Contribution : Djamel Mahiouz et le monde merveilleux des abeilles
Par A. Nedjar


Il est des destins qui s�apparentent � ces indomptables fleuves houleux ou en furie alors que d�autres, plus sereins, se conjuguent discr�tement en conduisant les leurs comme les flots paisibles d�une rivi�re ou d�un ruisseau qui, sans grands bruits, nous apportent la fra�cheur, la joie et le bonheur de vivre. Ainsi la vie de celui que nous allons d�crire n�a rien de ces caract�res tumultueux. Sa vie � lui est plut�t paisible, sobre et m�me effac�e.
Cependant, derri�re cette vitrine � l�apparence presque plate, s�est inscrite une belle histoire d�amour entre un homme et une reine. Cette vie-l� se caract�rise cependant par des attaches et des attraits extraordinaires � la terre et par le serment fait aux anciens que nul ne peut mieux comprendre, sentir, appr�cier, et exprimer autre que celui sur lequel ce destin est venu se greffer. Sommes-nous en pr�sence d�un ali�n� ou d�un illumin� ? Non, il n�est ni l�un ni l�autre. C�est juste un visionnaire, un passionn�, dou� d�une grande capacit� de travail. Il est de ceux qui ont su �garder les pieds sur terre�. Pr�par� et promis comme beaucoup de ses camarades � une autre destin�e, pourquoi avait-il alors rompu avec les perspectives d�une grande carri�re universitaire ou de l�opportunit� de devenir ce grand commis de l�Etat avec tout ce que cela suppose comme responsabilit�s, autorit�, contraintes, avantages et m�me des privil�ges ? Pourquoi avait-il renonc�, lorsque d�autres, plus jeunes, ambitionnaient d�j� d�atteindre ces objectifs ? Nous ne pourrons certainement pas r�pondre avec exactitude. Mais au bout d�une heure d�entretien, souriant comme il le fut jadis, jeune surveillant d�internat au lyc�e, et, au cr�puscule d�une vie de travail et de labeur, nous avons retrouv� en lui un homme heureux ! Oui, un homme heureux de ce qu�il faisait et de ce qu�il fait encore. Il parle sans ambages et sans �quivoque de ce choix heureux. N� au mois de septembre de l�ann�e 1946, Djamel- Eddine Mahiouz, Djamel pour les amis, est aujourd�hui sexag�naire. Laur�at du baccalaur�at en 1967, en 1972, il est licenci� �s sciences �conomiques de la Facult� d�Alger. Il activa m�me quelques mois en tant que cadre dans les services publics de l�Etat mais il se ravisa vite et abandonna l�id�e m�me et la perspective de mener une vie morose, clo�tr� dans des bureaux douillets et feutr�s de l�administration. Il voulait, inconsciemment peut-�tre, une vie plus rude, plus proche de son esprit et de ses origines, moins turbulente dans ces cafouilleuses cit�s impersonnelles qui caract�risent maintenant toutes nos villes. Tr�s jeune, Djamel fut �piqu� ou profond�ment �mordu� par une passion, h�rit�e d�un p�re instituteur de son �tat, qui fut lui-m�me un exploitant agricole �m�rite mais surtout un grand sp�cialiste en apiculture. Djamel ne put r�sister � l�appel et aux chants de la reine des abeilles et de ses cong�n�res pour se consacrer enti�rement � sa passion par la reprise de l�exploitation agricole familiale apr�s le d�c�s de son p�re pour leur en d�dier int�gralement sa propre vie. Ainsi donc, la vie de Djamel et celle de ces derni�res nous parurent se confondre ou presque. Leur bourdonnement continu et leurs circonvolutions n�ont pas de myst�re pour lui. Ces �volutions sont devenues des langages et des significations qu�il per�oit sous la forme de messages expressifs dont il d�tient les clefs de compr�hension. Un jour, si par un pur hasard, vous croisez un grand blond, au style et � l�allure d�un �American Farmer�, chapeau sur la t�te, qui arpente les hautes plaines du sud de S�tif, � ratisser ou � escalader les ubacs et les adrets, ces superbes flancs de montagnes de nos majestueux Babors, ou bien � y errer comme � l�accoutum�e, les yeux vifs, cach�s derri�re des lunettes cercl�es, les cheveux grisonnants, la d�marche d�termin�e, alors dites-vous qu�il