire dispara�tre le syst�me de �hukou�
(carte de r�sident pour les migrants urbains).
Dans l�ensemble, ses
industries � forte intensit� de main-d��uvre ont certes largement fait
le bonheur des chantres des d�localisations et fini par en donner
l�image d�un pays exportateur de produits bas de gamme ou de
contrefa�on. L� aussi, en profondeur, les choses ne sont pas aussi
simples et ce pays risque de nous surprendre plus t�t que pr�vu. C�est
en f�vrier dernier que le secr�taire g�n�ral du programme �Brand China�
(Marque Chine), Wang Yong, a annonc� que 2009 marquerait le d�collage
international de la marque Chine. L�annonce a �t� faite lors de la
tourn�e europ�enne du Premier ministre Wen Jiabao. Comment passe-t-on de
la copie � la cr�ation en si peu de temps ? Les ambitions chinoises
remontent � 1978 et au lancement du chantier des quatre modernisations
(industrie, recherche, agriculture, d�fense) par le �petit timonier�,
Deng Xiaoping. En une g�n�ration, l�Empire du Milieu a multipli� par
cinq son PIB annuel pour devenir, en 2007, la troisi�me puissance
�conomique mondiale (3 300 milliards de dollars). L�essor de la Chine
conjugue trois caract�ristiques : la soudainet�, la dur�e et une masse
unique des populations entra�n�es dans le mouvement. La carburant est
fourni par l�Etat, � travers un fonds souverain (le CIC), dot� de 200
milliards de dollars pr�lev�s sur les 1900 milliards de dollars de
r�serves de change. Pour cr�er, il faut d�abord ma�triser son sujet :
dans les industries consid�r�es comme strat�giques (�nergie,
a�rospatial, automobile), la Chine d�veloppe un pr�cepte fondamental
�mis par Sun Tzu dans L�art de la guerre ( Connais le terrain). A ce
titre, elle met � disposition de ses entreprises des �tudes de march�
d�taill�es leur permettant de s�implanter � l�international. En amont,
une v�ritable fili�re de l�information a �t� institu�e. On voit ainsi
des universit�s comme celles de Wuhan, P�kin, ou Shanghai proposer des
masters d�intelligence �conomique. L�industrie d�gage aujourd�hui
l�essentiel des 290 milliards de dollars de l�exc�dent commercial. Les
choix de la Chine ne sont pas trop �loign�s des n�tres, sauf qu�ils ont
de la suite dans les id�es, le courage de rectifier le tir et la volont�
d�aboutir. Le secteur manufacturier, d�abord et longtemps ax� sur
l�industrie lourde comme chez nous, �volue tr�s vite massivement vers
des biens de consommation. Ces derniers, initialement basiques (textile,
jouets), sont de mani�re croissante � haut contenu technologique
(t�l�phones portables, ordinateurs, t�l�viseurs). Le �made in China� a
c�d� la place au �designed in China� gr�ce � l�investissement de plus de
750 soci�t�s �trang�res qui effectuent une part cons�quente de leur
recherche et d�veloppement en Chine. Aujourd�hui, c�est le �designed by
China� qui, � son tour, commence � se substituer au �designed in China�,
gr�ce � l��mergence des champions nationaux (tels que Haier ou Konka).
La croissance chinoise des trois derni�res d�cennies s�apparente donc un
gigantesque mouvement de balancier entre l�arriv�e des flux (�tapes 1 et
2 avec des industries d�entr�e de gamme : jouets, �lectrom�nager,
fertilisants, pi�ces d�tach�es de voitures�), leur assimilation (�tape 3
avec un accent particulier sur les nouvelles technologies : a�rospatial,
biotechnologies, informatique, nouveaux mat�riaux ou �nergie � une
grande partie de la cha�ne du photovolta�que notamment) et leur
exportation (�tapes 4 et 5). L��tape m�diane entre les phases
d�attractivit� et de comp�titivit� a permis un transfert massif de
savoir-faire dans le pays. Les r�sultats sont l� : l�agence Chine
Nouvelle a annonc� l�an pass� que P�kin avait lanc� les �tudes de
faisabilit� d�un futur avion de transport civil de 150 places. En mai
2008, la Cacc (Commercial Aircraft Corporation of China) a �t� cr��e
pour d�velopper le nouvel appareil. Autre proximit� avec nous : elle est
politique celle-l� � dans l�ensemble, le pays donne la forte impression
de d�velopper un capitalisme autoritaire � officiellement qualifi� de
�socialisme de march� � ob�issant � des priorit�s de d�veloppement
interne. N�anmoins, si nous pataugeons encore dans un syst�me �conomique
atypique, la Chine s�est largement inspir�e du mod�le singapourien et
r�solument engag�e dans sa reproduction � large �chelle qui repose sur
des dizaines de moteurs �conomiques mis en r�seau le long de ses c�tes
(les �cit�s-Etats�). A la suite de sa visite � Singapour en 1978, Deng
Xiaoping projettera le mod�le de ce minuscule territoire de 640 km2 sur
un pays de la taille d�un continent en cr�ant �en s�rie� des dizaines de
Singapour(s) le long de la c�te pacifique � il parlera plus tard de
�Hong-Kong(s)�. Ces villes sont con�ues comme des cit�s-nations
puissantes, interconnect�es et en �change permanent avec l�ext�rieur.
