Culture : AU TEMPS POUR MOI, DE BENABDALLAH M�DI�NE
Un nomade en qu�te de d�sert


On ne saura jamais finalement si ce voyage au bout de l'ennui aura un commencement, et une fin. Car, avec un billet en poche, le h�ros nous offre son ultime pirouette...
Par Ahmed Halli
Comment sympathiser avec un quadrag�naire dot� d'une �pouse, belle et charmante de surcro�t (ce qui n'est pas un avantage universel), et qui fuit un bonheur certain pour courir apr�s un mirage ? Pos�e ainsi, la question ne peut susciter qu'une r�ponse n�gative. Surtout quand on sait que notre �quadra� est un Alg�rien vivant en France, que sa femme est alg�rienne, et que �l'autre� est une fran�aise, tendance �pr�f�rence nationale�. Ce gars-l� devrait susciter chez vous une antipathie instinctive, pour peu que vous ne lisiez pas jusqu'au bout Au temps pour moi(1). Je pr�f�re vous pr�venir tout de suite, en effet : si vous �tes pour la fid�lit� conjugale monogame, ne lisez pas le roman de Benabdallah M�di�ne. Ou plut�t, abandonnez d�s les premiers chapitres, sinon vous vous surprendrez � adorer, ce que vous avez eu toujours envie de br�ler. Vous aimerez cette histoire d'amour adult�re qui, quoi qu'on dise, n'est pas l'apanage des soci�t�s occidentales dites d�prav�es. Et pourtant, tout commence tr�s mal pour le m�le en rupture de tani�re, Nasser, et l'�ternelle proie, Catherine, biche solitaire, mais avec des griffes ac�r�es. C'est chez Michel, l'ami des soir�es embrum�es, o� l'on se recr�e le monde, que Nasser se heurte donc, pour la premi�re fois, � Catherine. Elle a des id�es pr�con�ues sur l'Alg�rie et les Alg�riens, des id�es pr�cises sur les hommes, en g�n�ral, et sur les hommes alg�riens, en particulier. Les deux id�es ne sont pas forc�ment justes, ni compl�mentaires, mais elle fait avec. Face � Nasser, Catherine r�agit comme une Fran�aise de droite, et de province, qui pense qu'elle n'est pas mont�e � Paris, pour faire amieami avec des �migr�s. Elle y va donc de ses petites phrases assassines, et c'est Nasser qui trinque, lorsqu'elle l�ve son verre : �Messieurs, � la France, terre d'asile et... d'assistanat aux parasites de la terre enti�re, y compris ceux qui hier encore nous devaient la civilisation�. De telles attaques, sans tirs de sommation, vous renvoient au d�barquement de Sidi-Ferruch, � La Tafna, et � la mise � sac d'Alger, la premi�re, celle qu'on peut raconter. Le �brave soldat de l'Emir� est sonn�, les ergots ne r�pondent plus, mais il tient fi�rement sur ses ar�ons : �Madame, si l'Histoire avait �t� autre, mon peuple et beaucoup d'autres auraient �t� extermin�s. Et vous, Madame, apr�s une jeunesse de femme de chambre dans une famille fasciste, subissant le droit de cuissage du ma�tre de maison, vous seriez aujourd'hui rel�gu�e � un subalterne et inutile emploi�. Une r�plique qui cadre tout � fait avec le caract�re, je dirais alg�rien, du personnage, en particulier la r�f�rence au sexe, d�j� ! Dans la r�alit�, et apr�s un tel feu nourri, ces deux-l� n'auraient jamais fait un bout de chemin ensemble, mais Nasser ne vit pas dans ce qu'on appelle commun�ment la r�alit�. A force de se dissoudre � petites doses avec elle dans l'acide des soir�es alcoolis�es, elle est devenue �sa� r�alit�. Dans sa bulle, Catherine cherche � se reconstruire, comme on dit sur les plateaux de t�l�vision. Ce n'est pas l'objectif, imm�diat ou lointain, de Nasser qui a encore la truelle en main, mais qui brade son ciment au march� noir. D'entr�e, on sent chez Catherine un sens des r�alit�s quotidiennes que Nasser est tr�s loin de partager. Apr�s plusieurs mois d'addiction � l'assurance-ch�mage, il est enfin rattrap� par un emploi de correcteur, son m�tier, dans un journal de gauche. Passionn� par sa profession, Nasser se donne � fond � son nouvel emploi, mais on devine assez rapidement que ces attaches sont fragiles. De loin, on le voit se mouvoir, s'agiter, au diapason d'une �quipe h�t�roclite, mais soud�e, alors qu'il peine � y adh�rer, soit qu'il se m�fie, soit qu'il sent une certaine d�fiance � son �gard. Des petits complots de couloir se trament autour de lui, sans qu'on sache tr�s bien s'il en sera la victime ou le vainqueur. Ses r�actions, se r�duisant � prendre d'assaut les comptoirs, donnent � penser qu'il pourrait � nouveau retomber dans l'errance et les beuveries. Catherine, elle, ne vole qu'� faible altitude, et elle est pr�te � poser le pied sur le sol, sit�t que son travail au magasin, ou sa fille de 17 ans, la r�clament. Nasser est lib�r� des contraintes de la paternit� par sa femme, Nadia, qui se console des absences du mari buveur et volage, en s'occupant de ses deux enfants adolescents. Elle ne fait d'ailleurs rien pour �tre partie prenante dans ce �triangle impur� qui se dessine sur son tableau conjugal. Nous voil� donc lanc�s dans une singuli�re histoire d'amour, dont on ne sait pas au juste comment elle finira, pour l'amant qui vit dans l'imm�diat, et pour la ma�tresse qui s'engage d�j� � fond dans l'avenir. Nasser, le chasseur de mirages, finira par se convaincre d'aller en d�busquer au milieu des dunes du Sahara. Nous ne le verrons pas partir, et faire une halte � Oran, sa ville, pour y voir son vieux p�re. On ne saura jamais finalement si ce voyage au bout de l'ennui aura un commencement, et une fin. Car, avec un billet en poche, le h�ros nous offre son ultime pirouette, en sugg�rant que la prochaine destination pourrait bien �tre la patronne d'un de ses nombreux troquets. J'ai failli oublier de pr�ciser que Nasser est un �beau gosse�, selon l'expression consacr�e, ce en quoi il ressemble �trangement � l'auteur, dont c'est le premier roman.
A. H.
(1) Benabdallah M�di�ne, Au temps pour moi, Editions Riveneuve. Paris.

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