
Vox populi : ASSIA MA SŒUR*
…De ma fenêtre, je regarde la mer si bleue. Je me sens coupable d’admirer un paysage que tu ne contempleras plus… Quand je t’ai laissée cet après-midi dans ta chambre d’hôpital, tu
étais souriante et pleine d’énergie. L’intervention que tu devais subir
n’était pour toi qu’une formalité, tu disais. Tu faisais déjà des
projets pour ta convalescence (comme un séjour à Tikjda dans la douce
quiétude des montagnes boisées). Jamais, au grand jamais, je n’aurais
cru que tu crânais pour ne pas nous montrer ton appréhension. Jamais je
n’aurais cru que je voyais ma sœur pour la dernière fois. Ma sœur, ma
complice, ma protectrice (tu me ménageais énormément), ta disparition
fut brutale, foudroyante, assassine ! Tu as rejoint nôtre frère Kamel,
emporté par la maladie deux semaines plus tôt. Nous n’avions pas encore
séché nos larmes que tu disparaissais à ton tour ! Que dire de plus que
n’ont dit tes amis qui t’aiment ? Les témoignages sur ta bonté, ta
générosité, ton altruisme ont fusé spontanément de toutes parts. Ta
famille sportive te pleure. Ta famille, elle, ne réalise pas encore
qu’elle ne te verra plus ! Tu n’iras plus chez Farid, ton jumeau, dans
la maison paternelle. Tu ne te loveras plus paresseusement dans un coin
de canapé chez lui ! Tu ne mangeras plus le bon «messfouf», préparé
maternellement par Saïda. Tu n’asticoteras plus affectueusement Nacéra,
nôtre belle-sœur que tu nommais «ma belle-fille» . Tu ne t’apitoieras
plus devant Fyala nôtre nièce, handicapée à 100/100 depuis vingtdeux
ans. Après qu’une mauvaise méningite l’eut réduite à néant. Tu n’iras
plus chez Fatiha lui rendre visite afin de te faire pardonner les jours
où tu lui faisais défaut. Tu n’iras plus au hammam avec Fatiha et elle
ne te demandera plus de lui faire les «mhadjeb» que tu faisais si bien.
Tu ne diras plus de nôtre frère Nordine et sa femme Malika : ils
survivent courageusement à la perte de Rafik leur fils unique ainsi que
de leur petit-fils Mahdi. Tu ne diras plus, mon pauvre frère. Tu ne
diras plus je suis fière de Sara ma fille qui poursuit brillamment ses
études en Italie. Fière de mon fils Habib qui est devenu un homme. Tu ne
diras plus à Nazim ton neveu, viens à la maison, je t’ai caché du
chocolat. Tu ne seras plus là, le mois de Ramadan pour lui concocter de
bons plats et le gâter comme d’habitude. Tu ne diras plus à Tarik ton
neveu, je sais que je peux compter sur toi, pour mes papiers et autres
choses .Tu ne lui diras plus de laisser Lilya sa femme chez toi quand il
travaillait tard, car tu t’inquiétais pour eux ! Anissa, Souad Kara,
Souad de Constantine, Louisa de Tam, Hlima d’Oran, Imène et sa sœur,
Fadéla et j’en passe…. te pleurent. Leur douleur épouse la nôtre. Tu
étais, à toi toute seule, le ministère de la solidarité. Tu étais sur
tous les fronts dès qu’il s’agissait d’aide aux autres ! Ta maison était
un havre de paix : toujours ouverte à ceux qui en avaient besoin. Chère
sœur. Tu te rappelles Assia, je l’appelais «le Hall de Transit». Quand
je débarquais chez toi venant de Bougie, j’ouvrais sans bruit (tu
donnais tes clefs à tous) sachant qu’il y avait chaque fois du monde qui
dormait, et ton couloir jonché de bagages ! Habib et Sara étaient aussi
hospitaliers que toi, leurs amis remplissaient joyeusement les lieux
tant ils se sentaient à l’aise devant ta gentillesse. Assia ma sœur,
deux affreuses semaines sont passées sans toi. Ta mémoire a été honorée
par ta famille sportive. Des tournois ont eu lieu te rendant hommage. Le
dernier, organisé par ton association, nous donna l’occasion d’entendre
Monsieur le Ministre de la Jeunesse et des Sports faire un vibrant et
émouvant éloge à ton égard. J’aurais aimé que tu fusses présente lors de
ces manifestations, que tu assistes à l’émotion de Chergui quand il a lu
la Fatiha en ta mémoire, de celle de Achour qui te respecte tant.
