Chronique du jour : A FONDS PERDUS
L�euro et la crise
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


Emmanuel Todd, politologue et historien de renom, a un sens d�velopp� de la prospective. C�est � lui qu�on doit notamment d�avoir, le premier, pronostiqu�, d�s 1976, l'effondrement de l�empire sovi�tique dans son premier livre, la Chute finale. Dans un autre ouvrage c�l�bre, l'Illusion �conomique, paru en 1998, il traite des causes de la stagnation des soci�t�s d�velopp�es. Plus r�cemment, en 2002, un autre best-seller, Apr�s l'empire, projette le d�clin des Etats-Unis et anticipe une crise financi�re d�clench�e en Am�rique.

Il m�rite donc d��tre �cout� lorsqu�il �crit : �Les investisseurs vont se rendre compte que l'Etat am�ricain n'est qu'un super-Madoff, l'escroquerie du si�cle. Il est tout � fait vraisemblable que l'on assiste � l'effondrement du dollar dans l'ann�e qui vient.�(*) Emmanuel Todd n�est pas le seul � parier sur une succession de l�euro au dollar, ou au moins une forte cohabitation entre eux. En septembre 2008, Peer Steinbr�ck, le ministre des Finances allemand, d�clarait, non sans une certaine diplomatie : �Les Etats-Unis vont perdre leur statut de superpuissance du syst�me financier mondial� L�Am�rique ne sera plus la seule puissance � d�finir les normes et les produits financiers �changeables dans le monde entier� Le dollar restera une devise tr�s fiable et tr�s importante, au m�me titre que l�euro, ou encore que le yuan et le yen ; je pense donc que ce sera peut-�tre l�amorce de certains changements.� - Cet optimisme corrobore la d�claration de la Chine selon laquelle la p�riode h�g�monique du dollar devrait toucher � sa fin et que le monde avait besoin d�une nouvelle monnaie de paiements pour ses �changes. Ils sont donc nombreux � voir dans la crise financi�re actuelle le catalyseur d�un changement dans ce sens, partant du postulat incontournable que les monnaies dominantes ne d�choient de leur rang qu�apr�s un choc majeur. Contre les failles inh�rentes � la conception anglo-saxonne de la finance, tous mettent en exergue le mod�le europ�en, plus prudent. Cet optimisme est alt�r�, probablement � bon escient, par la multiplication d�avis plus r�serv�s �manant de tout ce qui gravite autour du Fonds mon�taire international. La crise actuelle du cr�dit est un �test de r�sistance pour l�euro�, sugg�rait r�cemment Barry Eichengreen, professeur d��conomie et de sciences politiques � l�Universit� de Californie, dans une �tude publi�e par le FMI (**). Selon Eichengreen, la chute des prix de l�immobilier, les pertes �lev�es enregistr�es par les banques, la hausse du ch�mage, les tensions d�flationnistes, l�h�morragie des finances publiques ont largement nourri une vague d�euroscepticisme aigu poussant jusqu�� l�abandon de l�euro. Comme rien n��chappe � la sp�culation dans notre monde actuel, cette �ventualit� est m�me l�objet d�un pari depuis avril 2008 : le march� de pr�dictions en ligne Intrade propose un contrat qui revient � parier sur le fait qu�un des pays de la zone euro annoncera son intention d�abandonner la monnaie unique d�ici au 31 d�cembre 2010. A la mi-avril dernier, la cote de ce contrat correspondait � une probabilit� de 20 % seulement. L�euro a donc la peau dure. Outre la faible probabilit� qui affecte un �ventuel retour aux monnaies nationales, un contre-argument jugule chaque argument justifiant cette r�introduction. Qui dit retour aux monnaies nationales dit retour � une guerre �conomique sans merci, � une concurrence � armes in�gales, avec une d�pr�ciation en cha�ne des monnaies nationales en qu�te de gains de comp�titivit�, mais ces gains ne seront que provisoires et bien maigres comparativement aux �nombreux co�ts, tant politiques qu��conomiques� qui, eux, seront �d�finitifs�. �Qui plus est, il n�est pas s�r que le retour � une monnaie nationale faciliterait la gestion des finances publiques pour un pays de la zone euro�, pronostique �galement Eichengreen. Point de discipline et de rigueur budg�taire