Actualit�s : 1er NOVEMBRE 1954
Quel monde attend les h�ritiers


Cela fait 55 ans que le peuple alg�rien avait d�cid� de recouvrer son ind�pendance. C��tait le moment h�ro�que d�une nation qui voulait �clore au grand jour de l�histoire. Les hommes et les femmes qui en furent les acteurs auront accompli la plus grande �uvre politique de ce peuple depuis plusieurs si�cles. Ils l�auront ainsi arrach� � la servitude et lui auront offert les conditions pour se constituer en Etat ind�pendant.

Par Soufiane Djilali

Un avenir �radieux�
Le mouvement g�n�ral vers la lib�ration des peuples, les discours antiimp�rialistes du camp progressiste, les changements g�ostrat�giques � la suite de la Seconde Guerre mondiale, et d�autres �v�nements encore de dimension plan�taire avaient, sans aucun doute, contribu� � la r�volution alg�rienne. Il n�emp�che, la prise de conscience et la volont� des hommes ont �t� les facteurs d�terminants. Avec cet affranchissement historique, tous les espoirs �taient permis. L�Alg�rie �tait un grand pays, aux ressources naturelles abondantes et surtout, arm� d�une extraordinaire mobilisation d�une population pr�te aux sacrifices pour consolider sa libert�. Dans ces ann�es-l�, le monde vivait les soubresauts de la guerre froide mais aussi la fabuleuse expansion �conomique. Le progr�s �tait partout. Les peuples se lib�raient, le colonialisme reculait. La science et la technologie reculaient les limites du possible. La lune, au sens propre et figur�, �tait devenue accessible ! Au-del� de ce qui semblait �tre des obstacles � franchir (�ducation, industrialisation, acquisition de la technologie�), les Alg�riens voyaient au large, un horizon serein, plein de promesses. L�humanit� progressait � grands pas, et l�Alg�rie se devait de rattraper son retard pour �tre au diapason du progr�s. La g�n�ration de Novembre, celle qui venait de lib�rer le pays et qui s��tait attel�e � le conduire, �tait d�cid�e � construire l�Etat qui devrait d�sormais �survivre aux hommes et aux �v�nements�, � b�tir une �conomie puissante en se lan�ant dans l�industrie industrialisante, � former les nouvelles g�n�rations, � �duquer le peuple� Les atouts �taient l� : la volont�, le nationalisme, l�ambition, les d�fis, les victoires� Gr�ce � la r�volution technologique dans le monde, le ciel �tait d�gag� devant l�humanit� et il n�y avait aucune raison pour que l�Alg�rien n�atteigne pas le niveau de vie dont profitaient alors les peuples du monde d�velopp�. L��re de l��mancipation de l�homme et de la ma�trise de l�acier �tait in�luctable pensions- nous. L�Alg�rie m�ritait sa place au soleil. Elle allait la conqu�rir � la force du poignet et par la gr�ce� de son p�trole. Elle allait acqu�rir ainsi usines clefs en main, technologie et d�veloppement�
La transmission in�luctable du �flambeau�
Un demi-si�cle plus tard, les hommes du 1er Novembre approchent du moment fatidique o� ils devront remettre le pays entre les mains de la nouvelle g�n�ration. Mais avec quel viatique, avec quelle perspective ? En ce 55e �1er novembre�, laissons de c�t�, pour une fois, les bilans internes et regardons dans quel monde l�Alg�rie devra �voluer dor�navant ; quel parall�le pourra �tre fait du monde qui nous entoure entre le moment o� la g�n�ration de novembre a lib�r� le pays et celui o� elle devra le remettre � ses h�ritiers. Tout d�abord, pr�cisons d�embl�e que quel que soit le mode op�ratoire de l�in�luctable � et proche � �transmission du flambeau �, la nouvelle g�n�ration aura � conduire le pays selon sa propre perception du monde et non pas selon le regard de ses pr�d�cesseurs ; un monde nouveau qui se r�organise sous nos yeux. Notre capacit� en tant que nation � le comprendre et � se donner les moyens pour y survivre est de ce fait, capitale. C�est que l�horizon si clair des ann�es 1960 s�est lourdement assombri. Dans les mois et ann�es � venir, l�humanit� devra r�viser, dans la douleur semble-t-il, ses ambitions. La volont� nietzsch�enne du surhomme, de la volont� de puissance de l�homo occidentalis, arch�type absolu de l�homme moderne, est en passe de devenir le cauchemar du monde. Les Cassandre avaient raison et le mod�le �conomique de d�veloppement occidental, celui qui a �t� construit sur l�exploitation extr�me de la nature et en particulier de l��nergie fossile, est en phase de d�p�t de bilan. La situation est maintenant extr�mement grave. Le monde s�oriente d�sormais vers des changements fondamentaux et un remaniement complet de la civilisation telle que nous la connaissons, sous les contraintes de la finitude de notre plan�te. L�homme est en train de prendre conscience que la croissance ind�finie sur laquelle est assis l�ensemble du syst�me �conomique mondial a �t� une illusion fatale. C�est de notre responsabilit� de citoyens de r�fl�chir � la mani�re de mener la transition qui durera probablement une g�n�ration vers une �re absolument nouvelle. L�ampleur des changements qui surviendront dans le proche avenir aura des cons�quences � peine croyables sur la vie des hommes et des nations. Les multiples conflits chroniques et d�vastateurs qui vont en r�sulter et qui s��taleront sur quelques d�cennies ne seront pas la moindre des menaces. Certains parlent d�sormais de l��re de l�hyperconflit � venir qui ferait ainsi suite � la fin de l�h�g�monie de l�hyperpuissance am�ricaine.