J’aurais voulu que tu voies cette reconnaissance envers tes efforts
continus et altruistes de ton vivant ! Mais les voies du Seigneur sont
impénétrables, Dieu te voulait à ses côtés ! Je suis rentrée
difficilement chez moi à Bougie. J’ai pleuré durant le trajet. Je savais
que je ne te verrais plus lors de mes déplacements à Alger, que tu
n’appellerais plus pour me demander si j’arrivais enfin ! Je ne
t’accompagnerais plus à ton travail où du gardien de l’entrée aux
personnes travaillant avec toi, les gens te respectaient ! Tu étais
championne pour dédramatiser toutes les situations. Je sais que depuis
ta première alerte, tu voyais le monde autrement. Tu n’attachais plus
d’importance aux «bricoles». Tu savais que ton passage sur terre était
compté ; c’est pour cela que tu vivais cent à l’heure. Tu utilisais ton
précieux temps à militer sincèrement, non seulement pour la promotion du
sport féminin sur tout le territoire algérien, mais aussi à aider les
nécessiteux et les handicapés. La liste de tes bienfaits serait trop
longue : des pages n’y suffiraient pas ! Assia ma sœur, tu nous as eus,
nous n’étions pas prêts (d’ailleurs personne ne pourrait l’être !). Ton
brusque départ, sans espoir de retour cette fois, nous laisse désarmés,
vidés, en plein désarroi ! Il nous est difficile de dire Assia «Allah
yarhamha». Mais nous devons le dire pour ton repos éternel. Une dame qui
se faisait un bonheur que tu rejoignes enfin le ministère m’a dit :
Assia est un ange qui a rejoint le ciel ! Jamais tu ne m’as déçue,
jamais tu n’as eu un mot déplacé à mon encontre. Tu étais là lorsque
j’en avais besoin. Tes neveux t’aiment ! J’emploie à raison le présent
car ils t’aiment. Ailleurs, tu t’es pleinement assumée. Tu as fait ce
que tu voulais quand tu voulais (comme ton voyage au Soudan pour
supporter notre équipe, avec ta copilote Anissa). De mon côté, j’étais
là pour toi. Je faisais mon possible pour te faciliter la vie quand je
te rendais visite ! Je savais faire face quand il le fallait à tes
«détracteurs» ! Tu étais franche, directe, tu ne t’attardais pas sur le
«protocole traditionnel». Tu savais. Je n’arrive pas à poser mon regard
sur tes photos si vivantes ! Je ne réalise pas que tu n’es plus… que tu
ne seras plus. Quelle triste formule ! Tu n’es plus là, la vie reprend
son cours : travail, courses, routine… De ma fenêtre je regarde la mer
si bleue. Je me sens coupable d’admirer un paysage que tu ne
contempleras plus…Mais, tu as beaucoup mieux, tu te retrouves à présent
dans un univers paradisiaque ! Un monde sans les soucis bassement
matériels des êtres sur terre. Ma sœur, ma chérie, mon amie (tu le sais
toi combien je t’aime, je te l’ai dit), je ne te quitte pas, mon cœur
est plein de toi, de ta voix et de ton sourire. Ton image est là !
Repose en paix, nous appartenons à Dieu et à Lui nous retournons !
Ta sœur qui t’aime. Hassiba, Hanifa Belkacem.
Le 16 mars 2010, Béjaïa.
* Présidente de l’Association pour le développement et la promotion du
sport féminin (Rappelée à Dieu, le 24 février 2010)
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