Chronique du jour : CHRONIQUE D�UN TERRIEN
La grande harba (XXXV)
Par Ma�mar FARAH
soirsat2@gmail.com


L��mir barbu racontait avec force d�tails les circonstances de son �vasion. Il mangeait comme un porc, en saisissant de ses mains poulet et gibier r�ti. Il faisait un bruit �pouvantable en avalant tout cela. Ses grosses pattes velues se baladaient sur le corps de Meriem et cela irritait le pied-noir ainsi que votre serviteur. Je ne l�aimais pas ce barbu. Je ne pouvais pas aimer quelqu�un qui tue des innocents.
Je n��tais pas � l�aise dans cette grotte et �a se voyait. J��tais dans un �tat second. Une sensation de d�go�t me submergeait. Yimchi Wahdou se leva et me demanda d�enlever ma veste. Il pla�a sur ma poitrine une esp�ce de crayon �lectronique qui, aussit�t, rendit des dizaines de calculs et de diagrammes sur le petit �cran qui venait de surgir de sa t�te. Il me demanda de m��tendre un peu : �Ce n�est pas bien grave ! C�est du surmenage� Il faut se reposer. Je vais mettre une t�l� pour que tu te pr�lasses�� La 14e cha�ne de Cherchell �tait l�une des rares � ne pas �mettre en chinois. Mais comme elle �mettait en berb�re du Chenoua, je n�y comprenais absolument rien. Mais Yimchi Wahdou �tait l� ! Il me tendit une oreillette et la voix limpide d�une speakerine, parlant un arabe alg�rien d�pouill�, me parvint. Les images montraient de hautes montagnes couvertes d�abondantes for�ts. Des hommes patrouillaient � travers les bois, des armes � la main. Puis, un reporter, intervenant en direct d�une ville qui me semblait �tre Sidi A�ch, �voqua en termes �mouvants le souvenir de sept Patriotes qui venaient d��tre abattus par les terroristes. Les Chinois avaient un sens de l�honneur tr�s d�velopp�. Ils ne pouvaient passer sous silence le sacrifice de ces Alg�riens qui veillaient sur eux. D�ailleurs, toutes les t�l�s chinoises s��taient �teintes une minute, � l�heure de l�enterrement des sept h�ros. Un deuil d�une journ�e avait �t� d�cid� par la Communaut� chinoise et les drapeaux furent mis en berne. Ah, ces Chinois ! Ils avaient le sens de la dignit� et savaient rendre hommage � ceux qui avaient accept� de mettre en p�ril leur vie pour le bien de tous. Leur chef s��tait m�me rendu � Sidi A�ch pour rassurer les familles, install�es en Sard�lie, et pr�sider une r�union des services de s�curit�. Il fallait en finir avec ces hordes qui continuaient d�endeuiller des familles� Imaginez le d�sarroi des �pouses et des enfants en apprenant la mort tragique des leurs ! Je n�avais plus envie de rien� Les fruits qu�on me tendit en guise de dessert me donnaient envie de vomir. Si ! J�avais envie d�une seule chose : canarder tous les terroristes, les faire payer pour le meurtre des Patriotes de Sidi A�ch ! D�ailleurs, je devais �tre dans un sale �tat puisque tout le groupe s��tait rassembl� autour de moi. Meriem me tenait la main. L��mir n�appr�ciait pas mais la moiti� du peuple alg�rien s�en foutait. Le pied-noir se d�solait de ce qu�on ne trouve pas de Jack Daniel�s : �C�est un bon remontant�, me dit-il� Quant � l��mir, il avait fait appel � un sorcier qui �tait en train de me masser les pieds en chantant �Gigi Lamoroso� de Dalida. Yimchi Wahdou regardait tout cela avec d�dain. Cet �tre compos� d��lectronique n�avait aucun sentiment humain mais il savait intervenir pour aider les gens qui en avaient besoin. Et il faisait cela correctement. J��tais tr�s triste. Je pensais � la femme d�un des Patriotes. En la quittant le matin, le malheureux ne savait pas qu�il ne reviendrait plus. Peut-�tre lui avait-il dit de pr�parer le plat qu�il aimait� Peut-�tre que la fille d�un autre martyr avait oubli� de l�embrasser ce matin comme elle le faisait chaque jour� Mon Dieu, que le monde est injuste ! Ma tristesse mit un b�mol � la f�te organis�e par le terroriste. Je n�y participais pas de toutes les fa�ons. Mes parents m�avaient appris � �tre solidaires des miens. Quand un malheur les frappe, on doit arr�ter la f�te� L�-bas, dans ces montagnes majestueuses que j�ai fr�quent�es jadis, en compagnie de Da Mansour, le ciel devait pleurer en ce jour. Je