Attali rappelle bien dans �Une br�ve histoire de l�avenir� comment la
�premi�re mondialisation� avait vu le succ�s extraordinaire des
cit�s-Etats de Bruges (1200-1350), Venise (1350 � 1500), enfin Anvers
dans la premi�re moiti� du XVIe si�cle. Fran�ois Pitti, vice-pr�sident
des Alliances strat�giques d'un groupe du CAC 40 et conseiller du
commerce ext�rieur, sp�cialiste de l�Asie, vient de bousculer les
pr�jug�s en livrant des projections cr�dibles qui, contrairement au
mis�rabilisme attach� au mod�le chinois, r�v�lent une �strat�gie de
marque� : �Dans une dynamique internationale graduellement "soft", la
bataille � venir consiste � �tre per�u comme "power", et non plus
seulement comme "country". La marque est un outil puissant pour
contribuer � cette mutation de la perception. Elle a par ailleurs une
double vocation �conomique. Celle de dominer, par captation et
exportation, les flux mondialis�s qui transitent par ses territoires
(mouvements de capitaux, de biens et services et d�information). Et de
d�cupler leur valeur per�ue (objective et subjective). La notori�t� �
renforc�e par la marque � permet en effet d�attirer les flux
(attractivit�) et de valoriser au mieux les biens et services sortants
(comp�titivit�)� (*). Il rappelle fort � propos que la gestion proactive
de l�information est primordiale dans le contr�le de la notori�t�. Les
d�p�ches de l�agence Chine Nouvelle (Xinhua) occupent un rang toujours
plus �lev� sur les recherches Internet. Xinhua publie plus de 1 000
articles par jour dont un nombre croissant, en anglais, sont extr�mement
bien r�f�renc�s sur Google. De m�me que nombre de sites en �.cn�. Les
strat�gies de marque s�appuient ensuite sur des symboles. Les Chinois
ont ainsi mis l�accent sur cinq secteurscl�s : l�espace (fronti�re dont
ne peuvent r�ver que les grands), la culture (elle irrigue tous les
canaux de la promotion des marques), l�architecture ( le Shanghai World
Financial Center, avec ses 492 m�tres de hauteur, est significativement
devenu le troisi�me immeuble le plus haut au monde, apr�s le Bordj Duba�
et Taipei), le luxe (rachat du groupe Marionnaud par le groupe chinois
A.S. Watson, alors que Paris d�couvre la styliste chinoise Ma Ke et ses
compositions surprenantes de mati�res brutes �voquant le monde agraire)
et, enfin, le sport (avec 51 m�dailles d�or, la Chine a affirm� en 2008
son statut de superpuissance sportive). Au-del� de ces succ�s, l�Empire
du Milieu peut-il croire le magazine Newsweek lorsqu�il ouvre avec ce
titre : �Nous sommes tous socialistes � pr�sent�, peu apr�s que Time
Magazine eut vant� le retour des Etats et le colbertisme fran�ais ?
Alors que le �mod�le de P�kin� (�Beijing consensus�) est parfois �voqu�
dans la presse occidentale par opposition au �Washington consensus� qui
a r�gi l�aventure n�o-conservatrice de la fin des ann�es 1980 jusqu�� la
catastrophe des subprimes.
A. B.
(*) Fran�ois Pitti, Chine et Inde : Vers une strat�gie de marque.
En Temps r�el, Association pour le d�bat et la recherche
� Cahier N�38 � avril 2009 �
www.entempsreel.fr
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