Les trois contraintes strat�giques

En effet, trois contraintes strat�giques majeures se dressent face � la civilisation occidentale et donc face au mod�le du d�veloppement humain en cours sur la plan�te : 1) L�in�vitable fin du syst�me financier mondial actuel, intimement li� au sort, d�j� scell�, du dollar am�ricain : l�effondrement du dollar, donn� par une multitude d��tudes extr�mement s�rieuses et fouill�es comme in�luctable et relativement � court terme (quelques mois � quelques courtes ann�es) aura des cons�quences plan�taires. Le d�sordre financier �pouvantable qui s�en suivra frappera de plein fouet les �conomies de toutes les nations. L�embellie actuelle des places boursi�res, largement artificielle car en d�connexion compl�te avec l��conomie r�elle, ne peut cacher la faillite en cours, de centaines de banques et organismes financiers (plus de 100 d�j� rien que pour les 9 premiers mois de 2009 aux Etats-Unis), de certains Etats (Californie en t�te de liste, Islande, Irlande, Grande-Bretagne�), et des millions de m�nages tant aux Etats-Unis qu�en Europe et ailleurs. Pourtant, les Etats ont soutenu � bras-le-corps leurs institutions financi�res depuis le d�but de la crise. Malgr� l�injection massive et inou�e de pr�s de 2 400 milliards de dollars par l�Etat am�ricain (gr�ce � la planche � billets) et presque tout autant par les Etats de l�Union europ�enne, la Chine, la Russie, les pays p�troliers du Golfe�, la machine �conomique et son corollaire, la croissance, n�ont toujours pas bonne mine. Beaucoup de sp�cialistes financiers consid�rent que le dollar tombera rapidement � 0,5 euro et moins encore, an�antissant du coup les valeurs am�ricaines ainsi que les r�serves en dollars du monde entier, tout en �tranglant les pays exportateurs (Chine, Japon, Allemagne�). 2) La pr�visible fin du p�trole. Si le monde a encore devant lui quelques d�cennies pour voir s�ass�cher totalement ses puits de p�trole, il est toutefois �tabli que nous sommes d�j� dans l�apr�s-peack oil. D�sormais, il n�est plus possible pour l�industrie p�troli�re d�augmenter sa production. Tout au contraire, elle entame son d�clin d�finitif. Sachant que la croissance �conomique n�cessite, par ailleurs, toujours plus de p�trole d�une ann�e sur l�autre, la demande mondiale d�passera rapidement l�offre en hydrocarbures. Les tensions sur le march� de l��nergie s�exacerberont progressivement jusqu�� devenir insoutenables. Bien qu�officiellement l�Alg�rie r�fute l�horizon limit� � 15-20 ans pour sa propre production, il n�en demeure pas moins que la production mondiale en hydrocarbures a atteint son pic, selon des �tudes r�centes, entre 2005 et 2008. D�ailleurs, l�explosion du prix du p�trole durant le dernier semestre 2007 et le premier semestre de 2008, culminant � pr�s de 150 USD en juillet, est in fine due � ce passage d�licat o� la moiti� des r�serves en hydrocarbures dans le monde a �t� consomm�e. L��re du p�trole � bon march� est d�finitivement close. Et si les prix du baril se sont affaiss�s fin 2008 en �cho � la crise financi�re et �conomique mondiale, ils repartiront de plus bel d�s les premiers fr�missements d�une reprise �conomique