connaissais toute cette zone s��tendant de Tibane aux hauteurs de Cheminey et quand je pense � ce dernier village, l�image du regrett� Rachid Maouche, ex secr�taire g�n�ral de la section syndicale d� El Moudjahid, s�installe in�vitablement devant moi. Certes, il venait de Constantine, mais ses v�ritables origines �taient de la r�gion de Cheminey� Ma tristesse �tait telle que tout le monde se proposa de me raconter sa blague. Je ne riais pas. Je ne souriais m�me pas ! Le pied-noir me chatouilla les pieds, rien ! Meriem me rappela l��pisode des �nes de La Casbah qui avait, d�habitude, le don de me tirer un fou-rire sans fin, rien ! M�me l��mir barbu se mit de la partie. Il demanda � deux de ses �gorgeurs de danser la valse de la derni�re cigarette, rien ! Aux condamn�s, on refile une s�che avant l�ex�cution de la sentence. Mais les braves de la Soummam n�y ont m�me pas eu droit� Le robot interrompit tout ce cirque en d�clarant le plus solennellement du monde que je souffrais d�un trouble psychologique passager et qu�il fallait me laisser dormir un peu. Il demanda � tout le monde de quitter la grotte. Dans le silence qui s�ensuivit, il me tint ce langage : �Il y a une seule mani�re de vous gu�rir. Il faut venger les Patriotes. Je ne connais pas ce sentiment de vengeance, mais je comprends que ce qui a �t� fait sur les hauteurs de la Soummam est atroce et m�rite des repr�sailles. Voil� ce que je vous propose : abattre tous les tangos d�ici.
- Mais comment ? Nous sommes quatre et ils sont des dizaines, surarm�s et connaissant les lieux�
- Pas de probl�me ! Je dispose d�armes automatiques et m�me d'�quipements secrets capables de pulv�riser une centaine d�ennemis en quelques secondes.
- Je suis d�accord ! Si les martyrs du devoir sont veng�s, je me porterai certainement mieux� Quel est le plan ?
- D�abord, il faut isoler notre groupe car quand je commencerai � tirer, �a va �tre le feu d�artifice et il ne faut pas attraper une balle perdue�
- OK, je vais appeler Meriem et le pied-noir et quand ils seront � c�t� de moi, tu n�auras qu�� tirer sur tous les autres�
- Quel traitement pour votre ami l��mir barbu ?
- Pas de piti� ! Ce n�est plus mon ami�
- C�est parfait. Voil� un sentiment� euh� euh� logique ! �
Quand Meriem et le buveur de Jack Daniel�s furent � mes c�t�s, il y eut un petit probl�me. L��mir s��tait joint � eux et il n��tait pas possible de mettre � ex�cution notre plan. A ce moment-l�, j�eus l�id�e d�envoyer l��mir me chercher une belle orange. Il s�ex�cuta. Dans les secondes qui suivirent, je me pin�ais pour savoir si je vivais la r�alit� ou si j��tais en face d�un �cran 3D projetant l�un de ces films am�ricains o� les balles fusent de toutes parts. Les corps tomb�rent un � un. Yimchi Wahdou, tel Rambo, sortit de la grotte et continua le boulot. Ok, Boy ! Ach�ve-les tous ! Venge mes fr�res de Sidi A�ch et tous les autres�
La fusillade dura exactement 75 secondes. Le camp �tait nettoy�. L��mir barbu gisait au milieu d�une mare de sang. Yimchi Wahdou enterra tous les morts et nous repart�mes vers T�n�s. D�sormais, nous n�avions plus peur des tangos. Avec cette arme de destruction massive nomm�e Yimchi Wahdou, nous �tions invincibles.
Avais-je retrouv� le sourire ? Je ne savais pas au juste. Je ne savais pas si la petite lumi�re qui parcourait mon visage, y gommant la grisaille de tout � l�heure, �tait un d�but de sourire ou pas. Mais je savais qu�un groupe de terroristes ne s�vira plus. Ne tuera plus mes fr�res. Mais l�int�grisme peut aussi tuer autrement. Pas seulement par les armes. Lorsqu�il s�installe dans une soci�t�, il la tue � petit feu. En la tirant vers l�arri�ration sociale et l�obscurantisme.
Mais heureusement que mon peuple a �t� sauv� par sa �grande harba�. L�-bas, en Sard�lie, les passeports biom�triques sont r�alis�s comme dans n�importe quel pays moderne, sans ces combats d�arri�re-garde qui montrent, encore une fois, que les ennemis du progr�s ne d�sarmeront pas tant qu�ils n�auront pas mis ce qui reste de l�Alg�rie africaine � genoux !
M.F.
(A suivre)

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