Chronique du jour : A FONDS PERDUS
La part du droit


Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com
Je commence par rassurer un lecteur assidu du Soir d�Alg�rie qui tout en d�clarant faire partie de la �profession� des �conomistes n�a pas appr�ci� notre derni�re chronique consacr�e � la grande intervention publique du dernier prix Nobel d��conomie, Paul Krugman, que nous n�avons pourtant fait que traduire et r�sumer pour la porter � la connaissance du lecteur au titre d�une sorte de �veille� intellectuelle que nous voulons coll�e � l�actualit�.
Pour n��pargner personne, il n�y a pas que les �conomistes qu�il faut plaindre pour avoir mis tous leurs �ufs dans le m�me panier n�olib�ral. Les juristes, traditionnellement plus conservateurs, ont �galement leur part de responsabilit� pour avoir v�n�r� les dispositifs d�ajustement et de d�mant�lement des r�gimes et ordres juridiques jug�s trop �ferm�s�, protecteurs. D�lits de masse dans la lutte contre la d�linquance o� la personnalit� des d�lits et des peines s��clipse dans les condamnations exp�ditives en s�rie et l�extension des mesures r�pressives aux mineurs d�s lorsqu�il s�agit de gueux, d��meutiers et de banlieusards. On a, par ailleurs, un peu trop facilement troqu� tous les droits sociaux contre d�hypoth�tiques libert�s publiques, comme si un homme qui a faim, n�a pas de g�te, qui a soif et qui ne sait ni lire ni �crire �tait, lui aussi, sous l�emprise de la �main invisible� du saint v�n�r� march� ? Dans le cas d�une crise qui s�annonce longue, le plus dur est � venir avec pour principales sources de tension :
- primo, les d�ficits publics avec un emballement de la dette publique, du fait du rel�chement de la pression fiscale sur le capital et les grosses fortunes, dans une sorte de transfert sur la collectivit� de ce qu�il incombe de mettre � la charge des nantis,
- secundo, le ch�mage. On retiendra, s�agissant du premier point, que les pr�dateurs n�olib�raux ont dilapid� les r�serves de leurs contemporains et hypoth�qu� celles des g�n�rations � venir au moyen de v�ritables contrats de dupes, avec en toile de fond l��pineux probl�me de la responsabilit�.
En droit civil, selon notre bon vieux Carbonnier, toute obligation a, par nature, deux facettes : le devoir et le possible. La notion de devoir est au c�ur de l�obligation. Mais humainement, devoir ne suppose-t-il pas pouvoir ? Aussi, il n�y a pas d�obligations juridiques qu�autant que le devoir est possible. C�est une maxime du droit qu�� l�impossible nul n�est tenu (impossibilium nulla obligation). C�est plus qu�une simple excuse, c�est une exclusion de l�obligation � condition que l�impossibilit� soit insurmontable ou objective : perte de la chose ou th�orie de la force majeure, cause �trang�re ne pouvant pas �tre imput�e au d�biteur. C�est en ces termes qu�il conviendra peut-�tre d�appr�cier ou de d�nouer le �pass through� ou transfert trop simpliste entre les engagements souscrits par les d�cideurs du moment, � la charge de la collectivit� existante, et le sort r�serv� aux g�n�rations qui succ�deront. Les acteurs et les sujets du moment ne sont pas seuls � en assumer la responsabilit� sociale, �conomique et environnementale. Les nations qui aujourd�hui vivent au-dessus de leurs moyens le font souvent au d�triment des autres nations, d�munies, et des g�n�rations � venir. A l�int�rieur des m�mes entit�s �tatiques, la r�partition des charges de l�endettement contract� est loin d��tre proportionnelle aux profits qu�en tirent les uns et les autres, aux fions d�investissement ou de consommation, au moment o� elle est contract�e. Loin de l�. C�est pourquoi, l�imaginaire est mis � rude �preuve par des contrats formels � tr�s longue �ch�ance, disons : au-del� d�une g�n�ration. Il n�y a alors plus d�identification possible entre l��ch�ance et r�gler l�objet du pr�t initial. Plus au Sud, les choses sont pires : �L�imaginaire des populations des pays pauvres qui b�n�ficient des nouveaux pr�ts � tr�s longue �ch�ance et tr�s faible taux d�int�r�t n�a pas �t� sollicit�, car le service de la dette correspondante reste modeste. Mais ce service va cro�tre brutalement dans les prochaines ann�es sans que se manifeste le d�veloppement esp�r� au niveau escompt�. Les populations qui en porteront le principal fardeau ne manqueront pas de s�interroger sur la l�gitimit� de ce qui, pour elles, ressemble fort � une exaction � l��chelle