
Monde : LA FIN DE LA FRANÇAFRIQUE N’EST PAS POUR DEMAIN Bongo aurait financé la droite comme la gauche
Le président français, Nicolas Sarkozy, se déplacera lui-même aux obsèques d’Omar Bongo, qui se dérouleront mardi 16 juin à Libreville, la capitale gabonaise. Il n’est pas encore enterré qu’une vaste polémique sur la Françafrique et ses réseaux opaques refait surface. El hadj Bongo arrosait les hommes politiques de droite comme de gauche et c’est ce qui l’a maintenu au pouvoir, avouent des politiques des deux camps. Il n’est pas dit, loin s’en faut, que ce système prenne fin. Et pourtant, dans son programme de politique internationale, Sarkozy avait longuement disserté sur la fin de la Françafrique.
De notre bureau de Paris, Khadidja Baba-Ahmed
Dès l’annonce officielle de la mort de Omar Bongo, les langues ont
commencé à se délier sur les liens obscurs qu’a toujours entretenus le
pouvoir français avec certains régimes africains. Aussi paradoxal que
cela puisse paraître, le premier tir est venu de l’ancien président
français, Valéry Giscardd’Estaing dont la campagne pour la
présidentielle de 1981, entachée alors par l’affaire des diamants que
lui avait offerts Bokassa, président centre-africain de l’époque,
s’était soldée par un cuisant échec. Giscard, que les Français associent
toujours à ce scandale des diamants, révélait mardi sur Europe 1,
qu’Omar Bongo avait soutenu financièrement Jacques Chirac, son
adversaire, lors de sa campagne présidentielle de 1981. Il n’en fallait
pas plus pour que la polémique s’amplifie. Le mis en cause, Jacques
Chirac, a très vite rétorqué et dénoncé «des affirmations dénuées de
tout fondement», qualifiant les révélations de Giscard de propos qui ne
relèvent «que d’une médiocre polémique». L’ancien ministre de
l’Intérieur Charles Pasqua, qui, lui aussi, n’était pas étranger à ce
qui est toujours appelé les «réseaux africains » ou la françafrique et
qui fut mêlé à l’affaire Elf puis a bénéficié d’un non-lieu, est venu au
secours de Chirac, affirmant : «Comment est-ce qu’il (Giscard, ndlr)
peut dire ça ? S’il a des éléments de preuve, il faut qu’il les donne…
on ne doit pas se laisser aller à tenir ce genre de propos qui relèvent
de la basse insinuation, de la calomnie … Que Omar Bongo ait eu de
l'amitié pour certains, c'est probable. Il avait des amis aussi bien à
droite qu'à gauche, d'ailleurs. Mais ça s'arrête là. Je n'ai jamais
entendu, y compris par Bongo, qu'il aidait financièrement tel ou tel.»
L’ancien monsieur Afrique de Jacques Chirac (de 2002 à 2007), Michel
Bonnecorse, qui a réfuté la déclaration de Giscard, a dans le même temps
admis qu’Omar Bongo ne se cachait pas d’avoir dans le passé aidé les
partis tous azimuts. Et pour couronner le tout, Roland Dumas, ancien
ministre socialiste des Affaires étrangères à qui un journaliste
demandait : «Omar Bongo finançait-il, comme il s’en vantait parfois, les
partis politiques français ?», eut cette réponse qui en dit long sur
l’arrosage de tous les pouvoirs français, et qui plus est, pas seulement
par le pouvoir gabonais : «S’il l’a dit, c’est qu’il y a une part de
vérité. Je connaissais Bongo depuis cinquante ans. C’était un ami et
nous avons toujours travaillé en bonne intelligence. Mais je n’étais pas
là, moi, pour porter les valises. Et bien d’autres pays ont procédé à de
tels financements. La différence avec Omar Bongo, c’est qu’il
répartissait équitablement la manne : chaque parti était servi.». C’est
donc cet arrosage de tous les pouvoirs français successifs, avec les
revenus pétroliers dont les citoyens gabonais étaient privés, qui a aidé
Bongo, que tous, à droite comme à gauche, s’accordent à décrire comme un
sage, à rester au pouvoir pendant plus de 41 ans. C’est justement ce qui
a fait réagir la nouvelle députée d’Europe Ecologie et ancienne
magistrate Eva Joly qui a estimé que : «C’était un président qui n’avait
pas le souci de ses citoyens. Il a bien servi les intérêts de la France
et des hommes politiques français. La manne pétrolière n’a pas profité
aux Gabonais. La France a une grande dette envers le Gabon pour avoir
maintenu au pouvoir pendant toutes ces années Omar Bongo». Eva Joly ne
parle pas en l’air, elle qui a eu à traiter de l’affaire Elf, de ses
ramifications gabonaises et d’y découvrir, à cette occasion, les relais
de la Françafrique où s’entremêlent les Etats africains corrompus, leurs
parrains français et autres lobbys d’hommes d’affaires qui ont fait
prospérer leurs business. Bongo a été considéré comme le pilier de cette
Françafrique. Sa mort ne va sûrement pas sonner le glas de cette
pratique instituée en système. Ali Bongo, ministre de la Défense, le
fils de Omar Bongo qui a su préserver la dynastie, continuera à faire, à
n’en pas douter, les jours heureux de ces relations si particulières
avec le pouvoir de l’ancienne colonie, pourvu que cette dernière l’aide
à sortir des urnes lors de la prochaine présidentielle. A moins que… les
Gabonais ne décident enfin de donner une odeur et une couleur gabonaises
à leur pétrole.
K. B.-A.
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