Chronique du jour : CHRONIQUE D�UN TERRIEN
La grande harba (XVII)
Par Ma�mar FARAH farahmaamar@ymail.com


Captur�s par les tangos dans la r�gion de Yakouren, nous sommes dirig�s vers leur rep�re. Le groupe a pour chef un BPB (Barbu plus barbu que les autres) qui s�int�ressa tout de suite � Meriem El-Aggouna. Apr�s une nuit pass�e � l�int�rieur d�une grotte, nous sommes conduits chez le BPB. Quand je dis �nous�, je parle du pied-noir et de moi car l��mir est aux arr�ts pour haute trahison�
En arrivant chez le BPB, vautr� sur un sofa, la main dans les cheveux de Meriem, assise � ses c�t�s, nous sommes scandalis�s par la tenue l�g�re de celle qui �tait, il n�y a pas si longtemps, l�h�ro�ne de tout un peuple. Le pied-noir, qui aimait d�un amour fou cette dame au charme oriental cruel, me dit d�une voix teint�e de col�re :
- C�est inadmissible. Ce que tu vois est le peuple alg�rien. Cette dame est la seule habitante de ce pays, en dehors du gouvernement de Ouyahibelkha, des services de s�curit� et des membres d�Al- Qa�da !
- Ne sois pas injuste. On l�a certainement drogu�e !
- Je ne pense pas. Qu�est-ce qu�elle faisait dans ce tripot mal fam� du port de Bgayet ? Ses rapports avec ce salaud de ma�tre des monts Kunlun m�ont toujours parus suspects ! Et si c��tait une�
- Ecrase, buveur de Jack Daniel�s. N�oublie pas que tu parles de tout le peuple alg�rien ! Un mot de plus et je te balance dans le pr�cipice ! Au fait, tu as dit �Bgayet� au lieu de �B�ja�a� ! C�est bien ! L�essentiel, c�est que ce n�est plus �Bougie� ! Quand m�me, je n�allais pas le laisser dire des choses sales sur le peuple alg�rien. Un peuple compos� d�une seule personne, c�est facile � insulter ou � encenser. Mais au fond, je sais que le pied-noir disait cela par d�pit amoureux. Minute papillon ! Meriem El-Aggouna n�avait-elle pas enfant� un b�b� ? Pourquoi continuonsnous � consid�rer cette femme comme la seule habitante non institutionnelle du pays ? Le peuple alg�rien est compos� de deux personnes ! Voil� la v�rit� ! C�est un coup fourr� du gouvernement de Ouyahibelkha. Ils cachent le b�b�. Ils ont en otage le futur peuple alg�rien. Le buveur de Jack Daniel�s me regardait d�une dr�le de fa�on, comme si j��tais responsable du d�part massif de ses amis en 1962 ! Je sais qu�un de ces quatre matins, on reprendra le combat entam� au restaurant de l�a�rogare de Sidi Cagliari ! Je m�y pr�pare. Durant mes p�r�grinations dans les massifs kabyles, je me suis familiaris� avec quelques prises spectaculaires en feuilletant le bouquin au titre ravageur : � Avec Boualem KO, tout est OK !� �crit par un certain Boualem Zoudj Krouch de Hadjout, propri�taire d�une salle de sports o� l�on enseigne l�art du �kung tfou alik�. Ce Chinois avait choisi un nom alg�rien car il trouvait nos appellations pittoresques ! D�ailleurs, il avait pr�nomm� son �pouse Mart Boualem Zoudj Krouch et son fils Wlid Boualem Zoudj Krouch. Les agents de l��tatcivil avaient rousp�t� un peu mais, finalement, tout s�est arrang�. �Tant que c�est pas des pr�noms berb�res, �a passe�, avait dit l�un d�eux. Le BPB retira sa main des cheveux soyeux de Meriem et lui ordonna de remettre le hidjab. Elle s�ex�cuta en nous lan�ant des clins d��il que je d�codais comme un signal tr�s clair. Elle voulait nous dire : �Ne vous fiez pas aux apparences. Je tiens la situation en main. J�ai un plan. Patientez�� Le chef responsable des barbus nous gratifia d�un long discours religieux qui agissait sur le pied-noir comme un somnif�re. Je le harcelais du coude pour qu�il ne s�endorme pas. Le BPB parlait maintenant de notre sort : �J�ai bien r�fl�chi hier. En principe, vous �tes bons � passer chez Si Ali le boucher, de son vrai nom Abou Mansour, alias Samir le vendeur de brochettes. Il a des couteaux qui ne font pas trop mal. Mais Meriem m�a convaincu de vous laisser vivants pour le moment. Nous allons nous amuser. Savez-vous jouer au football ? Si vous r�pondez par non, j�appelle tout de suite Si Ali le boucher.
