Chronique du jour : DECODAGES ALG�RIE Pas de succ�s �conomique sans d�mocratie politique Par Abdelmadjid Bouzidi [email protected]
Pour tous ceux qui suivent les �volutions de l��conomie alg�rienne,
ses succ�s (bien rares) et ses couacs (beaucoup plus nombreux),
l�analyse �conomique seule n�est plus suffisante pour tenter de
comprendre et encore moins d�expliquer les difficult�s auxquelles font
face les agents �conomiques nationaux (m�nages, entrepreneurs,
salari�s). Il faut noter que les regards sont de plus en plus port�s sur
les mesures de politique �conomique qui sont, faut-il l�avouer,
difficiles � lire et � suivre. Aujourd'hui, de nouvelles orientations se
dessinent. Faites de retour de l�Etat dans le contr�le de l��conomie,
dans l�investissement, dans la redistribution, dans l�Etat-providence.
Cette... rectification est certainement � prendre en consid�ration. Elle
renseigne en tout cas sur le devenir des r�formes �conomiques qui
semblent avoir fait long feu. Mais l�action sur l��conomie seule,
quelles que soient sa nature et son ampleur peut-elle suffire pour
mettre le pays sur une trajectoire de reconstruction s�rieuse ? A-t-elle
seulement quelque chance de succ�s si elle n�est pas accompagn�e de
conditions politiques qu�il faut imp�rativement r�unir et mettre en
place ?
Il faut bien noter que depuis la fin des ann�es 1980, les Alg�riens
exigent du syst�me politique en place qu�il change �de r�gles du jeu�,
qu�il se r�forme, en un mot qu�il s�ouvre. Il s�agit, pour �tre pr�cis,
de mettre fin aux trois monopoles politiques qui ont �vid� la soci�t� :
� Le monopole politique exerc� par le parti unique selon lequel
seuls les militants du parti au pouvoir acc�dent aux postes des sph�res
de d�cision.
� Le monopole id�ologique qui a impos� le �politiquement correct�
exerc� par le parti-Etat et qui proclamait ennemis de la patrie tous
ceux qui pensaient diff�remment de l�id�ologie du parti au pouvoir.
Le monopole �conomique �tatique qui impose � l��conomie la
main-mise de l�Etat et son contr�le politique : la gestion de l��conomie
et la d�signation de ses managers est le fait de l�Etat sur la base non
pas de la comp�tence et de la qualification mais de la fid�lit�
politique. L�entreprise priv�e est � peine tol�r�e, cantonn�e dans les
activit�s de faible importance. D�s la seconde moiti� des ann�es 1980,
la nouvelle �quipe arriv�e aux commandes du pays et plus encore ceux
qu�on avait appel�s alors �les r�formateurs du FLN� pensent trouver des
solutions � la crise que traverse l�Alg�rie en tout premier lieu dans,
pr�cis�ment, la r�duction des contr�les politiques qui s�exer�aient sur
l��conomie et dans l��limination de la gestion administrative qui la
caract�risait. En un mot, dans la lib�ralisation de l��conomie du
parti-Etat et de l�oligarchie qui gravite autour. Elle privil�gie alors
dans sa d�marche de r�forme du syst�me, la sph�re �conomique. A l�instar
de ce qui se passait un peu partout dans le monde. L��conomie de march�
est ainsi per�ue, ici aussi, comme le seul syst�me �conomique capable
d�oxyg�ner non seulement l��conomie mais dans le m�me temps toute la
soci�t�, notamment en lib�rant les initiatives. Les r�formateurs du FLN
attendaient de ce syst�me d��conomie de march� qu�il lib�re les
entrepreneurs, notamment publics, du contr�le politique de l�Etat et
qu�il assure la n�cessaire s�paration des gestions politique, sociale et
�conomique. Bien �videmment, l��conomie de march� �tait aussi per�ue
comme un ensemble de conditions qui impose � l�entreprise et
l�entrepreneur des contraintes d�efficacit� � m�me d�am�liorer les
performances et la comp�titivit�. Jusque-l� rien d�original, comme nous
l�avons d�j� rappel� : les transitions qui sont alors en �uvre dans les
PECO (pays d�Europe centrale et orientale) rel�vent de la m�me
�valuation. Il faut cependant souligner qu�aujourd�hui toutes ces
�bonnes intentions� ont �t� balay�es et le retour � l��tatisme
centralisateur et tatillon est bien l�. Mais au-del� de ce constat, il
faut rappeler qu�� la fin des ann�es 1980, la question qui se profilait
