Chronique du jour : A FONDS PERDUS
L�envers du d�cor
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


Le battage m�diatique fait autour de l�acc�s du Maroc au �statut avanc� aupr�s de l�Union europ�enne semble destin� � occulter un malaise plus profond : une croissance plomb�e par un effort de guerre surdimensionn� pour maintenir le Sahara-Occidental sous occupation et, incidemment, les pertes induites pour l��conomie marocaine du fait de la fermeture des fronti�res avec notre pays.
Pour l�essentiel, il p�se des questionnements tr�s lourds sur la situation macro�conomique de ce pays voisin : aussi ouverte soit-elle, l��conomie marocaine affiche encore une attractivit� m�diocre pour les IDE. Depuis 2000, les seules ann�es qui enregistrent des IDE sup�rieurs � deux milliards de dollars sont celles qui co�ncident avec la privatisation d�actifs publics, notamment dans la t�l�phonie mobile. Pourtant, le Maroc officiel ambitionne davantage : il aime se voir (aux yeux de l�Europe) dans la fonction qu�occupe le Mexique � l�endroit des Etats-Unis. Pour cela, il avance un premier avantage comparatif � l�appui de sa comp�titivit� : une main-d��uvre � bon march�, avec des r�mun�rations sans cesse tir�es vers le bas par une arm�e de ch�meurs. Un expert marocain avance, � ce titre, qu�une industrie de dix mille employ�s implant�e en Espagne et d�localis�e au Maroc s�acquitterait d�une masse salariale quatre fois inf�rieure ! Pareille ambition est confort�e par les accords de libre-�change conclus avec l�Union europ�enne, susceptibles d��lever le Maroc au rang de plateforme industrielle orient�e vers l�exportation. Ce � quoi participent directement les infrastructures portuaires colossales en cours d�installation � Tanger. A ce jour, le bilan �conomique reste pourtant plut�t d�cevant : le pays affiche une croissance moyenne de 4 % ces derni�res ann�es (moyenne pour 1996- 2004), lorsque sa croissance d�mographique lui en demande 6 % pour faire face � un taux de ch�mage estim�, en milieu urbain, � 13,8 % en 2009. Le ch�mage prend ici un caract�re structurel, visant particuli�rement les jeunes et les femmes, surtout dipl�m�s. La pauvret� est, dans ces conditions, end�mique, avec un taux officiel de 9% en 2008, alors que pendant le m�me temps, la part des personnes consid�r�es comme �conomiquement vuln�rables avoisine les 40 %. Le �statut avanc� accord� au Maroc le 13 octobre 2008 lui donne une position interm�diaire qui le place au-del� de l�association et en de�� de l�adh�sion. Elle �quivaut � une sorte de reconnaissance pour ses efforts de mise � niveau et ses vell�it�s r�formatrices en mati�re �conomique. Avec ce �statut avanc�, le Maroc est le premier pays sud-m�diterran�en � b�n�ficier de toutes les attributions d�un pays membre, sauf � participer aux institutions politiques de l�Union europ�enne, comme la Commission europ�enne et le Parlement europ�en. La feuille de route adopt�e par l�UE pour la mise en �uvre du �statut avanc� � rel�ve quelques premi�res �lacunes� : �d�ception quant au chantier de la r�forme de la justice, quelques entraves � la libert� de la presse, climat des affaires � am�liorer et protection des citoyens � renforcer.� Ce qui n�est d�j� pas si peu. D�autres voix s��l�vent au Maroc pour mettre dans la balance le prix pay� en mati�re de libert�s, de restrictions aux droits sociaux, etc. Dans son dernier rapport d��valuation, le R�seau marocain Euromed des ONG pointe du doigt, sur le plan �conomique, �une croissance (qui) ne semble pas avoir b�n�fici� au d�veloppement humain, notamment du fait de son caract�re fort in�galitaire et des faibles niveaux d�investissements dans des secteurs aussi fondamentaux que l��ducation et la sant�. Sur un autre plan, le r�seau fait r�f�rence � �une situation politique assez complexe, marqu�e par des incertitudes et des h�sitations, qui donnent le sentiment