- Ouuuuuuuuuuuuuiiiiiiiiiiiiiii !
- Alors, tant mieux. Faites appel � votre ami le tra�tre et � quelques villageois et composez une �quipe de football de 11 joueurs avec 3 rempla�ants. Vous allez jouer contre notre formation. Cette derni�re est class�e onzi�me dans le championnat interwilayas des combattants d�Al-Qa�da, mais je suis s�r qu�elle vous battra par un score fleuve ! Au cas o� vous remporterez le match, vous �tes libres. Si vous gagnez par trois buts d��cart, vous sauverez l��mir tra�tre et il pourra repartir avec vous. Par contre, si vous perdez, vous serez dirig�s, imm�diatement apr�s le match, vers Si Ali le boucher.� Meriem agitait la t�te en notre direction. Ce qui voulait dire : �Acceptez. C�est notre derni�re chance.� Le buveur de Jack Daniel�s me regardait avec un air hautain. Lui, au moins, avait �t� plongeur � la buvette du stade de Reims. Moi, je n�ai jamais jou� au football sur un vrai stade. Mais j�ai quand m�me assist� � la plus lourde d�faite at home du championnat national de football. C��tait dans l�ancienne Alg�rie, au moins de juin 1965, quand le CR Belcourt de Lalmas �trillait l�USM Annaba sur son terrain mascotte par 8 � 0 ! Mais cela ne me faisait ni chaud ni froid. J��tais supporter de la JBAC, la meilleure �quipe de tous les temps pour moi. Son jeu acad�mique et lumineux, je l�ai retrouv� un jour chez l�USM Alger quand l�arabisation de notre canard nous obligea � d�m�nager � Alger. Durant 25 ans, c��tait l��quipe que j�aimais. Et maintenant ? Je suis un fervent admirateur de l�AC Sidi Cagliari aux couleurs� rouge et noir. C�est bien beau tout cela, mais, question pratique, je suis archinul ! Quant � l��mir, peut-�tre que ses longues ann�es comme ramasseur de balles au stade de Hydra allaient nous servir � quelque chose. Nous avions le droit d�utiliser Meriem� Honni soit qui mal y pense� Allons donc, comment r�fl�chir � ces choses au moment o� le couteau de Si Ali le boucher �tait suspendu sur nos cous ? Au village, nous trouv�mes quelques jeunes f�rus de foot. Notre choix se porta sur une bande de gars costauds men�s par un certain �copain de Manga Ts� Tong alias Bariza Lavabo ! Etrange, pourquoi appelle-t-on ce gars ainsi ? Bon, apr�s tout, on s�en fout ! S�il pouvait marquer des buts, on ferme l��il ! Il peut m�me s�appeler le copain de Mounira Style ou de Zineb Twa�ch, de leurs vrais noms Kawa Zaki et Toyo Tata, �a ne nous concerne pas. Apr�s trois s�ances d�entra�nement, on nous invita � nous pr�senter au stade de San Z�ro de la banlieue de Yakouren o� une foule en liesse nous attendait. Il n�y avait que des barbus alg�riens et des non-barbus chinois. Nous �tions habill�s en bleu et les tangos en rouge. L�arbitre �tait en blanc. Bleu, blanc, rouge, cela plaisait �norm�ment au pied-noir, mais pas au BPB qui, furieux, tira sa �mahchoucha � et abattit l�homme en noir (�en blanc !) de deux coups de feu. La foule applaudit et une petite voiture emmena le cadavre du pauvre arbitre qui fut aussit�t remplac� par un autre habill� de jaune. �Bleu, jaune, rouge� r�p�tait le BPB en se grattant le menton et en gardant sa �mahchoucha� � port�e de main� �Non, ce ne sont pas les couleurs d�une grande nation imp�rialiste ! �a doit �tre le drapeau de quelques pays d�Afrique�� L�arbitre comprit qu�il allait sortir indemne de ce premier test. Il dansa et cela d�plut royalement au BPN qui tira encore deux autres coups. �Il agit ainsi pour vous intimider et vous abattre moralement avant le match ! Tenez bon les gars !� hurlait en notre direction un admirateur venu de Cap Aokas qui avait d�ploy� une immense banderole sur laquelle on pouvait lire : �Allez les non-barbus ! Je t�aime Taous de Toudja !� Quelques secondes plus tard, les secouristes emmen�rent son corps et la banderole s�envola, emport�e par les vents de Yakouren qui faisaient flageoler nos membres. O� �tait-ce simplement la peur ?
A suivre
M. F.

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable