Chronique du jour : CHRONIQUE D�UN TERRIEN
La grande harba (XXX)
Par Ma�mar FARAH
farahmaamar@yahoo.fr


Direction : Ba�nem� Ce mot magique r�veilla en moi des souvenirs que j�avais longtemps enfouis au fin fond de ma m�moire et qui explos�rent soudainement sous le ciel ind�cis de la Pointe-Pescade. O� �taient les petits bistrots de ma jeunesse quand dans une esp�ce de rite, nous venions du centre-ville vers ces rivages gorg�s de soleil et de bonne humeur pour vivre intens�ment quelques moments de bonheur ?

Personne n�avait de bagnole mais ces taxis vert et jaune, qui illuminaient les art�res de la cit� de leur couleur d�esp�rance, nous larguaient � toute heure vers toutes les destinations. Pour quelques sous� Je m�oubliais dans cette descente qui longeait la fabrique de ciment et je revoyais les petites maisons aux tuiles saupoudr�es de gris et, derri�re elles, le spectacle infini de la mer �talant ses charmes sans pudeur� J�entendis presque Dahmane El Harrachi chanter ses deux colombes au regard perdu dans les profondeurs bleues. Je ne savais pas pourquoi, mais tout � l�heure, en quittant Bologhine et en longeant la corniche, il m�avait sembl� que ces deux colombes avaient habit� Padovani. Il y avait, l�-bas, une maison aux allures de palais, faite sur mesure pour elles. Des larmes s��chapp�rent du plus profond de mon �tre. O� �tes-vous, camarades de jeunesse, compagnons de nos errances vers ces rivages lumineux. Il n�y avait pas d�autoroutes et on ne mettait pas plus d�une demi-heure entre la Grande-Poste et Ba�nem� Mon Dieu, o� est ma ville alti�re et sereine, ouverte sur la grande bleue, berc�e par les po�mes de Momo ? O� est la joie de vivre ? O� sont les fanfares et les d�fil�s du 1er Novembre ? O� sont les promesses ? Le buveur de Jack Daniel�s me rendit la pareille. Il pleurait comme j�ai pleur� � Saint-Eug�ne. Meriem me rendit la pareille. Elle pleurait comme j�ai pleur� pour sa fille. Comme j�ai pleur� pour le peuple alg�rien qui avait retrouv� la parole mais qui fuyait comme un brigand, � travers for�ts et chemins secondaires� Pleurons parce qu�il ne nous reste que les larmes. Il restera aussi ce que nul ne pourra nous enlever : notre amour extravagant pour ces terres. Etaient-ils vraiment heureux ceux qui avaient achet� les palaces am�ricains avec l�argent du peuple ? Ils se ruaient sur les biens mat�riels comme les gosses de Oued S�mar tombent sur les d�tritus des Chinois, l� bas dans une d�charge publique supprim�e jadis mais qui avait repouss� devant l�accroissement notable de la population. Les voleurs, les corrompus, les d�trousseurs de biens publics, aimaient-ils cette terre comme nous l�aimions ? Il me semblait parfois qu�ils n��taient l� que pour accumuler les richesses et, une fois qu�ils ne seront plus en poste, ils quitteraient nos terres� Mais pourquoi donc, continuais-je � dire �nos� terres ? J��tais un �tranger comme le pied-noir. Mon pays �tait la Sard�lie. Mais, h�las, je n��prouvais pour cette �le qu�un sentiment de royale indiff�rence. Ces rivages qui ont accueilli mon peuple ne seront jamais �nos� terres. Nous y avons plant� nos tentes pour une parenth�se qui sera ferm�e le jour o� les rapaces s�en iront. Voil� Ba�nem� C�est une grande ville. Jadis, ce n��tait qu�une halte romantique sur le chemin des plages, une escale pour s�en mettre du Dahmane plein les oreilles avant d�aller voir si Sidi Fredj avait toujours les charmes chant�s par Guerrouabi. Mais Ba�nem, c��tait aussi l�immense for�t qui roulait des �paules l�-haut. On y allait par le Puits des Zouaves en passant par l�envo�tante auberge de Bouzid� J�avais envie de faire un d�tour par le �tir aux pigeons�, mais mes compagnons n�auraient rien compris � l�importance que j�attacherais immanquablement aux chim�res, ces murs droits mais vides, �cras�s par le poids des ans et battus par la houle des souvenirs. Peut�tre y retrouverai-je l�Inspecteur Tahar dans sa tenue de tous les jours, fi�rement debout derri�re le comptoir de son �tablissement, nous racontant blague sur blague sous la musique de ce vieux Tunisien qui ne quittait jamais sa douce compagne, une mandoline ravag�e par l��ge� Bousculade des sensations dans le tourbillon sans fin du temps qui passe� Nuits blanches aux ailes de lumi�re d�ploy�es sur les rivages fouett�s par les vents de l�hiver. La mer hurlait et nous chantions pour lui faire oublier sa col�re. Petits matins de d�parts. La DS noire quittait l�art�re de caillasse dans un crissement sans fin. Les potes d�El Harrach �taient partis. Il faisait jour. Poches vides et retour par bus� On avait presque honte de c�toyer ceux qui se levaient t�t pour aller au boulot� L�-bas, dans une crique pareille aux autres, une maison blanche ouverte sur le