mondiale (essentiellement des pays �mergents, Chine, Inde, Br�sil�) mais qui se heurtera � nouveau au rench�rissement du march� p�trolier qui suivra. Nous le voyons bien actuellement, malgr� la timidit� de la reprise � si reprise il y a �, le prix du baril reprend du poil de la b�te (� plus de 80 dollars fin octobre). A partir de ce moment l�, les pr�visions sont encore h�sitantes. Y aurat- il malgr� tout, une reprise �conomique significative, suivie d�un nouveau choc des prix, puis en contrecoup une nouvelle r�cession avec baisse des prix pour cause de recul de consommation, puis de nouveau reprise� ainsi de suite avec des oscillations sur une courbe dont la pente serait descendante ? Ou alors y aura-t-il d�embl�e une r�cession d�finitive, longue et chaotique menant le monde vers la d�croissance d�finitive ? Peu importe le sc�nario exact, le fait est que le monde entre dans une nouvelle phase d�un reflux g�n�ral qui engendrera des tensions et des conflits multiples. Les cons�quences sont loin d��tre ma�tris�es. Les besoins �nerg�tiques mondiaux des prochaines d�cennies ne pourront plus �tre combl�s par les seuls hydrocarbures, p�trole et gaz, ni par les autres sources d��nergies fossiles tel que le charbon ou les schistes bitumineux. Ni l��nergie nucl�aire, ni les autres �nergies alternatives ne sont en mesure aujourd�hui de remplacer le p�trole ni � terme. En particulier, le secteur des transports sur lequel est construite la mondialisation en d�pend � 95 % et le rench�rissement in�vitable et continu du prix du baril paralysera progressivement tout le syst�me. Les compagnies a�riennes commencent � souffrir s�rieusement du co�t du k�ros�ne et des pertes colossales s�accumulent (4,5 milliards de dollars au premier semestre 2009 pour les compagnies a�riennes am�ricaines). Peu � peu, le transport a�rien se r�tractera pour devenir un mode de transport tr�s restreint et s�lectif. Par ailleurs, le parc de voiture �valu� � pr�s d�un milliard d�unit�s dans le monde qui fonctionne aux carburants d�riv�s des hydrocarbures est tout simplement non adaptable tel quel � la nouvelle r�alit�. Ni les moyens industriels, ni la disponibilit� des mati�res premi�res, ni la finance d�j� tr�s affaiblie, ni la ma�trise des technologies employant les �nergies alternatives ne permettront un tel r�ajustement, c'est-�-dire un remplacement g�n�ral du parc automobile en temps voulu. D�s lors, le co�t prohibitif des d�placements et des transports de marchandises donnera le coup fatal � la politique de d�localisation des industries et par cons�quent � la mondialisation telle qu�elle a �t� con�ue jusqu�� maintenant. 3) Enfin, les changements climatiques, d�sormais admis par la communaut� mondiale comme �tant l�un des principaux dangers qui guettent de vastes zones de la plan�te et donc une bonne partie des humains, poseront de lourds d�fis. La baisse de la pluviom�trie et le manque d�eau subs�quent dans la r�gion du Maghreb mettra en difficult� nos propres ressources agricoles sans parler des d�stabilisations de nombreux pays du Sahel et d�Afrique d�j� assoiff�s avec des mouvements migratoires massifs des populations vers le Nord.
