Chronique du jour : A FONDS PERDUS
Staline-Gorbatchev, m�me combat ?
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


Le socialisme sovi�tique a-t-il mis volontairement fin � ses jours. L�id�e fait son bout de chemin. Revenant sur les principaux �crits relatifs � la chute du mur et la fin de l�empire, Foreign Affairs fait une compilation bibliographique qui accorde une place particuli�re au best-seller pr�monitoire du g�n�ral britannique � la retraite, John Hackett, The Third World War, �crit en 1978.

Sa guerre troisi�me guerre mondiale commence en 1985, en ex-Yougoslavie, l� o� la premi�re guerre avait justement d�marr� en 1914. Les analogies avec la Premi�re Guerre mondiale, la d�composition des empires et des armadas militaires, � la fin des ann�es 1970, co�ncident avec l�impasse dans laquelle se trouve l'interventionnisme sovi�tique, combin�e � une gouvernance aussi tentaculaire que militaire et arbitraire, associ�e � un vieillissement de la classe politique. La Tch�coslovaquie a renonc� au socialisme bureaucratique par une �r�volution de velours� et le Mur de Berlin a �t� abattu lorsqu�un garde-fronti�re a ouvert les vannes par inadvertance. Le reste suivit comme un jeu de dominos. A la fin de 1991, l'empire sovi�tique est d�sint�gr� mais les anciens acteurs �taient d�sorient�s par : sans script pr�alablement �crit, ils ne savaient pas quelle partition jouer. Le socialisme nous a quitt�s sans effusion de sang. De nouvelles fronti�res et de nouveaux Etats ont �t� �galement redessin�s sans guerre pr�alable. Deux d�cennies plus tard, ces �v�nements paraissent plus flous que jamais. Dans la m�moire historique des vainqueurs, 1989 est devenue �l'ann�e tot�mique� d�une r�volte populaire. Une nouvelle fourn�e de livres tente maintenant de d�baller cette histoire �pique. Etait-ce vraiment une r�volte d'en bas, ou provenait-elle de plus haut, comme une sorte de �guerre civile au sein de l'�lite communiste� ? La r�ponse la plus �vidente est : les deux. Une autre r�f�rence est d�clar�e digne d��tre retenue : Managerial Revolution, de James Burnham, qui, d�s 1941, fait valoir que les id�ologies comme le socialisme ou le fascisme �taient juste des masques port�s par de nouveaux types �d�Etats gestionnaires� qui confient � une �lite technocratique la direction de leurs ressources et de leurs industries. Il y a chez Burnham � que George Orwell d�crit comme un �socialiste d�mocratique� � une telle fascination du pouvoir et de la force que son �r�alisme � lui sugg�re d�admettre que le m�chant loup du communisme reste toutefois une grande r�alisation. Orwell, l�auteur de 1984, caresse, lui aussi, le r�ve d�une �communaut� o� les gens sont relativement libres et heureux, et dont le motif principal dans la vie n'est pas la poursuite de l'argent ou du pouvoir�. Une sorte de �socialisme d�mocratique�. Pour lui, en 1947, la recette consiste � �viter la guerre assez longtemps pour raboter ou �attendrir� les gouvernements communistes ; absorber leur potentiel destructeur en attendant de trouver une alternative cr�dible au communisme. L�histoire lui donnera raison. D�s le d�but des ann�es 1980, leur dynamisme r�volutionnaire pass�, les dirigeants communistes se sont mus en une �lite de gestion paternaliste. Avec The Red Flag ( le Drapeau rouge), David Priestland a certainement livr�, � la fois la meilleure et la plus accessible histoire du communisme. Priestland retrace l'�volution du marxisme d�un �romantisme� qui, une fois au pouvoir, se transforme en deux variantes, l�une �moderniste� l�autre �radicale �. Dans cette perspective, le tournant de la derni�re guerre froide est moins une histoire de 1989 qu�une histoire de la p�riode 1978- 1982. Quoique divis�s apr�s la mort de Mao entre des visions contradictoires du d�veloppement national, les Chinois ont fait un choix crucial en 1978. Ils ont rejet� le mod�le sovi�tique, optant plut�t pour le march� et une r�forme �conomique orient�e, c�est-�dire sans r�forme politique. L'�conomie mondialis�e d'aujourd'hui a �t� fa�onn�e au cours de ces ann�es, et les Am�ricains y ont jou� un r�le important, avec le travail colossal de George Shultz, visant � lib�raliser les march�s des capitaux et de coordonner les strat�gies mon�taires, Les Europ�ens ont �galement jou� un r�le crucial dans cette r�invention du