hors de l�euro. L�auteur en veut pour preuves des travaux ant�rieurs d�montrant que les marges sur les obligations souveraines (obligations d�Etat � 10 ans, avec l�Allemagne comme r�f�rence) augmentent plus vite avec le d�ficit budg�taire et le ratio dette publique/PIB dans les pays non membres de la zone euro. Par ailleurs, les obstacles techniques seraient fortement dissuasifs : �Il serait simple pour un Parlement ou un Congr�s de voter une loi autorisant l�Etat et d�autres employeurs � payer les salaires et les pensions en monnaie nationale, mais ce changement de libell� des salaires et autres revenus n�cessiterait de relibeller les hypoth�ques et les dettes li�es � l�utilisation de cartes de cr�dit par les r�sidents. Sinon, la d�pr�ciation de la monnaie p�naliserait les m�nages et aboutirait � de graves difficult�s financi�res et � des faillites.� Les co�ts d�une d�cision de sortie de l�euro seraient donc largement sup�rieurs aux avantages escompt�s, surtout en p�riode de crise. Voil� pourquoi, a contrario, c�est plut�t �l�heure de gloire de l�euro�, semble sugg�rer un autre �conomiste, Charles Wyplosz, enseignant � l�Institut universitaire de hautes �tudes internationales de Gen�ve pour qui cette monnaie agit comme un puissant rempart contre la crise : �Le premier motif invoqu� pour justifier la cr�ation de la monnaie unique a toujours �t� la volont� d��viter les attaques sp�culatives contre les taux de changes, qui provoquent d�importantes fluctuations mon�taires dangereuses pour le march� unique europ�en des biens et services. C�est ce qui explique que la d�cision d�adopter l�euro ait �t� prise apr�s la lib�ralisation des mouvements de capitaux. La premi�re le�on de la crise est que cet objectif a �t� atteint.� (*** �Les Etats de l�Union europ�enne qui ne sont pas membres de la zone euro s�aper�oivent aujourd�hui des avantages de la monnaie unique. Au Danemark, pays qui avait obtenu une clause d�exemption en 1992, la population a constat� l�effet protecteur de l�euro en temps de crise : apr�s avoir vot� contre � deux reprises, elle pourrait vouloir rejoindre l�union mon�taire.� Au cours des dix premi�res ann�es de son existence, l'euro s'est r�v�l� �tre plus qu'un puissant symbole d�identit� collective construite sur des valeurs de libert� et de solidarit�. Bien plus, il a assur� la stabilit� des prix et dompt� l'inflation ; il a offert un abri contre les crises de changes et a concouru � une grande discipline budg�taire. Est-ce suffisant pour le voir rivaliser avec le dollar pour le statut de monnaie mondiale ou se contentera-t-il de devenir une monnaie r�gionale forte en Europe et dans la r�gion m�diterran�enne ? Les travaux disponibles montrent pour l�essentiel que l'euro s'est r�v�l� �tre attrayant par beau temps mais qu�il lui reste � prouver qu�il est aussi arm� pour r�ussir en tant que �monnaie de temp�te�. �Le dollar a peut-�tre un peu perdu de son lustre, mais la lenteur avec laquelle la zone euro r�agit � la crise et, � long terme, sa croissance tendancielle moins rapide ne permettent pas de voir en elle une puissance �conomique et financi�re montante.� �On peut raisonnablement parier que la crise accouchera d�un syst�me financier anglo-saxon mieux r�glement�, plus dominant que jamais, qui continuera de modeler les march�s �mergents en Asie et ailleurs, tandis que l�Europe demeurera une r�f�rence en mati�re de prudence �, pronostique Charles Wyplosz. L�euro semble alors faire les frais de cette incompatibilit� entre la prudence et l�amour que met si bien en �quation Fran�ois de La Rochefoucauld : �La prudence et l�amour ne sont pas faits l�un pour l�autre : � mesure que l�amour cro�t, la prudence diminue.�
A. B.

(*) Emmanuel Todd, Le protectionnisme ou le chaos, La Tribune.fr - 24/07/2009
(**) Barry Eichengreen, Test de r�sistance pour l�euro, in Finances & D�veloppement, juin 2009.
(***) Charles Wyplosz, L�heure de gloire de l�euro, in Finances et d�veloppement, op. cit.

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