Un monde diff�rent et risqu�
Ces trois contraintes combin�es (effondrement du syst�me mon�taire international li� au dollar, la fin du p�trole, les changements climatiques) vont entra�ner des bouleversements � l��chelle plan�taire. D�j�, les conflits au Proche et au Moyen- Orient en sont les premi�res manifestations. La zone du sahel, au Sud des r�serves gazi�res alg�riennes, donne d�inqui�tants signes d�alarme. Le monde est dans une sourde mais r�elle guerre pour les ressources naturelles. Les mastodontes que sont les Etats-Unis, la Chine, l�Inde et la Russie, agissent souvent en sousmain. Des turbulences importantes sont en voie de constitution l� o� des r�serves d�hydrocarbures existent : autour de la mer Caspienne, au Moyen- Orient, en Afrique. Les terres fertiles seront �galement au centre d�enjeux strat�giques. La Chine mais aussi les pays du Golfe ach�tent d�immenses surfaces agricoles aux pays pauvres, en Afrique et en Asie. Comment dans ces conditions, l�Alg�rie affrontera ces d�fis mondiaux ? Quelle est notre s�curit� strat�gique concernant nos r�serves de p�trole (faibles) et surtout de gaz ? Quelles sont nos garanties d�int�grit� alors que les grands de ce monde lorgnent d�une fa�on ou d�une autre les richesses pr�cieuses et pour ainsi dire vitales autant pour nous que pour elles ? Face � ces bouleversements mondiaux, comment le pays se comportera- t-il ? Aura-t-il les moyens de s�inscrire dans une nouvelle vision mondiale qui lui assurera sa s�curit� et sa stabilit� ? Pourra-t-il rem�dier � ses propre carences internes en vue de se d�ployer face � l�ext�rieur ? C�est l� que la volont� de la nation doit intervenir. Comme en 1954, le peuple devra �tre interpell�, mis au courant de ses affaires, pr�par� � affronter les dures r�alit�s. L�avenir passe par le pr�sent. C�est d�s maintenant que les pouvoirs publics doivent engager le pays vers son adaptation aux futures conditions de vie des nations. La domination des Etats-Unis n�est plus maintenant que relative et l�unilat�ralisme est mort et enterr�. L�Alg�rie doit r��valuer ses int�r�ts dans la nouvelle perspective mondiale, dans un cadre de coop�ration et de prise en compte des vrais int�r�ts mutuels avec des partenaires fiables.
Que doit faire l�Alg�rie ?

L�Alg�rie, qui d�clare poss�der 144 milliards de dollars en bons du tr�sor am�ricain serait bien inspir�e de les convertir imm�diatement (si ce n�est d�j� trop tard) en or et rapatrier physiquement le m�tal en Alg�rie. Le papier-or n�est quant � lui d�sormais plus cr�dible, les banques occidentales auraient vendu virtuellement jusqu�� 20 et m�me 35 fois l�or physique qu�elles d�tenaient ! Le cas �ch�ant, une partie de ces avoirs devrait �tre transform�e en certaines mati�res premi�res nobles, en autres devises ou m�me en droits de tirage sp�ciaux (DTS). Par ailleurs, il faut lever le pied sur le rythme d�exploitation de nos hydrocarbures. Mieux vaut avoir notre or noir dans notre sous-sol qu��chang� contre du papier vert vou� � la d�valorisation ! La pression sur nos gouvernants sera vive et la tentation forte de vendre le maximum de p�trole. C�est que les prix conna�tront des pics bien hauts et l�argent pourrait couler � flots. L�Etat alg�rien doit pr�server ces richesses temporaires et tant convoit�es et en aucun cas les gaspiller au profit d�une seule g�n�ration pour ne pas dire au profit d�une caste. Les grands pays, assoiff�s de p�trole, utiliseront tous les moyens de contrainte pour faire pomper toute trace d�hydrocarbures du sous-sol. La diplomatie alg�rienne aura fort � faire. D�autre part, le gouvernement doit entamer une politique nationale en faveur de la production de biens de consommation courante en Alg�rie. Notre adh�sion � l�OMC devient probl�matique au regard des �volutions et risquerait m�me de devenir n�faste dans le contexte � venir. Une politique de protection de nos industries et entreprises doit �tre entam�e sans complexes, utilisant autant les barri�res douani�res que les cr�dits � l�investissement ou � la consommation orient�s vers la production nationale. Il faudrait revenir aux n�gociations bilat�rales et s�engager prudemment dans les accords multilat�raux. A l�int�rieur de nos fronti�res, il faudra, par contre, orienter les capitaux vers l�investissement productif et compatible avec le d�veloppement durable. En m�me temps, il nous faudra prendre des mesures drastiques mais transparentes contre les importations inutiles ou qui concurrencent nos producteurs. En un mot, il faudrait inverser la politique appliqu�e depuis trop longtemps qui bloquait la production nationale par des lois anti-lib�rales et bureaucratiques tout en ouvrant le march� aux importations des biens et services. Enfin, l�am�nagement du territoire, avec un red�ploiement incitatif des populations sur de vastes zones dans le pays profond devrait venir en soutien � une politique d�investissement d�envergure dans l�agriculture et l�hydraulique pour pr�parer le pays � affronter les p�nuries alimentaires qui s�annoncent � l�horizon et pour une meilleure s�curit� du pays. Mais, bien avant tout cela, le consensus politique devra �tre reconstruit. Le retour de l�Etat de droit et la mise en place d�un processus de d�mocratisation, sinc�re, r�aliste et fiable en seront les conditions sine qua non.
S. D.

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