d�un ralentissement du rythme de la transition vers la d�mocratie, sinon d�un recul sur les acquis de la derni�re d�cennie�. Un premier faisceau d�indices est �nonc� � l�appui de ce constat : les manquements en mati�re de droits de l�homme, de gouvernance, de justice, de jeunesse et de culture, avec des d�rives bureaucratiques et client�listes, ainsi que la corruption. En passant en revue ses comptes rendus th�matiques, le R�seau fixe d�abord les probl�mes de gouvernance. Les �lections communales ont �t� marqu�es par l�usage de l�argent, l�intervention des agents d�autorit�, les violences et �la neutralit� n�gative de l�Etat qui renforce l�impunit� et le d�senchantement politique�. Quant � la d�mocratie locale, elle s�exerce par des ��lus cantonn�s dans un r�le bureaucratique d�ex�cution� parce que leur �niveau de qualification et de comp�tence� ne s�y pr�te pas et parce que de larges secteurs li�s aux services de base (gestion de l�eau, de l��lectricit�, des d�chets m�nagers, de la sant� ou de l�enseignement) ont �t� privatis�s. Autre pr�occupation majeure qui �loigne le Maroc de la sph�re europ�enne : l�acc�s � la justice et aux droits. Sur ce point, le R�seau rel�ve de profonds dysfonctionnements du syst�me judiciaire : absence de s�paration des pouvoirs, de souverainet� de la loi, d��galit� devant la justice, d�s�quilibre entre pouvoirs du parquet et droits de la d�fense, lenteur, corruption. Une double insuffisance fait obstacle � l�ind�pendance de la justice, aux plans institutionnel et constitutionnel. En �dictant que �l�autorit� judiciaire est ind�pendante du pouvoir l�gislatif et du pouvoir ex�cutif�, l�article 82 de la Constitution r�duit la justice (autorit� et non pouvoir) au rang de d�partement administratif de l�Etat. L�obstacle institutionnel �mane de l�intervention du pouvoir politique dans le fonctionnement de la justice, notamment dans deux types d�affaires : les proc�s de la presse et ceux des personnes poursuivies pour actes terroristes (enl�vements, tortures, d�tentions arbitraires, proc�s in�quitables). Le tableau est aussi noir en mati�re de droits des femmes, gravement n�glig�s. Deux indices suffisent pour �tre fix� : le taux de scolarisation des filles rurales au niveau du primaire et du coll�ge n�est que de 43 %, alors que la d�perdition scolaire parmi l�ensemble des filles culmine � 58,4 %. Ailleurs, �la violence subie par les femmes prend diverses formes : physique, sexuelle, juridique, psychologique, etc�. La violence conjugale est la pus r�pandue avec 74 % des cas, suivie de la violence institutionnelle avec 8,6 %, la violence sociale avec 4,4 % et, enfin, la violence familiale avec 4,2 %. Le Parlement vient � peine de l�gif�rer sur le sort humiliant r�serv� aux �bonnes� pendant des g�n�rations, alors que les cireurs sont l�gion dans les villes et les villages du royaume. Autre cat�gorie en souffrance : les jeunes, avec �un taux de scolarisation encore faible, une d�perdition scolaire �lev�e � seulement 3% des jeunes de 15-17 ans poursuivent leurs �tudes �, un manque d�orientation et d�encadrement, un �loignement des centres universitaires, des probl�mes de transport, etc�. Le R�seau ne s��tonne alors pas de relever �galement que les jeunes de 15-24 ans qui repr�sentent 20,5 % de la population totale du Maroc �ne repr�sentent pas pour autant une cat�gorie sociale importante et active politiquement, socialement et �conomiquement �. Autre tache noire au tableau : la sant�. Un secteur difficile d�acc�s, avec des dysfonctionnements concernant l�offre de soins globale. Manque de personnel et d�infrastructures participent � l��rosion de la reproduction du principal avantage comparatif du Maroc : sa main-d��uvre. Quelle soit disponible et bon march� est un atout non n�gligeable. Encore faut-il qu�elle puisse se reproduire.
A. B.

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