d�j� en Alg�rie, mais qui n�a jamais �t� explicitement pos�e, �tait
celle de savoir si l��conomie de march� avait besoin, pour produire tous
ses effets et entra�ner la mutation syst�matique de la soci�t�
alg�rienne, d�un Etat fort et autoritaire ou, au contraire, d�un syst�me
politique ouvert, pluraliste et d�mocratique ? On sait que l��conomie de
march� peut fonctionner sans d�mocratie. De m�me, l��conomie de march�
n�entra�ne pas automatiquement � la d�mocratie. Les exemples de la
Chine, du Vietnam ou encore celui de la Cor�e du Sud de Park ou de Chili
de Pinochet confirment cela. Dans les pays du Sud, il y a m�me le risque
de voir le march� laiss� � lui-m�me d�truire la d�mocratie. Ces pays
restent en effet dans leur grande majorit� caract�ris�s par
l�analphab�tisme, la maladie, les in�galit�s sociales, les disparit�s
r�gionales... Or, ces maux sont les adversaires de la d�mocratie. Est-ce
que le march� pourra, par lui-m�me, les gommer ? Assur�ment non ! Ainsi,
l'approche de la transition qui a domin� jusqu�ici en Alg�rie et qui
fait reposer la mutation syst�matique sur la seule sph�re �conomique
prend tous les risques de faire avorter la transition. Sans �tre
accompagn� d�ouverture politique d�mocratique, le fonctionnement de
l��conomie de march� en Alg�rie, comme dans les autres pays du Sud,
accentuera les in�galit�s sociales, la contestation politique et, donc,
les risques d'�chec. L��conomie de march� tout comme d�ailleurs
l��conomie administr�e sans d�mocratie a peu de chance de conduire au
d�veloppement �conomique. Les crises sont souvent le r�sultat d�une
gestion inad�quate des risques de rupture sociale qui font suite � la
lib�ralisation de l��conomie. C�est la d�mocratie et en premier lieu le
pluripartisme effectif et non virtuel qui permet la gestion politique
efficace des tensions sociales qui peuvent na�tre du march�, car elle
dote le syst�me politique de moyens de m�diation aussi bien entre les
acteurs sociaux qu�entre ceux-ci et l�Etat. Il faut d�ailleurs pr�ciser
que la d�mocratie suppose un Etat moderne et, � son tour, un Etat
moderne est avant tout un Etat d�mocratique. Les exp�riences des pays �
d�mocratie lib�rale r�v�lent que l�Etat moderne est cet Etat qui produit
et assure trois conditions :
1/ Le consensus politique autour de la loi fondamentale, la Constitution
d�mocratiquement adopt�e et respect�e par tous ;
2/ la coh�rence administrative qui assure � tous l��galit� devant le
service public ;
3/ la coh�sion sociale qui traduit la citoyennet�.
1- L�Etat moderne sait organiser l��laboration pacifique d�un compromis
outre les int�r�ts collectifs antagonistes pr�sents dans le corps
social. Ce compromis est ensuite traduit en r�gles de vie collective
nouvelles : le droit. L�Etat moderne est dot� de la �l�gitimit�
d�mocratique� et le droit est d�abord au service de la lutte contre
toute forme de dictature.
2- L�Etat moderne doit aussi savoir organiser l��galit� de traitement de
l�ensemble des administr�s devant l�acc�s aux grands services publics
(�ducation, sant�, s�curit� publique, solidarit� fiscale). L�Etat
moderne n�admet ni r�seaux relationnels, ni relations de pouvoir. L�Etat
moderne se d�finit par l��quit�, c�est-�-dire l��galit� des chances des
citoyens.
3- Enfin, l�Etat moderne est celui qui sait assurer le d�veloppement du
sentiment national. Ce sentiment qui se traduit par l�acceptation
partag�e des institutions communes qui permettent l��laboration
pacifique d�un compromis social. Le sentiment national est ce sentiment
d�appartenir � un ensemble coh�rent et porteur d��quit�.
Un mot pour conclure : l�Alg�rie fait de la relance �conomique, c�est
bien. Elle se d�sendette, c�est aussi bien. Mais c�est la mobilisation
de tous les acteurs sociaux qui, seule, peut assurer de d�boucher sur
des r�sultats probants de notre �conomie. Et cette mobilisation exige le
d�bat, la d�lib�ration, le dialogue. Le succ�s �conomique exige la
d�mocratie politique.
A. B.
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