Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Le mardi noir de Farouk Hosni
Par Ahmed HALLI
halliahmed@hotmail.com


Farouk Hosni avait promis qu'il d�missionnerait de son poste de ministre de la Culture de l'Egypte si sa candidature � la direction g�n�rale de l'Unesco n'�tait pas retenue. Prudent et avis�, il avait ajout� : �A condition que sa d�mission soit accept�e par le pr�sident Moubarek.�.
Or, le Ra�s n'est pas du genre � dire au meilleur ami de la famille : �La d�mission que vous comptiez me pr�senter est accept�e.� On n'aura donc m�me pas le plaisir de voir un ministre qui essaye de partir en claquant la porte et un pr�sident qui feint de vouloir le retenir mais arrive trop tard. Pourtant jamais une candidature du tiers-monde � la direction de l'Unesco n'avait �t� engag�e dans des conditions aussi favorables. M�me les observateurs les plus sceptiques pr�disaient � Farouk Hosni une victoire facile. Hosni Moubarek a pes� de tout son poids aupr�s de ses pairs arabes, africains et musulmans pour s'assurer leur soutien. Il avait m�me obtenu, diton, la promesse que les Isra�liens ne manifesteraient aucune hostilit� � son poulain (si l'expression est de mise). Normalement, le ministre de la Culture �gyptien devait mener la course seul en t�te, avec tous les Arabes derri�re lui. Pour faire bonne mesure, Farouk Hosni avait fait acte de repentance publique et sinc�re pour ses propos antijuifs devant le parlement �gyptien. Interpell� par un parlementaire islamiste en 2008, le ministre de la Culture avait d�menti l'entr�e d'ouvrages isra�liens dans les biblioth�ques d'Egypte. �Si je trouvais un de ces livres, je le br�lerais moi-m�me�, avait-il ajout�. En mai dernier, il avait publi� une tribune dans le journal Le Monde, s'excusant pour ces propos maladroits et rejetant les accusations de racisme. Avec ce mea culpa, Farouk Hosni paraissait avoir fait le plus dur et on semblait s'acheminer vers l'apoth�ose finale. Mais le r�ve s'est �croul� mardi soir � Paris. Le candidat que l'on disait pr�t � aller prendre des cours tout neufs d'h�breu � l'Universit� d'Alger a d�sign� les Etats-Unis et le �lobby juif� comme responsables de sa d�faite. Puis il s'en est pris � la candidate �quatorienne d'origine libanaise, Yvonne Abdelbaki, qui aurait pris une part active dans le complot dirig� contre lui. En r�alit�, note le po�te saoudien Ghazi Kosse�bi, candidat malheureux au m�me poste en 1999, il n'y a aucun complot. La v�rit�, dit-il, dans une contribution au magazine Elpah, c'est que les Egyptiens ont �t� na�fs au point de croire � un vote des pays europ�ens favorable � Farouk Hosni. Or, nous avons assist�, � l'Unesco, � une confrontation entre le nord et le Sud, et chacun des deux blocs a vot� en faveur de son candidat. Il se trouve simplement que les pays occidentaux qui se sont longtemps d�sint�ress�s de l'Unesco, veulent d�sormais que cette organisation revienne dans leur giron. Ils ont fait le n�cessaire pour cela avec l'aide de la cinqui�me colonne dont ils disposent dans nos pays du Sud, conclut Ghazi Kosse�bi. La presse et les intellectuels �gyptiens, dont certains �taient franchement hostiles � la candidature de Farouk Hosni, se sont engouffr�s dans la th�orie du complot. Pourtant, certains confr�res �gyptiens avaient mis en garde contre l'exc�s de confiance. Hosni Moubarek, trop occup� � emp�cher d'autres candidatures arabes, n'a pas essay� de dissuader d'autres, comme celle de la Bulgare Irina Bukova. Quelques jours apr�s ce �mardi noir� �gyptien, la fi�vre est un peu retomb�e, et certains confr�res �gyptiens n'ont pas craint de braver l'union sacr�e qui s'est form�e autour de Farouk Hosni. C'est le cas de Mohamed Ismet qui remet en cause, dans le quotidien Echourouk du Caire, le principe m�me d'une candidature �gyptienne � l'Unesco. �Jusqu'� pr�sent, note-t-il, je n'ai pas perc� le secret de