Vox populi : HUMEUR DE KHENCHELA
LA MAÎTRESSE D’ÉCOLE ET LE MAGE


En ce 8 Mars, une maîtresse d’école était chez elle, triste et songeuse, car que faire dans un gîte à moins que l’on y songe. Elle vit apparaître au-dessus de sa tête une lumière blanche. Un mage, tout de vert vêtu, soudainement en sortit et, doucement, lui dit : «Pourquoi êtes-vous si triste en ce jour de fête ? Toutes les femmes sont dehors, jeunes et moins jeunes, à s’amuser et à jouir de ces moments de liesse.
Qu’est-ce qui vous arrête ? Ah ! Je vois, vous êtes à la retraite. Alors, pour bien vous remettre les idées en tête, je suis porteur d’un message, puisque c’est le rôle du mage : vous avez travaillé durement toute votre vie, humble, infatigable et asservie. Pour tout cela, vous allez être récompensée, vous êtes aujourd’hui une miraculée, faites trois vœux et avec l’aide de Dieu, ils seront exaucés.» Tremblante comme une feuille, la maîtresse dit : «Mon premier vœu est d’assister à une fête du 8 Mars, être honorée à ma juste valeur, avoir l’occasion de parler sans demander de faveur, dire que, sans l’école, je m’ennuie et que j’aimerais encore y être aujourd’hui. Mon second vœu est que les Algériens cessent de faire du football une question de vie ou de mort, de dignité et d’honneur. Il y a d’autres priorités sur terre : le chômage et le mal de vivre des jeunes, les grèves des enseignants qui deviennent périodiques, les élèves en congé sabbatique, la corruption et les détournements des deniers publics. Mon troisième vœu, qui tient peut-être de l’utopie, est de rencontrer le Président. Je lui dirai que je suis une enfant de la guerre ; que j’ai l’âge de sang et de fer, que depuis longtemps, j’ai appris à me taire ; je lui dirai que je suis partie à la retraite sans avoir eu le temps de faire ce que j’avais en tête, c’est-à-dire réaliser mes rêves et ceux des miens. Lui conter mon désarroi devant le manque d’équité dont souffrent les jeunes et toutes leurs difficultés, lui souffler à l’oreille qu’au moment où certains ont déjà fait un bout de chemin, d’autres à l’âge adulte et moins nantis sont appelés à accomplir leur devoir de citoyen.» Le mage, perplexe et pensif, toussota, hocha la tête et hésita puis, calmement, parla : «Ecoutez, mon enfant, pour le premier vœu, c’est impossible car vous êtes dans le lot des oubliées, les jeunes femmes cadres ont eu la priorité, d’ailleurs vous les avez vues de cadeaux les bras chargés, elles ont toutes de grands actes accompli : l’une d’elles a cousu une bavette, une autre sur les ondes de la radio locale donne des recettes, cette autre dans sa salle de sport a appris des mouvements aux femmes enceintes, certaines ont organisé la fête, et il y a même une directrice qui avait mis à la porte du collège les profs venus travailler, vous avez vu cela sur Internet. Pour le second vœu, le foot est désormais l’opium du peuple, le grand leurre, sans ça le pot aux roses serait découvert, alors adieu veaux, vaches et pot de beurre. Quant au troisième vœu, j’en parlerai au Président ; lui au moins, et je le sais bien, a des sentiments humains. Il saura vous écouter ; il sait ce que c’est que de vieillir dans un métier, voir les jours s’en aller et la force doucement vous abandonner, l’ingratitude et la solitude lui ont rendu la vie bien rude, il vous recevra, c’est promis.» Sur ce, la lumière blanche disparut, la maîtresse essaya de se raisonner : «Mon Dieu, j’ai dû dormir debout !»
Mme B. L., Khenchela



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