ne pourrait s�agir que de notre Djamel Mahiouz. Qui des apiculteurs r�gionaux et m�me nationaux ne conna�t pas Djamel ? Il est de toutes les batailles, de toutes les rencontres, expos et autres s�minaires li�s � la vie des abeilles. A la t�te d�une importante colonie de ruches ou de cheptel d�abeilles, comme il se pla�t � les nommer, il n�arr�te pas de les bichonner, de les entretenir et de les soigner avec un amour infini. Il consacre un temps �norme � les d�placer � la belle saison pour leur permettre de se d�lecter des meilleurs nectars et pollens. Il nous parle ainsi de ce monde fantastique o� le sort m�me de l�humanit� serait intimement li� � celui de l�abeille. Oui, les scientifiques affirment quant � eux, qu�en bonne sentinelle de l�environnement, la fin ou la disparition de cet arthropode signifierait celle toute proche du monde et, par voie de cons�quence, l�extinction et la disparition de l�humanit� ! �Le monde ne survivrait pas plus de dix ans � la disparition des abeilles�, disait le grand Einstein. Durant les ann�es de plomb o� l�exploitation agricole priv�e �tait d�cri�e, voire abandonn�e, Djamel s�effor�a contre vents et mar�es de maintenir et de d�velopper son activit�. Il gagna l�estime, la reconnaissance et la consid�ration de tous ses pairs. Ses clients et consommateurs savent appr�cier les grandes valeurs naturelles de ses produits qu�il cueille dans diff�rents endroits, offrant de surcro�t de grandes propri�t�s th�rapeutiques multiples et vari�es. Ce monde merveilleux des abeilles, nous affirma-t-il, s�articule autour d�une organisation sociale parfaite dans laquelle chacun des sujets est charg� d�un r�le ou d�une mission bien d�termin�e. La reine, les faux bourdons que sont les m�les ainsi que les ouvri�res, plus nombreuses, quarante � cinquante- cinq mille sujets, constituent la population de la ruche. Quelle est la structure de cette organisation ? Avec force d�tails, il nous d�crit tout le processus ing�nieux et complexe de cette activit�. Le regard lointain, port� certainement l�-haut sur les collines, comme pour communier avec ses sujets, il s��merveillait et s�extasiait chaque fois � la description de ces arm�es � l�ouvrage et � la discipline de fer. La colonie, nous dit-il, est tr�s hi�rarchis�e. Elle forme ce qu�on appelle un essaim qui fonctionne comme un cerveau unique o� la reine a un r�le pr�pond�rant. Seul �l�ment fertile, la reine est aussi la m�re de toutes les autres abeilles. Elle se distingue par sa taille morphologique sup�rieure. Les m�les, peu nombreux, quelques centaines � peine, ont pour fonction essentielle de f�conder la reine. L�autre r�le d�volu � cette derni�re consiste aussi � r�guler cette activit� � travers des messages qu�elle lib�re sous la forme de ph�romone et de pondre des milliers, voire des millions d��ufs dans des cavit�s ou alv�oles soigneusement construites et pr�par�es par les ouvri�res. L�extraordinaire r�gularit� de l�architecture et des sch�mas ainsi r�alis�s poussent � d�autres interrogations sur le sens aigu de ces b�tisseuses. Alors que la vie de la reine peut s��taler de cinq � six ans, celle des ouvri�res est plus �ph�m�re puisqu�elles disparaissent dans la saison. Pour les quelques heureux �lus m�les qui arrivent � obtenir les faveurs de la reine, la danse nuptiale en vol pendant l�accouplement se transforme imm�diatement en bal tragique. La mort survient juste apr�s cette f�condation � la suite de la perte d�une partie de leurs organes rest�s fix�s sur l�abdomen de leur partenaire. On affirme aussi que la soci�t� des abeilles est une soci�t� femelle. Les m�les sont expuls�s � la fin de l��t� ou au d�but de l�automne. Les ouvri�res ne veulent pas entamer la provision de miel soigneusement amass�e pour l�hiver par ces bouches devenues des charges inutiles. Djamel nous parla longuement de ce m�tier o� l�abeille est au centre de cette organisation parfaite. Son sens olfactif, ses