notre insistance � proposer la candidature de Farouk Hosni � l'Unesco. Nous ne disposons pas, par exemple, d'un projet culturel transfrontalier �labor� en Egypte. Un projet altruiste susceptible d'�tre propos� au monde comme alternative au choc des civilisations, ou comme contribution � l'expansion des id�es de paix et de progr�s. Or, nous sommes enlis�s jusqu'aux genoux dans des conflits de communaut�s et de classes. Sous des apparences de calme trompeur, � cause de la r�pression et de la crise �conomique, le pays est en pleine �bullition. Nous souffrons, en plus, d'une d�cadence culturelle effroyable qui favorise la propagation des id�es obscurantistes, du charlatanisme et de la superstition. Ceci ajout� � la d�liquescence aigu� et chronique de notre syst�me �ducatif qui laisse chaque ann�e sur le carreau des millions de dipl�m�s. Et ce, apr�s avoir tu� en eux tout talent et tout esprit d'initiative, et apr�s avoir annihil� toute capacit� � nouer le dialogue avec soi ou avec autrui. Uniquement parce que ce syst�me �ducatif est bas� sur l'apprentissage aveugle et sur la soumission � la maffia des cours particuliers. Pourquoi alors le r�gime s'est-il fourvoy� en proposant Farouk Hosni comme directeur d'une institution, fond�e sur le dialogue, la participation, le pluralisme et la tol�rance ? C'est-�-dire des valeurs � l'oppos� des fondements et des orientations de notre r�gime politique qui a dilapid� une partie de son cr�dit international en s'engageant dans une bataille perdue.� Mohamed Ismet dit aussi ne pas croire � l'id�e tr�s r�pandue selon laquelle les pays occidentaux ne veulent pas d'une candidature �gyptienne. �Les pays occidentaux n'�taient pas hostiles, � mon sens, � l'accession d'un Egyptien � la t�te de l'Unesco, affirme notre confr�re. Simplement, ils n'ont pas pu se r�soudre � voir Farouk Hosni diriger les destin�es de l'Unesco, comme ils l'ont fait pour Boutros Ghali � l'ONU ou pour Fethi Sourour au Parlement mondial. Ce n'est pas seulement parce que Farouk Hosni a commis l'erreur de sa vie en parlant de br�ler des ouvrages h�breux ou parce qu'il est accus� d'avoir espionn� ses camarades �tudiants en Europe dans les ann�es soixante. La vraie raison, c'est qu'il a �chou� en tant que ministre de la Culture d�mocratique en Egypte, et qu'il ne pouvait pr�tendre, de ce fait, � �tre le ministre de la Culture du monde. Voil� pourquoi, l'Occident a complot� contre Farouk Hosni et l'a fait tomber avant qu'il ne franchisse le pas d�cisif vers la r�alisation de son r�ve impossible.� A la veille du scrutin d�cisif, notre confr�re �gyptien Nabil Charef-Eddine avait publi� sur le site du magazine Elaph un article tr�s fouill� dans lequel il avait tent� de montrer le vrai visage de Farouk Hosni. Il a reproch� notamment � Farouk Hosni d'avoir litt�ralement domestiqu� les intellectuels �gyptiens et d'avoir �t� beaucoup plus un homme d'intrigues qu'un homme de culture. Le journaliste a surtout exhum� certaines d�clarations de Farouk Hosni au sujet de ses rapports avec les services secrets �gyptiens. Il affirme, entre autres, qu'il a collabor� avec eux durant des ann�es et que cette collaboration s'est arr�t�e en 1973. Cependant, il avoue qu'il a repris du service en 1985 lors de l'attaque du navire de plaisance A chile Lauro, au cours duquel un touriste am�ricain avait �t� ex�cut� par le commando palestinien. Ces rappels, repris par les m�dias internationaux, ont �t� saisis au vol par le philosophe fran�ais Bernard Henry-Levy qui a publi� un pamphlet contre Farouk Hosni, en raison de son r�le assez trouble dans l'affaire de l' Achile Lauro. Quant � savoir si l�on peut �tre �pigiste� et collaborer � son rythme avec les services, je laisse le soin de r�pondre � certains confr�res �awacs� qui lisent mes chroniques par r�flexe professionnel.
A. H.

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