mondiale. Que peut penser une jeunesse qui doit rembourser les engagements enthousiastes de ses arri�regrands- parents ? Que pourra penser un Ghan�en ou un Burundais de 2040 en payant les derni�res annuit�s d�un pr�t conc�d� en 1992 au titre de l�ajustement structurel dont il aura oubli� m�me le nom ? Sur ce point particulier, le mod�le de capitalisme allemand semble faire cavalier seul et asseoir une saine solidarit� interg�n�rationnelle. Ce mod�le est assis sur l�ordolib�ralisme, une th�orie �conomique d�velopp�e dans les ann�es 1930, notamment par Walter Eucken, qui donne � l'Etat pour responsabilit� de cr�er un cadre l�gal et institutionnel solide et de maintenir une concurrence �libre et non fauss�e �, sans intervention budg�taire massive ni participation publique active � la production. A ce titre, le gouvernement allemand vient de faire inscrire dans la Constitution allemande une interdiction de tout d�ficit public au-del� de 0,35 % du produit int�rieur brut (PIB) � partir de 2016. L�ancien alli� fran�ais qui tarde � r�sorber son d�ficit budg�taire est ainsi bien embarass� par ce qui s�apparente de facto � une interdiction de toute r�elle coordination des politiques budg�taires en Europe. Cet �v�nement majeur co�ncide avec un arr�t d�cisif de la Cour constitutionnelle sur le trait� de Lisbonne aux termes duquel il ne saurait y avoir de transferts de souverainet� suppl�mentaires � l'�chelle europ�enne aussi longtemps qu'il n'y aura pas de peuple europ�en d�mocratiquement souverain... Cela a conduit la Cour � exclure toute int�gration europ�enne dans les domaines des politiques fiscales ou sociales. S�agissant de la seconde lame de fond de la crise, ou bombe � retardement, en l�occurrence le ch�mage, r�cemment, lorsque la Banque mondiale a rendu public son rapport Doing Business 2010, seule une voix, celle de la Conf�d�ration syndicale internationale, s�est �lev�e contre les restrictions constantes apport�es aux syst�mes juridiques de protection sociale. Dans la derni�re �dition de sa publication � plus grand tirage Doing Business (pratique des affaires), la Banque mondiale d�courage les pays d�adopter des programmes de protection sociale en qualifiant les gouvernements qui le font de �non comp�titifs� sur le plan des affaires. Le rapport recommande �galement aux pays de revoir � la baisse les indemnit�s de licenciement accord�es aux salari�s cong�di�s et de r�duire ou supprimer les obligations relatives au pr�avis de licenciement. La Conf�d�ration syndicale internationale rel�ve fort pertinemment que Doing Business 2010 classe le Cambodge parmi les pays qui �rendent difficile la pratique des affaires� par l�introduction d�une contribution de s�curit� sociale. Par contraste, l�abolition de la taxe sociale a valu � la G�orgie d��tre cit�e comme un exemple et d��tre mieux class�e par Doing Business. Pendant ce temps, le gouvernement d�mocratique du Honduras, dont le pr�sident a �t� renvers� et expuls� du pays � l�issue d�un coup d�Etat militaire en juin, est critiqu� dans le rapport Doing Business 2010 pour avoir augment� les indemnit�s de licenciement et les obligations li�es au pr�avis en r�ponse � la crise �conomique (le Honduras est d�pourvu d�un syst�me d�assurances de ch�mage.) Suivant la m�me logique, Doing Business 2010 d�classe le Portugal pour avoir rallong� de deux semaines la p�riode de pr�avis de licenciement. �En revanche, l�adoption de politiques facilitant les licenciements sommaires a valu au r�gime autoritaire de la Bi�lorussie, r�cemment priv� des pr�f�rences commerciales de l�Union europ�enne pour avoir viol� les conventions fondamentales de l�Organisation internationale du travail (OIT), de d�crocher un score �lev� dans le rapport Doing Business 2010. Cependant, le troph�e de la �meilleure r�forme� de Doing Business revient cette ann�e au Rwanda, et pour cause : �les employeurs ne sont plus tenus de proc�der � des consultations pr�alables avec les repr�sentants des salari�s [concernant les restructurations], ni d�en aviser l�inspection du travail �. Par ailleurs, le rapport de la Banque mondiale couvre de louanges la Mac�doine, pour s��tre d�barrass�e de mesures li�es au recyclage des travailleuses et travailleurs sans emploi, et Maurice, pour avoir abrog� l�indemnit� de licenciement obligatoire �, conclut la Conf�d�ration syndicale internationale.
A. B.

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