Chronique du jour : A FONDS PERDUS
La fin des Consensus
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


C�est la fin de tous les consensus, avec une remise � plat g�n�rale dans laquelle le Consensus de Washington, acte fondateur du n�olib�ralisme arrogant aux commandes depuis le milieu des ann�es 1980, est rudement mis � mal par la vague des r�gulations, et dans laquelle, aussi, le Consensus de P�kin doit s�rieusement composer avec le respect des droits politiques et sociaux, jusque-l� gravement bafou�s.

L�Organisation de coop�ration et de d�veloppement �conomique (OCDE) vient de rendre publique �Etude �conomique de la Chine 2010�. Cette �tude, publi�e mardi dernier, est la plus grosse sur ce pays depuis cinq ans(*). Plus qu�un examen d�expert ou de cabinet, cette �tude a �t� pr�par�e par le d�partement �conomique de l�OCDE et publi�e sous la responsabilit� de son secr�taire G�n�ral, apr�s avoir �t� revue et valid�e sur la base des d�lib�rations d�un s�minaire sp�cial convoqu� par le Comit� d�examen des situations �conomiques et des probl�mes de d�veloppement, compos� des 30 pays membres de l�Organisation et de la Commission europ�enne. La Chine ne laisse indiff�rents ni partenaires ni adversaires. On le comprend ais�ment : apr�s avoir longtemps �t� � la tra�ne, elle affiche, aujourd�hui, des niveaux de croissance m�prisants pour ses concurrents. En 2009, l��cart de croissance avec les Etats-Unis et l'Europe a atteint un record de 10 %. Elle poss�de d�j�, depuis cette m�me ann�e, le deuxi�me secteur manufacturier au niveau mondial ; elle est aussi devenue le premier exportateur de marchandises. Sa croissance est appel�e � se poursuivre du fait de la disponibilit� de l�investissement, la r�duction tendancielle des activit�s agricoles � faible productivit�, un taux d�urbanisation d�j� proche de 50 % et � ce qui n�est pas suffisamment soulign� � des niveaux de formation en hausse pour soutenir la croissance de la productivit� � l�avenir. Ce n�est que justice, soutiennent les historiens qui rappellent que l'�clipse de la Chine est un ph�nom�ne tr�s r�cent. Selon les estimations de l'historien de l'�conomie Angus Maddison, le produit int�rieur brut (PIB) de la Chine aurait constamment repr�sent� autour du quart de l'�conomie mondiale entre l'an 0 et 1820, avant de plonger brutalement jusqu'au milieu du si�cle dernier. Cette part remonte � grande vitesse depuis les ann�es 1980, tout en restant encore loin de son niveau historique. La nouvelle th�matique �nonc�e par l��tude de l�OCDE, qui n�est pas innocente, fixe deux grandes questions : le march� du travail et les syst�mes de retraite, de sant� et de s�curit� sociale, d�une part, les march�s financiers et la politique mon�taire, d�autre part. Elle rejoint par le premier biais, les reproches faits � ce pays, soup�onn� de d�valuer outre mesure sa monnaie nationale et de pratiquer des restrictions sociales draconiennes � en termes de compression des revenus et des droits syndicaux � pour garantir la comp�titivit� de ses exportations. Des reproches �galement fond�s s�agissant du second biais : un recours �nergique aux leviers mon�taires et budg�taires pour �booster � les avantages comparatifs est enregistr� depuis la fin de 2008, avec des taux d�int�r�ts directeurs et des taux de r�serves obligatoires r�duits, une d�pr�ciation de la monnaie nationale par rapport au dollar, etc. Am�ricains et Europ�ens r�clament sans cesse une r��valuation du yuan, sans jamais l�obtenir. L�impulsion budg�taire est �galement aliment�e par une faible dette publique et un important exc�dent budg�taire qui ont rendu possibles des r�ductions d�imp�ts et favoris� l�introduction d�un programme de relance massif. Sur le premier point, il est attendu de ce pays, promu � un bel avenir �conomique sur le moyen terme, qu�il accorde �une plus grande flexibilit� du taux de changes et un poids plus grand � un objectif d�inflation (qui) faciliterait l�ajustement de la politique mon�taire en fonction des conditions macro�conomiques int�rieures �. La main bien visible de l�administration est, par ailleurs, point�e du doigt : �Le cadre de la politique mon�taire chinoise est peu � peu pass� d�un syst�me administratif planifi� � un r�gime davantage fond� sur le march�, la croissance mon�taire �tant le principal objectif interm�diaire (�) La Banque centrale exerce aujourd�hui un contr�le consid�rable sur les taux d�int�r�ts � court terme du march� interbancaire et une plus grande influence sur les taux � long terme par le biais de la structure des �ch�ances�. Le volet social est l�autre champ d�int�r�t des partenaires occidentaux de la Chine. C�est donc sur sa gauche que ce pays vient d��tre d�bord�. Il est comme pris � son propre jeu� id�ologique � si tant est qu�on puisse admettre qu�il y ait encore de l�id�ologie de nos jours � : la patrie des travailleurs bafoue all�grement leurs droits sociaux et syndicaux ! En effet, le salaire minimum � il n�existe officiellement que depuis 1993 � n'a augment� (pour ceux qui en disposent) dans 253 villes que de 6,5% par an, entre 1995 et 2006, soit 4 points de moins que la moyenne des revenus. Le boom �conomique n'a donc pas vraiment profit� aux bas salaires, m�me si � autre paradoxe chinois � plus du tiers des patrons du secteur priv� sont membres du Parti communiste chinois ! En Chine, les migrants non d�clar�s � �qui repr�sentent probablement plus de 40 % de l�emploi total dans les zones urbaines� ! � sont priv�s d��ducation et de couverture sociale. La rigidit� du march� du travail, avec le syst�me d�enregistrement et les restrictions qu�il implique pour l�acc�s des migrants aux services sociaux sont point�s du doigt par l��tude de l�OCDE. Il est attendu de la Chine qu�elle assure �des taux de remplacement suffisants aux retrait�s�, gr�ce � la prise en charge par l�administration centrale d�une plus grande partie du co�t des retraites, notamment dans les zones rurales, et au rel�vement de l��ge de d�part � la retraite. Dans un pays qui devrait compter plus de 230 millions d'individus de 65 ans et plus en 2030 (contre 86 millions en 2000), les r�gimes de retraite sont tr�s disparates d'une r�gion � l'autre, et la r�forme entreprise en 2005 en zones urbaines a abouti � r�duire les prestations. Il reste �galement beaucoup d�efforts � faire pour parvenir � assurer �des soins de sant� universels, s�rs, abordables et efficaces�. Pour cela, la Chine doit tendre � garantir qu��un plus grand r�le soit accord� aux soins primaires, que les h�pitaux soient g�r�s de fa�on plus efficace, que certains prix relatifs soient modifi�s, que le personnel soit mieux form� et, en fin de compte, que les diff�rents syst�mes d�assurance soient fusionn�s�. Conclusion : en renfor�ant ses d�penses sociales quitte � ce que les investissements publics en infrastructures en reviennent � des niveaux plus normaux, la Chine b�n�ficiera d�un niveau de vie en progression et d�une plus forte coh�sion interne et contribuera � une �conomie mondiale plus harmonieuse. L�OCDE pr�ne ainsi des d�penses gouvernementales accrues, notamment en mati�re sociale, afin de soutenir la demande interne face aux exportations. Le progr�s escompt� est � �ni�me paradoxe � attendu, non d�un monde rural plut�t passif ou r�sign�, mais de la classe moyenne, soit � peine une cinquantaine de millions de personnes sur 1,3 milliard, gr�ce notamment aux effets d�entra�nement des besoins qu�elle exprime en mati�re d'environnement, d'acc�s � l'information, de droits politiques, etc.
A. B.

(*) OCDE, Etude �conomique de la Chine 2010, f�vrier 2010. Pour les lecteurs int�ress�s, le document de synth�se, en fran�ais, et le rapport complet, en anglais, sont disponibles sur le site officiel de l�organisation.

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