capitalisme, tout en gagnant des �lecteurs qui tenaient � l'ordre public r�tabli. L'id�al europ�en de la d�mocratie et du pluralisme est devenu une sorte de p�le d'attraction pour Mikhail Gorbatchev luim�me � comme il l'a �t� pour les communistes italiens et espagnols et les socialistes. Dans There Is No Freedom Without Bread ! Constantine Pleshakov, un �migr� russe qui enseigne aujoud�hui � Mount Holyoke College, se concentre sur des personnages importants, tels que le pape Jean-Paul II, et la mani�re dont ils voient le monde, avec un �il tr�s vif pour les croisements entre les barons communistes, les pr�lats catholiques et les intellectuels de Solidanosc. Stephen Kotkin, l�auteur de Uncivil Society, partage avec Pleshakov l'avis que la vraie histoire de 1989 est venue d�une scission fatale au sein de l'�lite dirigeante, d�o� le titre de son ouvrage : Une Soci�t� incivile. Vers le milieu des ann�es 1980, le socialisme avait clairement perdu de son attrait id�ologique, tant en Asie qu�en Europe. Archie Brown, l'un des plus grands kremlinologues vivants, auteur de The Rise and Fall of Communism, s'est int�ress� � Gorbatchev longtemps avant que les gens n�entendent parler de lui. Gorbatchev a �t� un jeune communiste exemplaire, soigneusement pr�par� � ses hautes fonctions et choisi par Iouri Andropov, alors chef du KGB. L'empire sovi�tique ne s�est pas effondr� de l�ext�rieur. Il a implos� de l'int�rieur, en commen�ant par la t�te. �Dans les moments cruciaux de la crise supr�me de 1989 et 1990, les choix critiques ont �t� effectivement faits en faveur de la paix, en faveur du changement non violent. Mais ces choix ont �t� faits par des hommes � peine sortis de l'adolescence pour �tre des dirigeants communistes exemplaires. Le suicide �tait � l'Est, pas en Occident. Et le suicide n'�tait pas un acte d�autodestruction. Il �tait, pour eux, un acte de cr�ation�(*). ` Une sorte de retour aux sources, de revanche des louveteaux, qu�un romancier russe, Alexandre Terekhov, restitue avec brio dans une �uvre litt�raire majeure Kamenny Most (le Pont Kamenny) dont nous attendons avec impatience la traduction et qui est c�l�br�e comme une �uvre majeure de la litt�rature russe contemporaine. Le roman relate une histoire r�elle, celle des rejetons de la nomenklatura sovi�tique � tous issus de l��cole Belinski, un �tablissement de prestige qui leur �tait r�serv� � et qui, en pleine �grande guerre patriotique� contre l�ennemi nazi, en 1943, mettent sur pied une organisation secr�te carr�ment calqu�e sur le mod�le hitl�rien, au nom de IVe Empire. - �Ce ne sont que des louveteaux�, avait r�agi Staline en apprenant l�existence de l�organisation dont le dossier d�instruction comporte pas moins de quatre volumes sans qu�aucun pr�venu n�ait �t� un jour inqui�t�. Le critique du roman(**) souligne que cette histoire d�voile plut�t notre �poque actuelle car son auteur, Terekhov �vise surtout � montrer que l�id�ologie sovi�tique a commenc� � se fissurer d�s 1943�. �A 15 ans, ces adolescents privil�gi�s mais priv�s de perspectives avaient d�j� compris que leurs meilleures ann�es �taient derri�re eux. Ils avaient d�j� conscience que le r�gime ne leur offrirait pas la possibilit� d�obtenir l�h�ritage de leurs p�res, hauts fonctionnaires sovi�tiques. Ils allaient finir simples �tudiants, pauvres ing�nieurs : un fils de commissaire du peuple ne pouvait devenir commissaire du peuple � son tour. Ils en avaient conclu que seule une id�ologie nouvelle leur permettrait d�assurer leur avenir�, est-il relev� avec pertinence. Un peu plus loin, le critique russe livre �l�objet du d�lit� (beit al kassid) � ou de plus grave � en des termes in�dits : �C�est le m�me ph�nom�ne qui aurait �t� � l�origine de la perestro�ka : les enfants de l��lite avaient tout, mais il leur fallait pouvoir conserver l�galement ces immenses patrimoines. Ainsi, les antisovi�tiques les plus virulents se sont toujours trouv�s parmi les rejetons des repr�sentants les plus haut plac�s du r�gime sovi�tique.� Tahar Benba�b�che devrait m�diter cet enseignement.
A. B.

(*) Philip D. Zelikow, The Suicide of the East ? 1989 and the Fall of Communism, Foreign Affairs , November/December 2009
(**) Courrier international, n�993, du 12 au 18 novembre 2009, page 57.

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