large. C��tait Issyakhem et son sourire moqueur� Issyakhem dessinait nos billets de banque et il �tait souvent fauch�, en compagnie d�un autre grand fauch�, Kateb Yacine ! Nous les rencontrions parfois dans des caf�s sans �toile, rue Abane- Ramdane ou pr�s de Cavaignac. C��tait l�Alg�rie o� l�on c�toyait, sans le savoir, des g�nies. Ils couraient les rues l� o�, aujourd�hui, ne courent que des Chinois affair�s, des trabendistes venus de tr�s loin� Et la route qui se poursuivait vers l�immense carri�re de soleil, l� o� se fabriquait la lumi�re authentique, loin des minables ateliers de la contrefa�on. L� o� mourait l�obscurit�, sans tapage, ni pleurs. Presque en s�offrant � l��clat du jour, comme s�offrirait une amoureuse � son amant� C��tait quelque chose d�ind�finissable, quelque chose qui tombait du ciel comme une cascade �blouissante �veillant et le corps et l�esprit ; elle r�veillait aussi le g�nie de la mer qui se mettait alors � composer ses plus beaux tableaux. Ecailles de lumi�res sur son corps frileux, pullulement d��tincelles dansantes, excit�es par le vent du large� Extraordinaire sensation de bonheur et moment d�extase � nul autre pareil� Revoil� la Madrague et ses nonchalantes barques somnolant sous la brise de midi, � l�heure o� les sardines grillaient dans les cuisines� Meriem ouvrit grands ses yeux. Elle n�avait jamais vu un thon aussi grand. A qui appartenait-il ? A l�Alg�rie ? Aux Chinois ? Aux Turcs. Je me souvenais d�un temps o� les Turcs ne faisaient pas la loi dans le secteur de la p�che. C��tait l��poque o� un parti � unique � avait plus de moralit� et de rigueur que ces formations de pacotille produisant des milliardaires � la cha�ne� Tu mangeras du thon, Meriem. J�avais presque gard� mes devises intactes. Un grand restaurant nous ouvrit ses portes. Le soleil s�y �tait invit� avant nous. Nappes blanches bord�es de rayons insolents. Meriem riait et cela faisait plaisir au buveur de Jack Daniel�s. Lui, voulait des crevettes royales en sauce proven�ale. On lui servit des horreurs au soja o� nageaient quelques chevrettes et le thon de Meriem avait le go�t du savon ! Ma soupe de p�cheur sentait le Camembert fait� Pour retrouver les bonnes recettes au poisson, il fallait retourner en Sard�lie� Sidi Fredj n��tait pas loin. Promenade tranquille sur la jet�e. Les yeux de Meriem se perdaient dans les tours gigantesques qui narguaient les nuages de l�autre c�t� de la baie. Ils en avaient fait leur grandiose r�alisation ! Des gratte-ciels � Alger, une immense haie de b�ton et de verre, moche comme tout, s��talant sur plusieurs kilom�tres. �C�est le nouveau Shanga�, avait dit M. Son Atrach, maire de la localit� Jadis, en longeant la c�te par bateau, on pouvait voir, tout au long du rivage, la verdure cavaler comme une fille berb�re v�tue des couleurs chatoyantes de Kabylie ou des Aur�s, le visage illumin� par un large sourire� Maintenant, ils avaient ligot� la verdure, avant de la l�cher sans retenue dans quelques parcs o� elle s�ennuyait � regarder tourner les grandes roues et les m�nages sans g�nie. Parfois, ils la tuaient carr�ment et la faisaient remplacer par un tartan de sixi�me g�n�ration� Et les petits chinois n�s ici pensaient que ce bout de plastique �tait du vrai gazon� Meriem, je ne sais plus si tu vivras longtemps pour voir les pourris quitter ces rivages et le peuple revenir ici� Peut-�tre que ta fille vivra ce grand moment. Elle verra la nature reprendre ses droits et les fleurs repousser dans des champs de l�Alg�rie �ternelle� Viens, maintenant, continuons notre route, vers T�n�s. Nous finirons par les trouver ces Alg�riens accus�s de HSI (Harga en sens inverse) qui ne veulent plus rester loin de leur pays. Pourquoi suis-je parti, Meriem ? Mon c�ur s�arr�te de battre d�s que je mets un pied en dehors de la g�ographie alg�rienne� S�ils devaient m�emprisonner parce que je suis Sard�le, j�accepterai avec plaisir puisque je continuerai � humer tes odeurs, mon Alg�rie, � marcher sur ton sol, � me saouler de ton soleil� Je resterai ici, Meriem, je voterai pour toi, ou pour ta fille�
A suivre M. F.

PS : Ouf, heureusement qu�il n�y a jamais eu de �grande harba�. C�est une simple fiction. Je suis bien en Alg�rie. Chez moi, en Berb�rie. Je sens le sel de la mer et je vois la M�diterran�e de mon balcon.
Derri�re moi, la neige fond aux cimes de la montagne majestueuse. Merci, mon pays, de me donner tant de bonheur� Un salut fraternel � tous ceux qui, de loin, ont les yeux et le c�ur tourn�s vers leur pays.
Prions et agissons pour que tout s�arrange ici afin qu�ils puissent revenir et retrouver leur v�ritable rang, dans le respect et la dignit� ! Nous nous battons chaque jour�

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