instincts, son mode d�orientation et de rep�rage, son mode de communication inspireront longtemps encore les chercheurs. La reine vieillissante est �cart�e ou carr�ment �limin�e au profit d�une reine plus jeune, plus vigoureuse, capable d�assurer le maintien et la p�rennit� de l�esp�ce. �Un pour tous et tous pour un�, semble �tre leur devise. La �tellienne�, cette adorable abeille de chez nous, est caract�ristique. C�est une esp�ce docile qui s�est parfaitement acclimat�e et adapt�e � notre environnement et � nos �cosyst�mes. Elle a m�me d�velopp� des facult�s et des capacit�s qui la prot�gent des dangers de certains virus responsables de ravages que vivent d�autres contr�es et pays. Chaque m�daille a son revers : lan�a Djamel en tapant fermement d�une main. Soudain, sa voix si �mielleuse � baissa de ton et son assurance diminua. Les mots se sont mis alors � s�entrechoquer devant son regard bleu qui devint presque invisible. Il nous dit tout son d�pit, sa stupeur, sa grande inqui�tude, son indignation et m�me sa r�volte devant certaines pratiques d�importations clandestines, inconsid�r�es et non contr�l�es � travers nos fronti�res sud-est qui favorisent l�introduction de l�abeille du Nil et son lot de virus �ponymes alors que nous luttons avec acharnement contre la redoutable maladie de la varoise qui frappe depuis de nombreuses ann�es notre cheptel. Pour illustrer davantage ces d�rives, il nous relata ce fait malheureux de la disparition de 26 reines abeilles africaines qui s��chapp�rent lors de diverses manipulations par un g�n�ticien br�silien. Ces abeilles import�es d�Afrique, de l�esp�ce apis mellifera scutellata, appel�es �galement abeilles tueuses pour leur caract�re tr�s agressif, essaiment et se d�veloppent tr�s vite et tentent de coloniser et de conqu�rir les nids et les populations locales. Leurs attaques foudroyantes en nombre ont provoqu� plus d�un millier de piq�res mortelles. Elles constituent la hantise et s�ment la terreur parmi de nombreux fermiers du sud des Etats-Unis d�Am�rique o� elles se sont propag�es et ont prolif�r� � m�me les parcs et jardins apr�s avoir envahi le Mexique. Chez nous, la poursuite des pratiques commerciales r�v�l�es fragilisent le syst�me immunitaire du cheptel local et risqueraient d�induire de graves cons�quences qui aboutiront � terme � la destruction, voire � la disparition totale des essaims d�abeilles. Ces ph�nom�nes v�cus ailleurs constituent la grande inqui�tude des apiculteurs et des sp�cialistes qui peinent � trouver des solutions idoines pour lutter contre ces ph�nom�nes. L�emploi et l�usage inconsid�r� des fertilisants, des insecticides et autres organochlor�s ou phosphor�s pour les besoins de l�agriculture ne repr�sentent pas encore de grands dangers vu leurs faibles �pandages et concentrations mais nul ne doit ignorer que ces pratiques g�n�ratrices certes d�abondance sont autant de dangers pour l�homme que pour toutes sortes d�insectes pollinisateurs o� le butinage de l�abeille est l�activit� essentielle � son alimentation et � sa survie. Avec la saine garantie de son alimentation, l�abeille nous offre ce produit extraordinaire qu�est le miel � c�t� de la gel�e royale, du pollen, de la cire, et de la propolis. Djamel nous aura appris comment vivre mieux avec des choses simples. Aujourd�hui, au rythme affolant o� nous vivons, nous �voquons l�int�r�t de son exp�rience. C�est � se demander ainsi combien de temps devons-nous consacrer � des choses qui ne comptent plus. Pas assez en tout cas pour justifier les peines qu�elles donnent. Se pourrait-il qu�en axant un peu mieux le rythme de nos occupations, nous trouverions peut-�tre � vivre des plaisirs nouveaux ? Djamel les a d�couverts il y a si longtemps. Pour les amateurs, les �leveurs d�abeilles ou simples curieux, M. Mahiouz serait disponible pour vous y initier ou vous conseiller.
A. N.

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